David Michael GREEN - Etes-vous stupide ? Soyons francs. C’est précisément la question que pose la droite à l’opinion publique américaine depuis trente ans (et plus). Et c’est précisément la question à laquelle l’opinion publique américaine répond avec enthousiasme depuis trente ans. Comme un junkie sous l’effet du crack.
Dans les années 80, Ronald Reagan a présenté à l’Amérique une série de mensonges économiques si évidents que même un monstre comme George H.W Bush (père) les avait qualifiés « d’économie vaudou ». C’est-à-dire qu’il l’a dit lorsqu’il était encore en concurrence avec Reagan pour la nomination du Parti Républicain. Une fois battu, et qu’il cherchait à être nominé comme candidat à la vice-présidence, tout est rentré dans l’ordre et on n’a plus entendu parler de vaudou. Ce fut un des plus grands actes de trahison (je pèse mes mots) de l’histoire américaine.
Mais revenons à Reagan. « Regardez bien », a-t-il dit. « Je vais réduire les impôts, surtout pour les riches, et dépenser d’énormes sommes d’argent en matière de « défense », tout en équilibrant le budget ».
Bon, d’accord, Reagan n’était pas très doué en maths. Deux sur trois, c’est déjà pas si mal, non ? Y compris pour ceux qui doivent aujourd’hui encore payer pour ses « erreurs », sans oublier les intérêts. Malgré la haine viscérale des Américains pour les impôts, je suis sûr que ça ne les dérange pas de faire des heures supplémentaires à bosser dans un fast-food chaque semaine pour payer l’enrichissement de la génération précédente de ploutocrates et de sous-traitants de l’industrie d’armement, n’est-ce pas ?
Ou peut-être que la réponse à la question « êtes-vous stupide » est tout simplement : « oui, très ».
On pourrait le croire parce que Reagan et Bush ont réussi, avec leur folle entreprise, à multiplier la dette publique par quatre. Et on pourrait le croire encore plus en constatant que Bush junior est arrivé au pouvoir dix ans plus tard avec la même potion magique. Il fallait être stupide pour l’avaler la première fois, et il fallait l’être encore plus pour l’avaler une deuxième fois. Et nous l’étions, évidemment.
Et pas uniquement pour ce qui concerne la dette publique. Une génération de Reaganomics a réussi à plonger 98% du pays dans le formol, là où les effets de la croissance substantielle du PIB ces trente dernières années n’ont pas été ressentis. Et c’est cette même politique qui s’apprête à revenir pour achever ce qui reste. Dans le même temps, la classe à laquelle appartenait Reagan remplissait les poches des plus riches. Jusqu’à quel point faut-il être stupide pour ne pas se rendre compte que quelqu’un est en train de vous entuber ?
Très stupide, bien-sûr, mais pas nécessairement aussi stupide qu’il est possible de l’être, car devinez quoi... Les voici qui reviennent à la charge. Cette semaine les Républicains ont une fois encore publié un manifeste qui réclame des réductions d’impôts pour les milliardaires et la réduction des déficits, tout ça en même temps. Et une fois encore, ils vont remporter haut-la-main les élections législatives de novembre malgré la stupidité évidente de leurs propositions. Ou peut-être grâce à ça.
Pourquoi ne pas se contenter de faire des tours de passe-passe ? Ah oui, c’est vrai, ils ont déjà Jésus pour ça. N’en parlons plus.
D’un autre côté, je ne peux pas en vouloir aux Américains de voter pour un parti qui n’est pas le Parti Démocrate. Obama et son équipe ont misérablement échoué, et se révèlent totalement incapables de proposer des solutions aux problèmes auxquels sont confrontés les Américains, tout comme ils sont incapables de remporter des batailles politiques contre d’évidents criminels. A voir le paysage qui s’offre au regard brouillé de l’électeur, il serait parfaitement logique de voter en désespoir de cause pour le parti qui n’est pas au pouvoir lorsque la maison est en feu et que le parti au pouvoir propose des pistolets à eau pour éteindre l’incendie. C’est parfaitement logique. C’est même la notion fondamentale de « gouvernement responsable » qui est au coeur de la théorie démocratique.
D’un autre côté, bien-sûr, il y a deux excellentes raisons pour affirmer qu’un tel vote serait totalement stupide. D’abord, parce qu’il existe d’autres alternatives. J’aurais aimé voir d’autres partis politiques aux Etats-Unis, même si d’habitude je ne milite pas en leur faveur étant donné l’impossibilité structurelle de les voir accéder au pouvoir. Cela dit, c’est maintenant ou jamais le moment de voter pour eux.
Deuxièmement, parce que « l’alternative » aux Démocrates sont ceux qui nous ont plongés dans cette crise pour commencer et qui à présent se consacrent ouvertement à empirer les choses pour les Américains ordinaires. C’est exactement ce qui va se passer, bien-sûr, et si vous pensez que le présent est morose, attendez de voir ce que les deux prochaines années nous réservent. Elles vont être comme un mélange entre la Dépression de l’époque Hoover, l’ambiance dépravée et maladive du McCarthysme, les scandales sans fin de l’époque Gingrich (dirigeant du Parti Républicain – NdT) et la cupidité sans bornes des années Cheney. Bienvenue au démantèlement de la société civilisée aux Etats-Unis. Oui, je sais – on peut me répondre qu’une telle société n’a jamais existé. Alors disons que la question sera bientôt définitivement tranchée.
