Que faire avec deux électeurs sur cinq?

Chronique d'André Savard


La plupart des politiciens en Occident doivent mener leurs combats avec l’appui de deux électeurs sur cinq. Certains régimes comme celui de la France prévoient plusieurs tours de scrutin pour en venir à la majorité. Le régime britannique élude la difficulté en donnant à la majorité des députés le pouvoir de voter au nom de la majorité de la population.
Que les régimes politiques se soient ainsi adaptés montre à quel point la majorité absolue est un fait rarissime en une société dite libre. Comme le relata Claude Charron, lors de la réunion de leur premier conseil des ministres, René Lévesque avait dit à sa nouvelle équipe : « Quand vous verrez une file de cinq personnes attendant l’autobus, souvenez-vous que trois d’entre elles n’ont pas voté pour vous. »
Un politicien n’a pas le choix. Partout en Occident, à part quelques exceptions, le politicien ne profite que du taux d’appuis de niveau moyen. Il a bien le droit d’avoir son programme mais le principe de la continuité s’appliquera à l’ensemble de ses propositions. Dans un tel contexte, le lot d’un politicien indépendantiste québécois est cruel. Il se fait constamment blâmer par beaucoup de ses propres partisans d’être soumis cette condition commune.
Autant les formules Parizeau-Laplante que celle de monsieur Louis Bernard présentent des problèmes insolubles dans un contexte d’appuis de deux électeurs sur cinq. Dans le cas de la formule Parizeau-Laplante, même si elle part du principe de la légitimité intrinsèque de l’Assemblée nationale pour représenter la nation québécoise, le Fédéral ira vérifier par des sondages l’adhésion du peuple québécois à l’objectif du gouvernement du Québec.
Pour ce qui est du plan Bernard, il prévoit d’aller chercher une légitimation après une élection référendaire avec un référendum rapide portant sur la souveraineté du Québec. Si le gouvernement souverainiste est élu avec une moyenne de deux électeurs sur cinq, que faire de cet engagement du plan Bernard à tenir un référendum à brève échéance? Respecter un tel ordre du jour quand deux électeurs sur cinq seulement viennent de se confirmer comme indépendantistes lors d’une élection référendaire paraîtra pour le moins risqué.
Serions-nous, avec l’un ou l’autre de ces plans, en passe de connaître une version renouvelée de la bonne vieille histoire du mouvement indépendantiste québécois? Les indépendantistes parlant des moyens d’augmenter la vitesse qui mènera à l’indépendance aboutissent toujours à des directives, des ordres du jour contraignants. Le chef du parti, voulant se montrer à l’écoute, est pris à témoigner de sa fidélité envers une stratégie impossible. C’est qu’on le menace de fonder un trentième parti vraiment indépendantiste où on respectera enfin un ordre du jour vraiment contraignant.
À force de se rallier autour de ce leitmotiv selon lequel il ne fallait pas gouverner provincialement, on en est venu à suggérer que les indépendantistes ne devraient être au pouvoir que dans la mesure où ils pourraient ne s’occuper que d’indépendance. À force de dénoncer la petite gestion, on en est venus à rêver d’un indépendantisme abstrait dont les principes même interdiraient de se restreindre à un sujet d’ordre provincial.
Théorisant sur l’indépendantisme émancipé de la structure sociale canadienne, on ne le voit plus qu’exerçant ses talents dans une condition future, encore à naître. Surtout, il doit présenter l’indépendance comme élément unique de son programme. Et, ce qu’il faut, ce serait que le militant rappelle de temps en temps aux dirigeants du parti qu’ils doivent se trouver dans une société future et ne pas en déroger en attendant le grand jour.
Au cours des dernières élections, bien des points de vue issus de cette tendance s’étalaient sur Vigile. Les uns, autour du Rassemblement pour l’Indépendance du Québec, voulaient une manœuvre d’éclat sans référendum. Les autres souhaitaient l’élection de Mario Dumont puisque seul un parti fédéraliste devrait s’occuper de gestion provinciale. Et d’autres encore rêvaient d’inculquer par le truchement d’une académie la science indépendantiste de la société indépendantiste québécoise.
L’approche de Louis Bernard venue après se distingue certes du lot, l’homme étant d’un très grand calibre. Louis Bernard ne prête pas au mouvement indépendantiste un pouvoir artificiel. Il l’admet tributaire d’un appui démocratique ferme et son plan s’élabora en conséquence. Toutefois, comme la formule Parizeau-Laplante, le plan Bernard semble réfractaire au double jeu qu’implique l’idée d’indépendantistes gouvernant un simple palier gouvernemental fédéré au Canada.
Il s’ensuit que, comme la formule Parizeau-Laplante, ce plan ne se prête pas au pouvoir qu’autorisent deux électeurs sur cinq. Les difficultés stratégiques sont évidentes également au plan de la communication.
Nous dirions aux électeurs : « Nous ne sommes pas de ceux qui font leur beurre dans les affaires canadiennes ». Que répondraient nos adversaires? Facile de le prévoir.
Mario Dumont et Jean Charest diront : « Les indépendantistes, après avoir occupé le pouvoir pendant des décennies, nous annoncent que pour eux la gestion de sujets provinciaux est une occupation inutile. C’est trop terre à terre pour eux. Ils ne veulent vivre que dans le haut vol. Mais nous, fédéralistes, savons comme vous que s’habiller et manger a son utilité et que pour cela il faut gérer. Alors, laissons les indépendantistes jouer les as du ciel. Nous, faites-nous confiance, les pieds sur terre, dans le bon milieu social canadien, nous poserons les gestes d’autonomie que les indépendantistes ne veulent pas poser ».
Ce sera leur tirade et elle aura de l’effet. Comme indépendantistes, nous aurons l’air de dédaigner deux électeurs sur cinq. Jean Charest et Mario Dumont diront encore : « Ils vous demandent de voter pour eux mais entendez-les. Ils préviennent qu’ils ne gouverneront plus jamais en-dessous de leur condition. Être au gouvernement est une tâche concrète pourtant. Si cela déplaît aux as du ciel que sont les indépendantistes, élisez des as au sol! » Les électeurs le feront probablement car on ne vote pas pour des gens qui ont l’air de s’évader par les toits dans des plans aussi abstraits que contraignants.
Croyez-le ou non, bien des indépendantistes seraient loin d’avoir un cafard monstre advenant des défaites supplémentaires. Ils seront tout contents d’avoir des provincialistes à la tête du gouvernement provincial. Les as du ciel parmi eux pourront penser à une gouvernance qui, d’entrée de jeu, ne sera pas intra-fédérale. Ce faisant, ils ne sortiront plus de leur vrille. Ils vont délibérer sur la façon d’être plus pressés.
On essaiera bien de leur faire comprendre qu’avec tout ça l’indépendance ne se fait pas. Ils répondront, radieux : « Enfin, les troupes indépendantistes ont coupé les gaz à la gouvernance provinciale! Nous avons été les premiers à comprendre qu’il faut couper les gaz à la structure canadienne et voyez-nous maintenant! Nous fonçons vers la pureté indépendantiste! »
André Savard


