La question des flux migratoires dans le contexte de la mondialisation

Tribune libre

La question des flux migratoires dans le contexte de la mondialisation de l’immigration par Doudou SOW*
« S'il y a une constance dans l'histoire de l'humanité, c'est la migration. » (Amir Khadir, député provincial et co-chef de Québec solidaire)
L’immigration comme un fait social total (dimension économique, sociale, politique, familiale, culturelle) au sens où l'entendait le sociologue et "père de l'anthropologie française", Marcel Mauss, nécessite une analyse objective. Une certitude se dégage dans plusieurs analyses sur ce phénoméne multidimensionnel et mondial : une politique d’immigration zéro, tout comme une ouverture totale des frontières des pays développés, constitue une vue de l’esprit. Les niveaux records de chômage qui affectent particulièrement la zone euro poussent les pays européens à établir des politiques restrictives sur l’immigration. En France, le taux de chômage pourrait atteindre 10,4 %, fin 2012, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les chiffres de chômage du mois d’octobre 2011 continuent de préoccuper les pays européens. L’Espagne a le taux de chômage le plus élevé (22,8 %) de la zone euro suivie de la Grèce (18,3%). Le taux de chômage chronique dans certains pays européens touche principalement les jeunes et les personnes âgées comme le révélait le titre du journal français Lemonde.fr : « Crise financière- Le chômage, au plus haut en Europe, affecte d'abord les jeunes et les seniors» . Cette situation n’arrange pas les jeunes migrants qui souhaitent immigrer dans les pays cités ci-dessus aux prises avec des difficultés économiques et qui se trouveront du même coup en concurrence avec des chômeurs locaux pour certains postes. Le site touteleurope.eu qui reprenait les données du chômage de novembre 2011 publiées par l'office européen de statistiques Eurostat affichait un titre révélateur « Le chômage frappe durement l'Union européenne ». Or, dans une période de conjoncture économique difficile, les immigrés sont les premiers à subir dûrement les effets de la crise. Face à une situation économique précaire, les pays d’immigration sélectionnent en effet davantage les candidats potentiels pouvant apparemment le plus s’intégrer et s’adapter aux réalités de la société d’accueil.
Capacité d’accueil, adhésion de la population et intégration en emploi des immigrants dans leur domaine de compétences: critères essentiels d’une immigration réussie
Même des pays qui ont la réputation d’être favorables à l’immigration posent davantage des conditions d’entrée sur leur territoire. La société québécoise et canadienne qui s’est longtemps positionnée dans le créneau de l’immigration sélective n’échappe pas à la tendance ambiante du resserrement des critères de sélection des travailleurs qualifiés. Des consultations qui prennent la forme de commissions parlementaires sur la planification de l’immigration ont souvent lieu afin de définir, entre autres, les niveaux d’immigration. Le secrétaire général de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Jean Lortie, reprenait dans le cadre des audiences de la Commission parlementaire sur la planification de l’immigration au Québec pour la période 2012-2015 les critères identifiés par l’OCDE pour déterminer la capacité d'accueil : «Des facteurs déterminants doivent être considérés tels la démographie, la conjoncture économique, les besoins du marché du travail, l'intégration des personnes immigrantes en emploi, les délais du processus de sélection et le degré d'acceptation de la population.»
Ce point de vue est largement partagé par la population québécoise et trouve un écho favorable au niveau pancanadien. En d’autres termes, l’accueil des immigrants doit répondre à des besoins de main-d’œuvre réels pour un intérêt mutuel (société d’accueil et immigrants). Le ministre de la Citoyenneté, de l’Immigration et du Multiculturalisme, Jason Kenney, avait auparavant annoncé la couleur dans le cadre des consultations fédérales sur l’immigration. Selon La Presse Canadienne du 22 juillet 2011, « Le ministre a déclaré qu'il était absolument nécessaire d'attirer davantage d'immigrants pour aider un marché de l'emploi qui aura besoin de sang neuf, mais que le pays devait également respecter des niveaux d'immigration soutenables. Certaines personnes veulent augmenter le nombre d'immigrants de façon draconienne, tandis que d'autres doutent de la capacité du Canada d'intégrer davantage de gens, a expliqué M. Kenney.»