Une chose encore dont nous pouvons être certains : le bon vieux W junior avait tout faux. Rappelez-vous lorsqu’il a dit « Il y a un vieux dicton dans le Tennessee – je sais que c’est aux Texas, probablement dans le Tennessee – qui dit, trompez-moi une fois, honte à – honte à vous. Trompez-moi – vous ne pouvez pas me tromper deux fois ! » (Bush, fidèle à lui-même, s’était évidemment totalement mélangé les pinceaux en voulant prononcer une phrase trop longue – la phrase exacte étant approximativement « Trompez-moi une fois, honte à vous. Trompez-moi deux fois, honte à moi » - NdT)
Bush aurait du demander conseil auprès de Karl Rove et toute sa clique de prédateurs qui ne peuvent absolument pas s’empêcher de mentir en permanence pour tromper l’opinion publique. Et il aurait du réfléchir aussi à sa propre présidence, aussi absurde qu’improbable, avant de tenter de citer Pete Townshend. Sans parler du présent. Nous savons pourquoi le Parti Républicain est obligé de mentir et pourquoi il ne peut s’empêcher de le faire. Même dans l’Amérique contemporaine, qui est sans doute le pays le plus stupide de la planète, les homo sapiens ont encore suffisamment de jugeote pour refuser les cas de plus flagrants d’auto-immolation. Si les Républicains kleptocrates disaient la vérité, qui irait voter pour eux, à part les 2% d’Américains les plus riches ?
Le grand mystère est celui-ci : pourquoi les gens tombent-ils encore et encore dans le même panneau ? C’est justement ce concept de « honte à moi » que le Petit George avait tant de mal à formuler (c’est dommage, il aurait du profiter de son passage à l’université de Yale pour étudier un peu). Combien de fois peut-on entendre les mêmes idioties et les avaler bêtement comme une bande d’imbéciles ?
Il semblerait qu’en ce qui concerne les Américains, et si on se réfère au nouveau manifeste « Sermon à l’Amérique » récemment publié par les Républicains (et que j’aurais pu rédiger moi-même tant son contenu est prévisible), il n’y a pas de limites. Le manifeste est surchargé de débauche et de destruction déguisées en piété et patriotisme. Mais c’est la folie fiscale qui est la plus flagrante. Peuvent-ils réellement promettre une fois de plus le vieux truc de vaudou économique – réduire les impôts tout en réduisant les déficits – et s’en sortir ? Oui, ils le peuvent et oui, il l’ont déjà fait.
Leurs mensonges sont peut-être plus crédibles parce qu’ils ont promis de réduire les dépenses. Mais il y a juste deux petits problèmes qu’ils espèrent que personne ne remarquera. Le premier, c’est qu’ils ont miraculeusement oublié de préciser à l’avance de quelles réductions ils parlent. Hum, je me demande pourquoi. Serait-ce parce que si les gens le savaient, ils en seraient épouvantés ? Ou serait-ce – ce qui nous mène directement au deuxième petit problème – que leurs propositions sont aux mathématiques ce qu’un objet tombant vers le haut serait aux lois de la physique ?
Comme l’a remarqué Paul Krugman, le Sermon Républicain affirme que « tout doit être réduit, sans préciser comment – sauf dans les domaines communément admis tels que les personnes âgées, les vétérans et les troupes ». En d’autres termes, la Sécurité Sociale, Medicare et le Budget de la Défense ne sont pas concernés. [Krugman a oublié de mentionner le remboursement de la dette qui représente aujourd’hui un des plus gros postes du budget et qui est intouchable] Alors, que reste-t-il ? Howard Gleckman du centre indépendant Tax Policy Center a fait les comptes. Comme il le souligne, la seule façon d’équilibrer le budget d’ici 2020, tout en a) maintenant les réductions d’impôts instaurées par Bush et b) préservant tous les programmes que les Républicains ont promis de ne pas toucher, serait de supprimer purement et simplement tout le reste du gouvernement fédéral : « Plus de parcs nationaux, plus de prêts aux PME, plus de subventions aux exportations, plus d’Instituts de Santé. Plus de Medicaid (dont un tiers du budget est consacré aux soins de longue durée et autres handicaps). Plus de santé infantile ou de programmes d’aide alimentaire aux enfants. Plus de construction d’autoroutes. Plus de Homeland Security. Ah oui, et aussi plus de Congrès. »
Et pourtant – évidemment – les sondages indiquent que les types qui font la promotion de toutes ces conneries vont gagner les élections. Tandis que les municipalités à travers le pays sont en train de fermer boutique, en supprimant la totalité de leurs services, le Parti Républicain présente comme candidats d’anciens sorciers, des opposants à la masturbation, des racistes, des producteurs de matchs de catch et autres dérangés du cerveau et arnaqueurs en tous genres qu’on peut trouver dans les bas-fonds où assassins et voleurs se côtoient.
