CONVOI DES CAMIONNEURS

D’ex-agents de la GRC et d’ex-militaires parmi les organisateurs du convoi, selon des experts

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La présence de ces hommes explique le haut degré d'organisation du convoi


Parmi les personnes impliquées dans l'organisation de la manifestation des camionneurs à Ottawa se trouvent d'anciens agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et d’anciens militaires, soutiennent des experts.




Depuis près de deux semaines, des manifestants opposés à la vaccination obligatoire contre la COVID-19 et leurs gros camions se sont installés dans le centre-ville d’Ottawa et dans plusieurs secteurs de la ville.


Bien que la police ait tenté de couper l’approvisionnement de ceux qui sont stationnés près de la colline du Parlement, les manifestants semblent garder le dessus sur les forces de l’ordre.


Un succès que des experts attribuent en partie à une connaissance approfondie des forces de l'ordre et des tactiques militaires parmi certains organisateurs du convoi.


Un homme avec un drapeau devant un camion pendant une manifestation.

La manifestation des camionneurs se poursuit à Ottawa.


Photo : Radio-Canada / Christian Milette




Le groupe Police on Guard, qui s’est formé pendant la pandémie, a appuyé le convoi de camionneurs. Sur son site Internet, il rend publics les noms de plus de 150 policiers, pour la plupart à la retraite, qui s'opposent aux mesures d'urgence imposées par le gouvernement, telles que la vaccination obligatoire. Plus de 50 anciens soldats des Forces armées canadiennes sont également nommés sur son site.







L'organisation dit être présente sur le terrain à Ottawa et a ajouté des vidéos YouTube de ses membres qui participent à la manifestation.


L'équipe des organisateurs de la manifestation, qu’ils ont baptisée le Convoi de la liberté, comprend notamment :



  • Daniel Bulford, un ancien agent de la Gendarmerie royale du Canada qui faisait partie du service de sécurité du premier ministre et qui a démissionné, l'année dernière, après avoir refusé de se faire vacciner. Il est le chef de la sécurité du convoi.

  • Tom Quiggin, un ancien officier du renseignement militaire qui a également travaillé avec la Gendarmerie royale du Canada et qui était considéré comme l'un des meilleurs experts de la lutte contre le terrorisme au pays.

  • Tom Marazzo, un ancien officier militaire qui, selon son profil LinkedIn, a servi dans les Forces armées canadiennes pendant 25 ans et travaille maintenant comme développeur de logiciels indépendant.


Des relations étroites avec la police, selon les organisateurs


Les organisateurs de la manifestation refusent les entrevues, à moins que celles-ci ne soient menées par des journalistes considérés comme favorables à leur cause, et le diffuseur public a été exclu de leurs points de presse.


Dans une vidéo publiée lors de l’une de ces conférences de presse diffusées sur les réseaux sociaux, Tom Quiggin évalue la réponse politique et policière, qu'il appelle l'opposition, au mouvement d’Ottawa.







Je dirais que l'opposition, à ce stade-ci, n'a pas vraiment de stratégie. Ils se sont juste donné un petit objectif et veulent que les rues soient dégagées, mais ils n'ont aucune idée de ce qu'ils veulent faire pour y parvenir, a-t-il déclaré.


Pendant son mandat à la Gendarmerie royale du Canada, M. Quiggin a été membre de l'Équipe intégrée de la sécurité nationale (EISN), créée pour contrecarrer les menaces terroristes après le 11 septembre. Au sein de l'Équipe intégrée de la sécurité nationale, il a travaillé aux côtés de hauts fonctionnaires du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le service d'espionnage du Canada, de l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et des forces de police municipales.


Dans la même vidéo, il revient sur les barrages actuels au passage frontalier à Coutts, en Alberta, et aux manifestations parallèles qui se sont déroulées à Toronto, à Québec et à Sarnia.


Je pense que nous allons voir les gens commencer à aller voir le gouvernement pour lui dire de régler la situation. Et s'ils ne le font pas, cela voudra dire que nous avons le pouvoir de fermer boutique, a lancé M. Quiggin.


Des manifestants parlent avec des policiers.

Des manifestants en discussion avec des policiers lors de la manifestation des camionneurs à Ottawa


Photo : Radio-Canada / Michael Charles Cole




Dans la même vidéo, M. Bulford se vante auprès des journalistes sélectionnés de sa relation étroite avec la Gendarmerie royale du Canada, les Services de protection parlementaire, la police d'Ottawa et la police de Gatineau. Il exhorte les manifestants à rester pacifiques et à fraterniser avec les officiers en patrouille.