Si un tel pays qui déclare ouvertement son adhésion à l’immigration entend contrôler de manière rationnelle son immigration, on pourrait attendre une position plus claire des pays européens qui durcissent de plus en plus les conditions d’entrée des immigrants. Le Canada, précisons-le, demeure un pays ouvert, accueillant et tolérant même s’il devient de moins en moins généreux. (Lire à ce sujet dans un prochain article: une vision réaliste du Canada par Doudou SOW)
Un équilibre à trouver pour l’intérêt de tous
La Presse Canadienne qui citait M. Kenney rapportait que : « Le Canada a accueilli en moyenne 254 000 nouveaux résidants permanents par année au cours des cinq dernières années. En 2010, ce nombre a atteint 280 000, le total le plus élevé depuis 1957(…). Selon lui, toutefois, il n'est pas possible d'accueillir efficacement un million de personnes par année. Pour Jason Kenney, il y a des limites au taux d'immigration que le pays peut accepter; d'un point de vue bureaucratique, mais également en termes de logement, de soins de santé, d'éducation et de services sociaux. »
La plupart des pays occidentaux comme la France, l’Italie, l’Espagne prônent la réduction du nombre d’immigrants surtout en ce qui concerne l’immigration extra-européenne. Nous pensons certes que ces pays sont libres de mettre en pratique des politiques de réduction du volume d’immigration et de ne pas considérer l’immigration comme un sujet tabou. Cependant, l’immigration demande une réciprocité qui obéit à la logique de l’équité internationale et à celle de la justice sociale. S’il est permis aux Européens d’immigrer en Afrique, au Maghreb, en Asie, en Amérique Latine, aux États-Unis, au Canada pour monnayer leurs talents et contribuer ainsi à la créativité, à l’innovation et à la richesse économique, autant il devrait être permis aux Africains, Maghrébins, Sud-asiatiques, Hispanophones d’immigrer dans les pays européens pour améliorer leurs conditions socioéconomiques. Nous sommes conscients qu’il appartient souverainement à tout pays d’accueil de fixer les conditions d’entrée et de sortie de son territoire. Il convient de noter également que l’immigration ne peut pas simplement être considérée comme une valeur marchande. L'immigration est aussi toute une aventure humaine dans laquelle des individus décident de quitter leur pays d’origine en adoptant et respectant les valeurs de la société d’accueil, en contribuant à la vitalité de la langue de la société d’adoption sur la base d’un contrat où toutes les parties sont gagnantes. L’emploi est évidemment un facteur déterminant pour l’intégration et le maintien d’une paix sociale. Les cultures d’origine doivent se greffer à la culture locale qui laisse de manière intelligente une marge de manœuvre pour l’expression d’une certaine différence qui ne bouscule pas les valeurs endogènes (le modèle québécois interculturel nous semble particulièrement pertinent de ce point de vue). Chaque société qui reçoit les immigrants a le droit de traduire dans sa politique sa vision ou son modèle d’immigration à condition qu’elle respecte les idéaux de démocratie et d’inclusion. La mise en marché du produit de l’immigration entraîne une concurrence internationale qui obéit ainsi à la loi de la meilleure offre et à celle de la meilleure demande.
La circulation des humains malgré les barricades
L’immigration contribue à la fuite des cerveaux ou à la circulation des talents selon le point de vue où l’on se place. La catégorie économique de l’immigration comporte des défis et se révèle être un investissement mutuel. Le monde est un village planétaire et pour cette raison, nous croyons fortement à l’immigration. L’Europe essaie de restructurer son espace d’immigration en misant sur les pays membres. Malgré une volonté politique de compter sur les pays membres, on note à l’intérieur de ce cadre, des problèmes de mobilité professionnelle. Souvenons-nous de l’exemple du plombier polonais, en 2006, qui faisait craindre à certains pays européens une perte d'emplois pour leurs travailleurs locaux mais aussi le nivellement des salaires par le bas en ouvrant leur marché du travail aux ressortissants de certains pays d'Europe de l'Est. Aujourd'hui, la mobilité professionnelle interprovinciale, intracommunautaire et internationale devient une réalité incontournable dans le contexte de la migration internationale. La relève dans certains domaines ne pouvant plus être assurée entièrement par des étudiants des pays développés, cette insuffisance de relève laisse ainsi des postes vacants. L’immigration devient alors la solution qui s'impose dans les domaines économique, démographique et linguistique. La migration des individus peut en effet être répartie en trois catégories d’immigration distinctes (immigration économique, regroupement familial ou parrainage, réfugiée).
