Crise sanitaire : Monsieur le Président, la liberté d’expression reste essentielle

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C'est en temps de crise qu'il faut poser des questions

Dans une situation de "guerre", la première question que l’on pose en arrivant est : "Qui est en responsabilité ?" Le fameux who is in charge ? des anglo-saxons. Le président de la République le dit : il est aux manettes. S’exprimant depuis une usine de fabrication de masques FFP2 du Maine-et-Loire, il a semblé vouloir reprendre la main politique dans un contexte où la colère est grande. En particulier chez des soignants pour qui "il faudra rendre des comptes". Ils le disent aussi, ce n’est pas le moment. Pourquoi ? Ils sont en "première ligne", pour reprendre le vocabulaire de la présidence, sur le front d’une guerre. Ils se battent, donc. Ils sauvent des vies. Les critiques, ce que le président de la République appelle "un procès" fait à l’exécutif, ne proviennent pas uniquement des soignants mais de toutes les strates de la population. Elles viennent aussi de ceux que le président nomme avec un brin de mépris "les commentateurs". Le président de la République est un homme cultivé, féru de lettres et de philosophie. Il ne peut l’ignorer, le mépris est un miroir qui n’a qu’un reflet : il est par nature méprisable.


La crise sanitaire que nous vivons devrait-elle conduire chacun à se taire ? Évidemment, non. Ce n’est d’ailleurs pas cela que le président demandait le 31 mars, plutôt que nous acceptions sans discuter le récit de l’Elysée et de l’exécutif, son storytelling, sa façon de réécrire l’Histoire en cours et que nous oublions les multiples dysfonctionnements de l’administration en place. Rien de neuf depuis 2017 : la démocratie consisterait à penser comme l’Elysée et débattre reviendrait à écouter Emmanuel Macron, micro en main, manches de chemises relevées. Or, n’en déplaise au président de la République, en démocratie libérale et représentative, en période de crise ou non, la parole est libre. Confondre le débat avec le procès, la discussion avec l’accusation, le questionnement avec la mise en cause est un signe inquiétant envoyé à une nation à laquelle le président demande pourtant d’être unie, tentant de se vêtir des habits d’un Mitterrand, après avoir essayé ceux du général de Gaulle, répétant sans cesse "nous sommes en guerre". Les habits paraissent toujours trop grands et, au-delà des tragiques évènements actuels, cela restera comme un trait majeur de cette présidence.


La mondialisation n’est rien d’autre qu’une idéologie


Les propos du président de la République appellent plusieurs remarques. La déclaration du 31 mars contient des inexactitudes. Premièrement, il n’est pas exact de dire que la crise sanitaire actuelle est inédite. Sans se référer aux grandes crises épidémiques et historiques, des crises sanitaires récentes ont alerté le monde : l’épidémie du SRAS apparue elle aussi en Chine en 2002 et qui a duré jusqu’à 2004, faisant des victimes essentiellement en Asie du Sud-Est ; l’épidémie de MERS-Cov qui touche le Moyen-Orient depuis 2012. Ces coronavirus sont de la même famille que le Covid-19 et leur propagation, bien que nous n’ayons pas été touchés, a été rapide. Personne ne doute que les scientifiques occidentaux ont pris la mesure des dangers de ces virus à l’échelle planétaire. Où étaient les gouvernements ? Avant 2017 ? Et depuis ? Plus simplement : l’alarme sur la situation catastrophique de l’hôpital et sur celle des Ehpad a sans cesse été lancée depuis 2017, avec pour seule réponse la "nécessité" de mettre en place des "hôpitaux entreprises", ce qu’ils ne peuvent pas être, les soignants le disaient haut et fort, l’exécutif ne voulait rien entendre, chacun le comprend mieux maintenant. Des lits de réanimation vides en tant normal ne sont pas une perte d’argent mais une assurance sur nos vies, fragiles. Des stocks de masques FFP2 sont du domaine de la stratégie, pas de l’économie, et pas seulement en termes d’épidémies mais aussi de risques d’attentats bactériologiques, et personne ne peut croire qu’un état des lieux stratégiques dans tous les domaines n’a pas été fait en 2017. Sans quoi, c’est d’incompétence généralisée dont nous parlons.