Je suis désolé de le dire mais, à voir le paysage politique, ça sent le fin de règne. Là où il avait jadis un empire et des idées réellement révolutionnaires, il n’y a plus que les flatulences produites par un ballon qui se dégonfle à toute allure.
Et ce n’est pas un hasard si la droite dite « Tea Party » et ses partisans sont obsédés par les impôts. C’est de la cupidité à l’état pur, plus infantile qu’un bac-à-sable et aussi destructrice qu’il est possible de l’être. Oliver Wendell Holmes a écrit que « les impôts, c’est ce que nous payons en échange d’une société civilisée ». Et il le croyait. A sa mort, il a légué tous ses biens au gouvernement des Etats-Unis.
Ce qui est en train d’arriver aux Etats-Unis n’est rien de moins que le démantèlement de cette société civilisée. Est-ce que quelqu’un pense que l’économie du pays se porte mieux aujourd’hui que dans les années 50 ou 60 ? Est-ce que quelqu’un pense réellement que la Génération du Millénium vivra mieux que leurs parents ? Est-ce que quelqu’un parierait aujourd’hui sur l’économie des Etats-Unis ? Est-ce que quelqu’un pense que les prochains cents ans seront le Siècle Américain ?
Il y a tant de tragédies dans cette affaire qu’il est difficile de décider par où commencer. La partie la plus triste de toute cette sombre histoire est que tout est entièrement de notre faute et, par conséquence, toutes les souffrances endurées par le passé étaient inutiles et que des souffrances encore plus grandes nous attendent. Rien n’était écrit d’avance, ce qui ne fait que rendre la situation encore plus pathétique.
S’il existe une lueur d’espoir, ce serait que les hooligans de la droite échouent lamentablement au gouvernement, ce qui offrirait au moins l’espoir de les voir perdre à nouveau.
Ce serait intéresserait – je le dis en tant qu’observateur de la politique et pas en tant que citoyen – de voir quel budget les Républicains vont proposer à la Chambre des Représentants ("chambre basse" du Congrés US - NdT) une fois qu’ils en auront pris le contrôle. Comme pour Reagan et Bush avant eux, leurs chiffres ne colleront pas. Cependant, contrairement à Reagan et Bush, ils n’auront pas le luxe de faire appel aux déficits irresponsables pour camoufler leurs mensonges puisque la réduction du déficit est devenue la proposition principale de leur campagne. Les cinglés de la droite Tea Party ne leur feront probablement pas de cadeaux, contrairement aux fois précédentes, et leur rappelleront leurs promesses électorales. Quelle ironie, n’est-ce pas ? Le seul espoir de faire rendre des comptes à ces monstres viendra de monstres issus de leur propre camp.
En admettant que le Parti Républicain arrive à contourner le problème (en proposant par exemple un budget fictif si draconien que les Démocrates au Congrès ou Obama ne pourront que le rejeter), je pense qu’ils récidiveront en 2012. Si la situation du chômage ne s’améliore pas radicalement en 2011 – et aucun économiste à ma connaissance ne le prévoit – Obama sera grillé. En fait, il est probablement déjà si mal en point qu’on peut s’attendre à voir des Démocrates se présenter contre lui lors des prochaines élections primaires. Mais ça n’a pas d’importance. De toute façon, quel que soit le prochain candidat Républicain, celui-ci sera élu président.
Et c’est là que je commence à m’affoler. Les gouvernements qui conjuguent à la fois une détermination à s’accrocher au pouvoir à tout prix et une absence totale de véritable politique ainsi qu’une volonté sans scrupules de tout faire pour répondre à leurs véritables aspirations sont vraiment effrayants. Et l’Histoire nous suggère que les années qui suivront 2012 seront celles où les derniers oripeaux de la démocratie aux Etats-Unis seront arrachés.
Mais cela pourrait être encore pire, pour nous et pour les autres. La perspective d’un empire éminemment puissant qui s’en prendrait au reste du monde – par rage ou pour tenter de faire diversion sur les problèmes internes – n’annonce rien de bon. La super puissance Soviétique a eu au moins l’élégance d’imploser sans faire trop de dégâts. Je ne suis pas du tout convaincu que nous, les Yankees, serons aussi polis.
Les paroles de John le Carré, écrites à la veille de l’invasion de l’Irak par Bush, me hantent l’esprit : « l’Amérique est entrée dans une de ses périodes de folie historique, mais de mémoire, celle-ci est la pire : pire que le McCarthysme, pire que la Baie des Cochons et à long terme potentiellement plus désastreuse que la Guerre du Vietnam. »
Malheureusement, je pense qu’il avait raison, sauf pour le mot « périodes » - qui implique que la situation est temporaire, ce qui la rendrait en quelque sorte plus supportable.
Et si la situation ne faisait qu’empirer ?
Soyons honnêtes. Etant donné la nature des Républicains, des Démocrates, des médias et de l’opinion publique aujourd’hui aux Etats-Unis, pourquoi en serait-il autrement ?
David Michael Green
http://www.regressiveantidote.net/A...
Traduction VD pour le Grand Soir
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