Solidaires, les Québécois?

Solidaires vs Lucides - sondage CROP


Une très intéressante étude sur les Québécois et leurs attitudes sociales, réalisée par le président de CROP, Alain Giguère, révèle que les Québécois ne manifestent aucune forme d'enthousiasme devant les propositions des lucides pour résoudre les problèmes financièrs qui confrontent le Québec.
Une solide majorité, 57%, estime que le Québec doit être le plus généreux possible dans ses programmes sociaux, contre 36% qui trouvent qu'il est déjà trop généreux. Les Québécois sont totalement indifférents au problème de la dette. Par contre, ils s'opposent en majorité à à peu près toutes les mesures que pourrait prendre un gouvernement pour réduire la dette ou financer ses programmes, réduction de certains services, augmentation des tarifs d'électricité ou de frais de scolarité. La seule mesure qui trouve grâce à leurs yeux, c'est un ticket modérateur et des assurances privées en santé.
Est-ce que cela signifie pour autant que les Québécois formeraient un peuple de solidaires, qui s'oppose en bloc aux réformes proposées par les courants se réclamant de la lucidité? Rien ne permet de le croire.
À commencer par les comportements politiques des Québécois eux-mêmes. Les sondages montrent en effet que Québec solidaire est un courant carrément marginal. Par contre, les trois leaders politiques qui se partagent leur faveur, Jean Charest, André Boisclair et Mario Dumont, proposent tous trois des visions qui s'inscrivent dans des sensibilités que l'on pourrait qualifier de lucides. De la même façon, les Québécois ont assez bien accepté des mesures qui s'inscrivaient dans cette logique, comme le début d'une réduction de la dette dans le dernier budget ou les fortes hausses des tarifs d'électricité depuis trois ans.
Ce que ce sondage montre par contre, c'est que la voie des réformes est un véritable champ miné, qui exige patience et pédagogie. Et que les efforts qui pourraient redonner au Québec son dynamisme et sa marge de manoeuvre mèneront tout droit à l'échec s'ils se font dans la brutalité et l'insensibilité sociale.
Ce que les Québécois semblent dire, dans cette enquête, c'est d'abord qu'ils ne croient pas vraiment qu'une crise menace le Québec, qu'il y a urgence en la demeure, ou qu'une impasse financière et économique, amplifiée par la démographie, compromettra la capacité des gouvernements de jouer leur rôle. Cela peut tenir en partie au manque de confiance envers les politiciens porteurs de ce message; ou encore à l'ignorance, notamment sur des questions techniques comme la dette; mais aussi à une bonne dose de pensée magique, la conviction que les choses s'arrangeront et qu'il y a de l'argent quelque part, à Ottawa ou dans les poches des riches.
Les Québécois disent aussi, par voie de conséquence, qu'ils ne voient donc pas pourquoi ils feraient des sacrifices. C'est ce qui les mène à des prises de position carrément incohérentes, où ils veulent à la fois plus de programmes sans pour autant accepter les façons de les financer. Cette attitude s'explique en partie par le fait qu'un nombre important de contribuables, 42%, ne versent pas d'impôt sur le revenu, et peuvent donc parfaitement demander davantage de programmes sans avoir à payer, ce qui introduit une importante distorsion dans le débat public.
Mais il y a un troisième message, fondamental, et c'est que les Québécois disent clairement qu'ils ne veulent pas perdre leur filet de sécurité sociale. Il n'y a pas que de la solidarité là-dedans, car dans bien des cas, les gens seront plus motivés par la résistance au changement ou la préservation de leurs acquis, qui n'a pas grand chose à voir avec la justice sociale, comme dans leur refus des hausses de tarifs d'électricité. Néanmoins, il expriment là des valeurs sociales profondes.
Il y a donc un double défi pour ceux qui veulent que le Québec change. Le premier est d'ordre pédagogique, pour convaincre de la réalité d'une impasse. Un message qui, à mon avis, a plus de chances de porter s'il ne se limite pas à la sphère des finances publiques, trop technique, et s'il porte aussi la cause sous-jacente, l'incapacité de l'économie québécoise de produire le niveau de vie dont le Québec a besoin pour soutenir ses aspirations.
Le second est d'ordre idéologique, pour bien faire comprendre que les réformes et que les mesures, mêmes impopulaires, ne sont pas là pour remettre en cause les progrès sociaux mais pour mieux les servir, et que des virages, mêmes pénibles, seront la seule façon d'assurer la pérennité des programmes auxquels tiennent tant les Québécois. Et qu'en ce sens, s'il y a un message qu'il faut dire et répéter, c'est que l'opposition entre lucides et solidaires est parfaitement factice.


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