Si l’immigration économique (travailleurs qualifiés et gens d’affaires) demeure la catégorie privilégiée par les pays d’immigration, il n’en demeure pas moins que l’accueil des réfugiés s’inscrit dans le cadre de l’accord de Genève. La Convention de Genève adoptée par les Nations-Unies en 1951 constitue une caution morale symbolisant le respect de la tradition humanitaire des pays dits développés. Il devient évident que les politiques européennes en matière d’immigration visent davantage et peut-être uniquement à fixer des populations dans leurs pays d’origine. La maîtrise des flux migratoires ainsi que les conditions de départ des migrants de leurs pays d’origine laissent apparaître la complexité de l’immigration. Comme affirmait, l’ancien président de la République du Sénégal et actuel Secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, à l’occasion d’un célèbre entretien avec le journaliste français Assane Diop de la Radio France Internationale (RFI) : « On ne peut pas arrêter la mer avec ses bras ». Le contrôle accru dans les frontières matérialisé par la création de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (FRONTEX) en 2004-2005, les mesures dissuasives des pays d’immigration (reconduite à la frontière, amendes, emprisonnement, interdiction du territoire au bout d’un certain nombre d’années, etc.) auront moins d’efficacité tant et aussi longtemps que les conditions économiques des jeunes migrants et des réfugiés africains et maghrébins ne seront pas réunies. La résolution de cette triste situation ou le maintien des jeunes migrants dans leur pays d’origine dépend, entre autres, non seulement des leaders politiques africains et maghrébins qui doivent faire preuve de bonne gouvernance mais aussi de l’arrêt de la dilapidation des ressources naturelles par les puissances étrangères avec la complicité de certains politiciens qui prennent en otage leur propre population. La problématique des mouvements migratoires interpelle à la fois les pays d’origine et les pays d'accueil.
La coopération décentralisée à travers la réalisation de projets économiquement viables
La coopération décentralisée apparaît comme une des solutions pour contrôler le phénomène de l’immigration. Mais l’argent du codéveloppement fourni par les Occidentaux aux pays d’émigration sert trop souvent à d’autres fins que celles auxquelles elles étaient prédestinées.
Les pays d’origine ont la responsabilité sociétale de créer les conditions de rétention de leurs citoyens et non pas d'imposer des mesures ou des politiques entraînant la fuite de capitaux humains. L’exemple du Sénégal en est une parfaite illustration. Dans cette perspective, l’élection présidentielle du 26 février 2012 est une occasion pour les politiciens qui aspirent à diriger le Sénégal d’expliquer clairement leur programme concernant l’immigration. La diaspora sénégalaise qui contribue à hauteur de 700 milliards de francs CFA par année selon une récente étude de la Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), (montant qui dépasse l'aide publique au développement), est en droit d’exiger une imputabilité sur les différents programmes. En tant que véritable partenaire financier de l’état sénégalais, la vaillante communauté des Sénégalais de l’extérieur ne saurait être reléguée au second plan dans la construction d’un Sénégal nouveau, démocratique et économiquement souverain.
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L’auteur est conseiller en emploi, sociologue-blogueur et conférencier.

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Sociologue de formation, spécialisé en Travail et organisations, l’auteur
est actuellement conseiller en emploi pour le projet Mentorat
Québec-Pluriel au Carrefour jeunesse-emploi Bourassa-Sauvé
(Montréal-Nord).





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