[La police] sait que ce groupe est là pour les gens, et je tiens à dire aux autres policiers, quand je les vois, qu’il faut qu’ils sachent que dans mon esprit et dans mon cœur, je le fais aussi pour eux, explique M. Bulford.


La police n'a pas commenté les conversations qu'elle aurait pu avoir avec MM. Quiggin ou Bulford.


Une formation militaire, policière ou survivaliste, selon un expert


Professeur de criminologie à l'Université d'Ottawa, Michael Kempa affirme que l’expertise policière et militaire du convoi se reflète dans la coordination de son occupation du centre-ville.


Ils ont ce genre de formation militaire ou policière ou au moins survivaliste. Regardez à quel point ce qu’ils ont mis en place comme campement au centre-ville est sophistiqué, explique M. Kempa, qui étudie la police à travers le Canada. Cela ressemble à une opération militaire.


À titre d'exemple, M. Kempa mentionne les tentes et les structures en bois utilisées pour les cuisines et la chaîne d'approvisionnement qui a vu le jour dans toute la ville pour nourrir les gens et manifester.


Des bidons d'essence devant des camions stationnés les uns à côté des autres et recouverts de pancartes.

Des images de la manifestation des camionneurs à Ottawa le 9 février 2022


Photo : Radio-Canada / Alexis Tremblay




Le professeur estime que la police a commis une grave erreur en permettant aux camions de se rendre aux abords de la colline du Parlement.


La police a qualifié ces camions lourds d'armes potentielles, mais ce sont également des outils essentiels pour transporter du matériel, comme des « deux-par-quatre » pour construire des abris, du bois de chauffage et des barils pour garder les manifestants au chaud et des réservoirs de propane pour les barbecues.


Au centre-ville, des voitures et des camions dont les pneus ont été enlevés bloquent les rues. Pour M. Kempa, le stationnement de ces véhicules n'est pas aléatoire, mais plutôt stratégique dans la mesure où ils peuvent empêcher les infiltrations policières.


Un camion dont les roues ont été enlevées stationné au milieu de la rue.

Au centre-ville d'Ottawa, des voitures et des camions dont les pneus ont été enlevés bloquent les rues.


Photo : Radio-Canada / Alexis Tremblay




Les résidents ont remarqué que des manifestants se relayaient pour monter dans les cabines de camions en marche afin de faire retentir des klaxons. Ce son a été entendu à toute heure, jusqu'à ce qu'une injonction du tribunal, plus tôt cette semaine, force les manifestants à une pause temporaire.


La police d'Ottawa affirme qu'il y a actuellement plus de 400 camions stationnés au centre-ville et qu'ils ne peuvent les déplacer, car les remorqueurs qui travaillent habituellement avec la Ville refusent d'aider. La présence de familles avec des enfants au sein du convoi rend les choses encore plus difficiles.


Ce ne sont pas des manifestants ordinaires, dit M. Kempa.


Intervention au camp de Coventry


Le meilleur exemple de la coordination qui règne au sein de la manifestation se trouve peut-être au camp mis en place par les manifestants à seulement six kilomètres à l'est de la colline du Parlement, près du stade de baseball, sur le chemin Coventry.


Le propriétaire de l'équipe de baseball Titan, Regan Katz, explique que c’est la Ville qui lui a demandé d’utiliser ce terrain pour stationner temporairement certains camions afin de réduire la congestion dans le centre-ville. Au départ, la police lui a précisé n’avoir besoin du terrain que le temps d’un week-end. Mais finalement, les camionneurs ne sont jamais partis.


BBQ, bois de chauffage et bonbonnes de propane sur un terrain.

BBQ, bois de chauffage et propane près des campements des camionneurs au site Coventry


Photo : Radio-Canada / Raphael Tremblay




Au lieu de ça, ils se sont créé un véritable centre d'approvisionnement.


Au camp de Coventry, plusieurs tentes ont été installées, deux semi-remorques servent à stocker de la nourriture et on trouve des rangées de toilettes chimiques.


Lorsque les cargaisons de diesel, d'essence et de propane arrivaient, les bénévoles transféraient le carburant dans des centaines de bidons rouges et jaunes transportés vers le centre-ville pour être distribués aux camionneurs afin qu'ils puissent continuer de faire tourner leurs véhicules.


De la nourriture stockée dans un camion.

L'intérieur de l'un des deux semi-remorques remplis de nourriture au camp des manifestants du chemin Coventry, à Ottawa, le 6 février 2022


Photo : Radio-Canada / Judy Trinh




Avec des températures qui peuvent parfois chuter jusqu'à -30 °C à Ottawa, au moins trois saunas ont été transportés au camp, par camion, afin que les manifestants puissent rester au chaud.


