Un défi géopolitique pour Israël

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La nouvelle donne ne fait pas l'affaire d'Israël

Ce furent quelques semaines mauvaises pour Israël. L’équilibre régional du pouvoir qui lui avait été favorable s’est subitement retourné en sa défaveur, alors même que, sur ses frontières, ses adversaires enregistrent rapidement des gains stratégiques.


Au cœur du problème il y a l’obsession d’Israël quant au renforcement croissant de l’Iran dans la région. L’accord nucléaire de 2015, qui mit fin à l’isolement de la République islamique, fut ressenti par l’establishment israélien comme un échec, mais ce qui lui fit le plus mal cet été ce fut la longue suite de victoires politiques et militaires remportées par le Gouvernement de Bachar el-Assad et ses alliés iraniens et du Hezbollah.


Israël envoya donc quelques-uns de ses poids lourds politiques aux Etats-Unis et en Russie pour tenter de reprendre la main sur le terrain.


Ils revinrent de Washington les mains vides n’ayant pu obtenir des assurances que les troupes iraniennes et ses alliées resteraient hors du sud de la Syrie, là où les Etats-Unis et la Russie ont établi, en juillet, une zone de désescalade, près de la frontière israélienne.


Le président israélien Benjamin Netanyahou n’a pas réussi à conclure quoi que ce soit lors de ses entretiens avec le président russe Vladimir Poutine. Les rapports russes décrivant ces entretiens dépeignent un Netanyahou « agité », « émotif » se faisant répondre en des termes incertains par un Poutine calme : « L’Iran est l’allié stratégique de la Russie dans la région ». A Netanyahou, Poutine réserva ce qui pourrait se comparer à quelques miettes : « Israël est aussi un important partenaire de la Russie au Moyen-Orient ».


Le premier ministre israélien et d’autres fonctionnaires hauts placés sont aussitôt passés à l’offensive après cet entretien, en promettant qu’ils allaient « se défendre par tous les moyens » contre les visées de l’Iran en Syrie, menaçant même de détruire les palais d’Assad à Damas.


Mais les Russes n’ont pas oublié qu’après le dernier entretien entre Netanyahou et Poutine en mars, Israël avait immédiatement lancé plusieurs frappes contre leurs alliés en sol syrien, une d’entre elle ayant frappé dangereusement près des troupes russes.


Cette fois-ci, il semblerait que Poutine se soit décidé à tracer une limite claire aux actions d’Israël à la suite de l’entretien avec Netanyahou, les Russes annonçant d’emblée l’existence d’un système défense aérienne unifié avec la Syrie « capable de détruire des cibles dans un rayon de 400 km à une altitude de plus de 35 km ».


Pourtant, les menaces israéliennes n’ont pas cessé. Ainsi, comment expliquer la présente panique d’Israël? Et pourquoi celle-ci s’est amplifiée si rapidement?


LIBAN :


Le Hezbollah, Les Forces Armées Libanaises (FAL) et les Forces Armées Syriennes (FAA) ont clôt la semaine dernière un chapitre long de plusieurs années ; celui de l’occupation de l’Est du Liban par ISIS (Daech) et le satellite d’Al-Qaeda : Al-Nosra. Les trois alliés ont déclenché une guerre éclair, désintégrant Al Nosra en 6 jours, et l’Etat islamique en 9 jours – cela incluant le temps de négociation.


Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah a surnommé cette victorieuse opération anti-terroriste «  la Seconde Libération » – la première étant la libération du Liban occupé par les troupes israéliennes en 2000.


Dans les années précédant cette bataille, le Hezbollah et la FAL ont coordonné des initiatives anti-terroristes au Liban, dans un effort de coopération sans précédent, ceux-ci outrageant autant les Israéliens que les Américains. En effet, la Maison Blanche fournit de l’armement et des formations aux forces de la LAF, mais considèrent la résistance libanaise comme étant un groupe terroriste, même si le Hezbollah fait partie du Parlement et du Cabinet libanais.


La reprise de la frontière stratégique entre le Liban et la Syrie a permis au Hezbollah de redéployer les troupes présentes vers d’autres zones de combat  – incluant la frontière avec Israël. Mais surtout, ce combat abouti à la première reconquête complète d’une frontière syrienne par les FAA depuis le début de la crise en Syrie.


« L’ennemi, a annoncé Nasrallah après le combat (en parlant d’Israël), pleure maintenant ses orphelins et prend conscience de la défaite de ses alliés et de leurs projets en Syrie. »


SYRIE


Le chef du Hezbollah pourrait avoir raison sur ce point. À l’exception du bastion d’ISIS dans l’Est de la Syrie, où les groupes terroristes viennent de perdre des milliers de kilomètres carrés au profit de la SAA et de ses alliés, les terroristes occupent toujours un dernier petit territoire près des hauteurs du Golan occupées par les Israéliens. Ce territoire dans le sud-ouest de la Syrie est aussi le refuge de plusieurs autres groupes terroristes, dont al-Nusra, dont les combattants blessés ont été soignés par les médecins israéliens pendant une bonne partie du conflit.


