Le Monde 24 septembre 2011 - L'historien Rashid Khalidi, titulaire de la Chaire Edward Said d'études arabes à l'Université Columbia à New York, a été le conseiller de la délégation palestinienne à Madrid et à Washington de 1991 à 1993. Il a enseigné à Chicago où il était un ami personnel de Barack Obama.
Quelle est votre réaction au discours du président Obama à l'ONU?
Il a été déprimant d'entendre le président chanter les libertés nouvelles des peuples du Soudan du Sud, de la Côte d'Ivoire, de la Tunisie, de l'Égypte et de la Libye tout en disant aux Palestiniens que leur liberté dépend de leur habilité à faire des contorsions pour les occupants israéliens et leurs amis américains.
Tout aussi déprimant fut la litanie des souffrances subies par les Israéliens, alors qu'il n'y eut aucune mention des difficultés des Palestiniens dans un conflit dont la dernière explosion de violence, en 2008-2009, a fait plus de 1300 morts du côté palestinien et 13 du côté israélien. Le discours a été tristement typique et, en même temps, une nouvelle illustration des raisons pour lesquelles la politique américaine a été et reste un obstacle majeur à une paix durable et juste au Proche-Orient.
Les pressions sur Mahmoud Abbas ont été intenses. Pouvait-il accepter une solution de repli?
Les pressions ont été fortes de la part des Américains, des Israéliens, des Européens, mais on oublie que Mahmoud Abbas est soumis à des pressions encore plus fortes de l'intérieur. La ligne stratégique des dirigeants de l'OLP — même avant Madrid ou Oslo —, c'était de négocier sous l'égide des Américains. On a maintenant vingt ans de faillite de cette stratégie. Les résultats sont clairs pour tout le monde, sauf aux États-Unis!
On a maintenant 600 000 colons là où on en avait 200 000 en 1991. Les Palestiniens ne peuvent pas aller de Gaza à Jérusalem. En 1991, on louait une voiture à Ramallah, on allait à Gaza, on passait par Israël, on allait à Nazareth... Je l'ai fait avec des plaques des territoires occupés en Israël. Aujourd'hui, c'est impensable. On est dans une situation d'occupation renforcée et on parle de paix? Les négociateurs ont échoué. Leurs rivaux — le Hamas — aussi ont échoué. Le besoin de faire quelque chose peut être plus fort que les pressions extérieures.
M. Abbas a réussi à s'échapper de la prison où les Américains voulaient l'enfermer. D'abord, en proposant qu'on renvoie la question de la Palestine dans son contexte international et en suggérant que le contrôle exclusif des États-Unis peut nuire et être quelque chose de négatif. Ensuite, en fondant les efforts sur les résolutions de l'ONU, et non pas sur un «cadre» (framework) comme depuis Madrid et Oslo.
Est-ce que les États-Unis peuvent accepter de ne plus être les seuls garants du processus de paix?
Non, ils ne vont pas accepter de céder leur hégémonie sur ce processus stérile. Mais le courant de l'histoire est contre eux, parce que tout le monde (sauf la classe politique américaine) reconnaît que leur politique a échoué et qu'ils ne peuvent pas aboutir à une paix juste. C'est un processus qui est en bout de course. Le processus américain est fini.
M. Abbas est venu au forum multilatéral. Il est sorti du seul contrôle américain. Il est entré dans la logique des Nations unies, où il y a d'autres bases et d'autres principes de négociation. Nicolas Sarkozy, lui aussi, a estimé que le monopole américain sur ce processus doit finir et qu'un forum multilatéral est nécessaire pour la résolution du conflit.
Craignez-vous des mesures de rétorsion?
Il va y avoir des pressions énormes pour renvoyer les Palestiniens «dans leur réserve». Le Congrès peut couper l'aide aux Palestiniens. Mais pour ce qui est de la fermeture du bureau de l'OLP à Washington, c'est du ressort du département d'État, donc de l'exécutif. Quant à la possibilité de violences, c'est faux. Les Palestiniens ne sont ni stupides ni naïfs. Ils savent que rien ne va changer, même si on passe les meilleures résolutions qui soient au Conseil de sécurité.
Il y a beaucoup d'intox sur la flambée de violence. Chez les partisans d'Israël aux États-Unis, une partie de cette hystérie est sincère. Ils voient à juste titre qu'Israël est plus isolé que jamais dans le passé. Mais ce n'est quand même pas la fin du monde si les Nations unies passent une résolution. À l'Assemblée générale, 130 pays reconnaissent déjà la Palestine. Ça ne va pas changer grand-chose.
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Propos recueillis par Corine Lesnes
Mahmoud Abbas à l'ONU
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