Dimanche soir, alors que les manifestants se rassemblaient pour le dîner, des dizaines d'agents, dont certains portaient des fusils antiémeute capables de lancer des projectiles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes, ont fait une descente dans le camp. Afin de tenter de couper la voie d'approvisionnement des manifestants, la police dit avoir saisi 3700 litres de carburant et deux véhicules dont un réservoir de diesel.


Des policiers avec des armes et des gilets pare-balles dehors, lors d'une intervention en hiver dans un camp.

Avec l'aide de la Police provinciale de l'Ontario, la police d'Ottawa a fait une descente dans le camp des manifestants sur le chemin Coventry le 6 février.


Photo : Radio-Canada / Judy Trinh




Mais quelques heures seulement après cette intervention, les manifestants rassuraient leurs partisans.


Les gens sont toujours de bonne humeur. Les dons sont toujours là. Le carburant est toujours là et il arrivera toujours aux camionneurs, a lancé l’un d’eux, Terence Rowland-Dow, dans une vidéo en direct sur Facebook.


Le lendemain de la descente de police, les manifestants ont continué à livrer du carburant aux camionneurs du centre-ville, tout en menant une opération coordonnée pour épuiser les ressources policières. Les manifestants ont tiré des wagons remplis de bidons devant les policiers qui se contentaient de les observer.


Le chef adjoint de la police d'Ottawa, Steve Bell, a expliqué que les manifestants remplissaient d'eau des contenants afin de distraire les agents… et de contrecarrer nos efforts. Un officier a été entouré alors qu'il tentait de confisquer du carburant, selon M. Bell.


La police a sous-estimé les manifestants


Professeur à l'Université Queen's, Amarnath Amarasingam, qui étudie la radicalisation et l'extrémisme, a regardé la diffusion en direct sur Facebook après l’intervention policière. Il dit avoir été impressionné par le niveau de coordination observé. Selon lui, la police a mal évalué la détermination des manifestants du convoi.


Si quelqu'un avait prêté attention au contenu diffusé en ligne qui a mené à ce convoi, il ne l'aurait pas sous-estimé.


M. Amarasingam souligne que les manifestants ont constamment exprimé leurs intentions sur les réseaux sociaux. Il pense que la police a d'abord voulu les apaiser, anticipant que ceux-ci se livreraient à des violences.


Au lieu de ça, les manifestants ont enfreint de nombreux règlements comme d’uriner, de déféquer et de boire de l’alcool sur la voie publique, ainsi que de refuser de porter le masque. Mais la plupart de leurs actions n'ont pas franchi la ligne des infractions pénales, entraînant de simples amendes, mais pas de peines de prison.


Des manifestants sur un camion brandissent des drapeaux devant le parlement d'Ottawa.

Jusqu'ici, les actions des manifestants n'ont pas franchi la ligne des infractions pénales.


Photo : Radio-Canada / Brigitte Bureau




L'approche [de la police] était : vont-ils prendre d'assaut le gouvernement? Vont-ils faire quelque chose d'extrêmement violent? Je ne pense pas que, depuis le début, cela ait été nécessairement leur objectif, analyse M. Amarasingam. Ils voulaient surtout paralyser la ville.


Il estime que le convoi a les moyens de poursuivre son opération indéfiniment. Depuis que GoFundMe a annulé leur première collecte de fonds, leur objectif est désormais de collecter 16 millions de dollars américains sur la plateforme chrétienne de financement participatif GiveSendGo et ils sont arrivés à plus de la moitié de leur objectif.


À moins d’un effondrement interne de l'organisation, M. Amarasingam redoute que tout cela se termine dans la violence.


Soit il y a des arrestations massives et de la violence dans les rues, soit la violence dans les rues entraîne des arrestations massives et potentiellement une intervention militaire, prévoit-il.


La police veut des renforts alors que les manifestations se dispersent


Jusqu’ici, la police a procédé à 23 arrestations, donné plus de 1500 contraventions et lancé plus de 80 enquêtes criminelles. M. Bell a qualifié les manifestants toujours sur place de dangereux et imprévisibles.


La police estime avoir besoin de 1800 personnes en renfort supplémentaire de la part des gouvernements fédéral et provincial pour aider à mettre fin à la crise.


Ces derniers jours, de nouveaux camps ont surgi à travers la ville, dans les stationnements des centres commerciaux et près de la route d'accès à l'aéroport international d'Ottawa. À l'approche de la fin de semaine, on s'attend à ce que la foule sur la colline du Parlement grossisse à nouveau.


Pendant ce temps, les médias américains sont arrivés dans la capitale nationale, alors que le convoi a engendré des manifestations similaires dans d'autres parties du monde et que la crise s'étend bien au-delà d'Ottawa.


Avec les informations de Judy Trinh, de CBC




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