Ensuite, il n’est pas exact d’affirmer que ce que nous vivons ne pouvait être imaginé par personne. La crise sanitaire est une crise mondialisée de la mondialisation. "Nous apprenons", dit le Président ? Nous découvririons que la mondialisation fondée sur la libre circulation des hommes, des marchandises, des informations et des capitaux aide aussi la libre circulation des virus ? Une mondialisation qui avait cessé d’être "heureuse" avant la pandémie, avant même les présidentielles de 2017, cette « mondialisation heureuse » qui formait le socle du programme électoral du candidat Macron. Ce que je veux dire ici ? C’est cette conception du monde qui explique pourquoi nous sommes si peu préparés à affronter une pandémie de cette nature, et nous aurions été aussi peu préparés à affronter toute autre catastrophe pour une même raison : l’idéologie. La mondialisation n’est rien d’autre qu’une idéologie. La responsabilité de la pandémie n’est pas liée à cette idéologie mais la facilité avec laquelle elle se déploie l’est. Or le chef de l’Etat, l’exécutif et le législatif français actuels sont en charge de cette idéologie en France. C’est le programme politique qu’ils ont promu depuis 2017.


La question n’est pas de faire un "procès" mais de simplement dire les faits : l’exécutif actuel a mené une politique de restriction budgétaire des structures sanitaires françaises à toutes les échelles, politique que défendait déjà Emmanuel Macron alors ministre de l’Economie sous la présidence Hollande. Une politique menée dans le cadre de la mondialisation à outrance et de l’application de ses dogmes par l’Union Européenne. Si la "guerre" que nous menons est si difficile et si chacun peut à n’importe quel moment en mourir, si chacun risque d’avoir dans sa famille ou dans son entourage des victimes de cette guerre, la responsabilité en incombe à ceux qui sont "en charge" de l’application de cette idéologie, comme à ceux qui l’ont été hier. La crise sanitaire passée, si elle passe, ce ne seront pas de vagues commissions contrôlées par une majorité parlementaire aux ordres qui suffiront. Il conviendra en effet de reparler de "souveraineté", laquelle appartient au peuple Français.


Le dire a postériori serait facile ? Le président de la République n’est pas sérieux quand il affirme cela. Dès avant 1992, les souverainistes de toutes les couleurs politiques, puis souverainistes dits "des deux rives" en 2002, entre autres, puis le peuple Français dans sa majorité en 2005, l’ont affirmé, et encore lors de toutes les élections en votant majoritairement aux premiers tours contre la mondialisation malheureuse : cette idéologie conduit à des catastrophes à l’échelle mondiale. Le bon sens le savait et le disait, des hommes politiques et des "commentateurs" aussi et, oui, Monsieur le Président, ils avaient raison. Ce qui est facile maintenant n’est pas de prétendre avoir eu raison une fois que la crise est là. Ce qui est facile est de prétendre qu’il y a toujours des donneurs de leçons à postériori. Vous le reconnaissez vous-même, Monsieur le Président : la France a besoin de recouvrer sa "souveraineté nationale". Mais vous ajoutez "européenne". Vous ne l’avez pas encore compris : la souveraineté ne peut s’exercer que dans le cadre de la nation, un mot dont le sens est double, "pays" et "peuple". Or, s’il y a sans aucun doute une aire civilisationnelle européenne, il n’existe pas de peuple européen, ce n’est qu’une fiction, comme le fut le peuple soviétique, et comme l’est cette mondialisation dont le coronavirus est le Mur de Berlin s’écroulant.


Et si vous le disiez simplement : comme certains d’entre vous, je me suis trompé.


Vouloir redonner à la France sa souveraineté, c’est lui redonner une souveraineté sanitaire, monétaire, sécuritaire, militaire, politique, linguistique ainsi que des frontières, et reconnaître la réalité de sa culture propre. Un peuple et un pays ne peuvent être "en même temps" souverains à différentes échelles, et ils ne peuvent pas l’être si les attributs fondamentaux de la souveraineté lui sont enlevés. Se pose alors la question du chef de guerre que vous voulez être, Monsieur le Président. De Gaulle disait : "Je suis la France." Se pose aussi celle de votre capacité de remise en question. Et si vous le disiez clairement aux Français ? La voie de la mondialisation que nous avons suivie et en laquelle vous avez cru dur comme fer, ainsi que celle de l’Union Européenne comme espace de fraternité, est dramatiquement erronée, les italiens viennent d’en faire l’amère expérience tandis que les chinois et les américains viennent à notre secours.


Et si vous le disiez simplement : comme certains d’entre vous, je me suis trompé. De quoi réunir réellement la France et les Français.