Les Israéliens ont rarement attaqués Al-Nosra et ISIS, bien que des douzaines de leurs frappes contre les forces alliées à la Syrie aient été signalées. Le ministre de la défense israélienne Moshe Yaalon, a fait les titres de la presse après avoir déclaré en 2016 : « S’il me fallait choisir entre les Iraniens ou l’État Islamique en Syrie, je choisis l’État Islamique ». Certaines communautés israéliennes ont appuyé cette opinion – un récent rapport d’un groupe défendait qu’il fallait maintenir ISIS en place afin de « ralentir la quête iranienne d’hégémonie dans la région ». Étant donné l’obsession d’Israël de contenir l’influence de l’Iran, ce n’est peut-être pas surprenant que la récente série de victoire contre ISIS ait déclenché l’alarme à Tel-Aviv.


Empirant la déception d’Israël, l’accord de désescalade entre les États-Unis et la Russie empêche maintenant toute action belliqueuse contre les forces alliées de la Syrie près de Quneitra ( le Golan syrien), Daraa et As Suwayda – régions maintenant contrôlées par les alliés russes de la Syrie.


JORDANIE


Un centre de désescalade a récemment été instauré à Amman, au Sud du pays, ce qui devrait forcer les Jordaniens à sécuriser et à régulariser leur frontière Nord, commune avec la Syrie. Plus tôt cet été, les Jordaniens étaient partie prenante de l’alliance principalement constituée d’États sunnites voulant écraser l’influence de l’Iran dans la région, alliance dirigée par les Saoudiens (et supportée par Israël). À cette époque, la Jordanie a bruyamment insisté pour que des combattants appuyés par l’Iran s’éloignent de sa frontière avec la Syrie. Mais aujourd’hui, l’alliance sunnite, « l’OTAN arabe », s’est embourbée dans un conflit interne (inter-CCG), et les Jordaniens semblent se réaligner à l’idée de désescalade régionale lancée par la Russie, la Turquie et bien sûr, l’Iran.


Les termes de cette entente de désamorçage régionale entre la Russie et les États-Unis sont secrets, mais les rumeurs disent qu’ils ne contiennent aucune clause spécifique pouvant diminuer le rôle de l’Iran, du Hezbollah ou de leurs milices alliées en Syrie.


Cela signifie qu’Israël ne peut plus compter sur les groupes armés sunnites afin d’obstruer le contrôle gouvernemental sur le Sud du pays. Cela signifie aussi que la Jordanie, qui a rouvert sa douane frontalière de Trebil avec l’Irak la semaine dernière, est maintenant en voie d’ouvrir la douane frontalière de Nasib vers la Syrie. Les revenus commerciaux résultant de ces décisions pourraient contribuer à regarnir les coffres de la Jordanie d’une somme se chiffrant entre 1 et 2 milliards $ – un argument de poids pour encourager les Jordaniens à collaborer avec la Syrie.


TURQUIE


La « diversification » de la politique extérieure jordanienne se réalisa directement après une visite du Président turc Recep Tayyip Erdogan à la ville d’Amman, lui qui fût l’un des plus virulents critiques de Bachar el-Assad, et un important fournisseur d’armes et de combattants islamistes destinés à alimenter le conflit syrien.


Erdogan est maintenant du côté des Russes et des Iraniens, après avoir brièvement manœuvré à l’intérieur de « l’OTAN arabe » saoudien dirigé contre l’Iran. Des médias jordaniens rapportent même que le président turc s’est offert pour coordonner la médiation avec l’Iran afin d’apaiser la méfiance de la Jordanie envers le projet de zone de désescalade.


Comment expliquer ce revirement de situation?


Même si Erdogan n’a pas explicitement approuvé qu’Assad allait finalement diriger la Syrie, ou que les Iraniens auraient un rôle actif au Sud de sa frontière, deux événements régionaux subits ont adoucis ses positions et l’ont ramené dans l’orbite Russie/Iran.


Le premier est la crise majeure ayant englouti les États membres du Conseil  de coopération du Golfe (CCG), ayant comme noyau la discorde opposant l’Arabie Saoudite, les EAU et le Bahreïn au Qatar. Tout comme son allié turc, le Qatar fût un supporteur important des Frères Musulmans, et mène une politique étrangère diversifiée, et ouverte aux relations politiques et économiques avec l’Iran.


La bisbille au CCG a exacerbé les divisions déjà présentes dans la région, qui opposaient jusqu’à récemment deux camps, soit les Pro-Iran et les Pro-Saoudiens. Maintenant, la Turquie et le Qatar forment une troisième équipe et tempèrent ainsi la pression exercée par les Saoudiens et les Émirats Arabes Unis sur avec l’Iran et ses alliés en se réengageant avec eux.


Le deuxième élément décisif est l’appui inconditionnel de Washington envers les combattants des Forces Démocratiques Syriennes dans le nord de la Syrie. Erdogan a insisté auprès des américains pour qu’ils abandonnent leur support à ces kurdes, qui sont en fait une affiliation syrienne du Parti Travailliste Kurde (PKK) en Turquie, une organisation considérée comme étant un groupe terroriste tant par Ankara que par Washington.


