Éloge de la paresse

« Notre avenir, un dialogue public »


À force de dire que les Québécois sont des paresseux et qu'ils vivent au-dessus de leurs moyens, le reste du Canada finit par le croire.

Il y a du curé manqué dans les admonestations de Lucien Bouchard au peuple québécois. «Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front», dit Dieu à Adam. Autrement dit, si tu veux manger à ta faim, il te faudra travailler.
Depuis ce temps-là, le travail a une vertu rédemptrice. On m'enseigna même qu'arriver en retard au travail, ou paresser sur le métier, c'était «voler» le patron. Donc un péché...
Mais on m'apprit aussi que la richesse se crée par l'action conjuguée du travail et du capital. Lucien Bouchard ne parle pas beaucoup de la responsabilité des détenteurs du capital dans son sermon. Oserai-je penser qu'il ne voulait pas offenser ses clients? Toujours est-il que, dans cette province qui a été vidée de ses sièges sociaux et que les cinq plus grandes banques canadiennes ont abandonnée, le capital est rare. Et s'il n'y a pas d'argent pour construire de nouvelles usines, acheter de nouvelles machines, ouvrir des laboratoires et financer la recherche, il se créera moins de richesse qu'ailleurs.
Le message, incomplet et culpabilisant, n'est pas entièrement faux. Seulement quatre des six millions de Québécois en âge de travailler - 15 ans et plus - sont «actifs». Et ceux qui travaillent le font moins longtemps que leurs parents et que leurs grands-parents. Lucien Bouchard attribue ce phénomène à une collectivité «en panne de rêve et [qui] se réfugie dans le déni et l'immobilisme...» Ce n'est pas comme cela qu'on va au paradis, semble-t-il dire.
Ce discours misérabiliste donne la fausse impression que les Québécois sont des «paresseux» - Lucien Bouchard ne l'a pas vraiment dit, mais tout le monde l'a compris ainsi. Ce faisant, il ne tient pas compte du fait que des jeunes veulent mettre plus de temps à obtenir un diplôme, que des couples souhaitent rester plus longtemps avec leurs enfants, que des semi-retraités se lancent dans le bénévolat. Et que la recherche du bonheur ne se comptabilise pas dans les statistiques.
Il y a de l'incompréhension pour ses contemporains chez cet homme qui disait, en octobre 1995: «Pensez-vous que ça a du bon sens qu'on ait si peu d'enfants au Québec? On est une des races blanches qui a le moins d'enfants...» Voilà encore une idée de curé: la femme est la virgo genitrix qui assure la survie de la race! Mais il n'en est pas à une contradiction près...
Le taux d'activité des Québécoises n'est que de 60%, comparativement à 72% pour les hommes. Une des premières raisons qui vient à l'esprit pour expliquer cette différence est le temps que consacrent les femmes à concevoir, à porter et à cajoler leurs bébés. Or, cet homme qui se plaint aujourd'hui qu'on ne travaille pas assez voulait, en 1997, alors qu'il était premier ministre, «offrir la possibilité à tous les parents, quel que soit leur statut de travailleur, de se consacrer à temps plein aux soins de leur nouveau-né ou de l'enfant qu'ils viennent d'adopter».
Les dernières déclarations de Lucien Bouchard ne sont pas passées inaperçues dans le reste du Canada. «Le Québec dans son ensemble vit au-dessus de ses moyens», conclut le Globe and Mail dans un éditorial percutant qui s'en prend aussi au «mythe» du déséquilibre fiscal. Voilà l'argument qui ressort souvent, en Ontario en particulier, pour dénoncer la générosité du gouvernement fédéral à l'endroit du Québec, ou pour bloquer toute réforme du programme de péréquation.
Le fameux «modèle québécois» dérange bien du monde, évidemment. Une partie de la dette publique, qui obsède tant Lucien Bouchard, vient peut-être de la générosité des programmes sociaux et des subventions aux industries. Elle vient également de la construction d'écoles, d'universités, d'hôpitaux, qui seront légués à nos enfants.
Il arrive aussi que le Québec se paie des politiques «au-dessus de ses moyens», mais que ce soit l'ensemble du Canada - voire la planète tout entière - qui en profite! Lorsqu'en juin dernier Jean Charest a présenté son plan d'action sur les changements climatiques - et annoncé le versement de 200 millions de dollars par année jusqu'en 2012 dans le Fonds vert -, on n'a pas entendu beaucoup de protestations dans le reste du Canada. C'est quand même mieux que de produire du pétrole ou de faire de l'électricité avec du charbon.
On est peut-être pauvres, au Québec, mais on sait aussi se montrer responsables et solidaires de l'humanité tout entière...


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