Les Américains ont  ignoré les demandes d’Erdogan, malgré le fait que les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont démontré leur intention d’occuper et de fédérer tout le Nord de la Syrie – de l’Irak à la Méditerranée – soit tout le long de la frontière turque.


À propos de cet enjeu, Ankara partage maintenant  une cause commune avec Téhéran, Bagdad et Damas, puisqu’ils sont tous catégoriquement opposés aux aspirations nationalistes des Kurdes. Ce réalignement s’opère alors qu’un référendum d’indépendance kurde est prévu pour la fin septembre en Irak, projet auquel les quatre capitales s’opposent. Israël, qui entretient des liens serrés avec le gouvernement kurde d’Erbil est, à date, le seul pays qui supporte ce référendum. Le Kurdistan est un enjeu stratégique pour Tel Aviv. En effet, la création d’une entité fédérale kurde en Syrie et en Irak signifierait le morcellement et l’affaiblissement de ces États arabes. Tout aussi important, la présence d’un micro-état kurde dans la région agirait comme un obstacle géographique compliquant l’accès d’Israël à l’Iran.


Ainsi, le nouveau partenariat turque avec la Russie et l’Iran contribue non seulement à la stabilité de l’État syrien mais complique également le désir d’Israël de voir s’accomplir le projet de l’indépendance kurde.


HAMAS


« L’axe de la Résistance » était un groupe de quatre : Iran, Syrie, Hezbollah et Hamas. Par la suite, des divergences en Syrie menèrent à isoler le Hamas du groupe – jusqu’à maintenant. De nouveaux objectifs émanant des chefs du Hamas priorisent d’entretenir des relations neutres avec les États souverains de la région et de réinstaurer la coopération et le financement provenant de la République islamique.


La semaine dernière, le chef du politburo du Hamas à Gaza, Yahya Senwar, a annoncé que « l’Iran est le plus grand fournisseur des bridgades d’Ezzedine al-Qassam (l’aide militaire du Hamas) en terme de support financier et d’armement » puis a déclaré avec optimisme : « la crise syrienne se terminera, ce qui ouvrira la possibilité de rétablir les relations avec le pays ».


Pour Israël, cela signifie que la mésentente entre la bande de Gaza dirigée par le Hamas et l’Iran est terminée et qu’ainsi le flot d’armes et de support au groupe de résistance palestinien sera rétabli incessamment.


Ces événements aux frontières ouest, nord et est d’Israël ont – en quelques semaines seulement – soudainement brouillés les cartes géopolitiques autrefois en faveur de Tel Aviv. Il y a à peine quelques années, la Syrie était désintégrée, l’Irak fragmentée, le Liban écartelé et Gaza luttait seule pour sa survie.


Aujourd’hui, la probabilité que l’Iran bénéficie d’un corridor ininterrompu entre ses frontières et le territoire occupé du Golan sont plus grandes que jamais auparavant. L’axe de la Résistance a acquis d’inestimables gains en expérience militaire depuis les six dernières années, tant en Syrie qu’en Irak en au Liban – le plus important étant qu’ils ont accomplis cela en coordonnant les troupes, le renseignement et les tactiques militaires à partir d’un seul centre de commandement. Cela est une première historique pour celle alliance. De plus, elle bénéficie désormais, en politique internationale, de l’appui de deux membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, soit la Russie et la Chine. Les Russes ont maintenant une expérience significative en terme de collaboration militaire avec trois membres de cet axe, et les Chinois sont prêts à étendre leur vision commerciale à ces États de l’ouest de l’Asie, avec l’Iran comme terminal pour les pipelines de gaz et de pétrole.


Alors que ces pays vont de l’avant en détruisant le terrorisme et en reconstruisant leurs infrastructures et leurs sociétés, les Israéliens seront laissés à eux-mêmes. Mais alors que les options se raréfient, celle militaire semble avoir une popularité grandissante. C’est cette option – le bâton – à laquelle les Israéliens sont attirés le plus aisément, et dans cette optique une guerre d’agression contre le Liban et Gaza -ou de nouvelles frappes contre la Syrie- ne semblent pas hors de question.


Le Hezbollah continue de demander qu’on lui retourne ce qu’il reste des territoires libanais occupés par les Israéliens, les fermes de Sheeba et la colline de Kfachourba alors que la Syrie, une fois remise sur pied, fera de même avec le Golan. Les deux le feront à partir de leur position renforcée dans ce nouveau Moyen-Orient.


Néanmoins, la question persiste : l’État d’Israël admettra-t-il qu’il évolue dans un nouvel environnement?


Sharmine Narwani | 6/9/2017 | American Conservative


Sharmine Narwani est une analyste spécialisée en géopolitique du Moyen-Orient.


Traduit de l’anglais par Gabriel Larose pour Arrêt sur Info


Source: http://arretsurinfo.ch/un-defi-geopolitique-pour-israel/



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