Laissez un commentaire



3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    16 février 2008

    M. Karl Carron qui écrit : «d’un boycott vous semble si effrayante quand elle serait au grand détriment du Canada».
    Premièrement, c'est M. Jean "que voulez-vous" Chrétien qui a déclaré dans son dernier livre sur sa vie qu'il n'aurait pas reconnu une courte victoire du OUI et je le crois. Je ne crois pas que M. Stéphane Dion aurait accepté ça aussi.
    Deuxièmement, le boycot pourrait facilement venir du ROC, des États-Unis, où nous vendons beaucoup et de quelques autres pays, leurs grands amis.
    La peur que le Canada ait honte de ne pas reconnaître une courte victoire du OUI me semble avoir peu de chances de réussir puisque le Canada est un grand admirateur d'Israël, qui se considère aussi full-démocratique même s'il occupe la Palestine, a détruit le Liban "ce qui a été applaudi par notre gouvernement fédéral" et ne donne pas suite aux nombreuses résolutions de l'ONU.
    Je souhaite avoir tort mais faut envisager les alternatives avant que l'une d'elles nous arrivent sans crier gare.
    Prenons, comme exemple, la Yougoslavie qui comprenait la Serbie qui a obtenu son indépendance et maintenant, c'est une partie de la Serbie, le Kosovo qui devrait obtenir son indépendance de la Serbie et une partie du Kosovo a des idées de partition "indépendance". Ça commence à faire château de cartes.
    Si le Québec gagnait un référendum par la peau des dents, ça voudrait dire probablement que l'ouest de Montréal, Westmount et quelques autres parties du Québec incluant plusieurs de nos réserves indiennes auraient voté à plus de 80 % NON. Si ces coins du Québec décidaient de faire partition et de faire partie du ROC, on fait quoi avec ça ?
    Je ne crois pas au Québec dans le Canada comme il est là si on veut protéger la langue française et la culture québécoise ici mais je crois que Vigile peut supporter différents points de vue sur les conséquences possible de certaines actions. Faut juste trouver la bonne formule et la bonne façon de faire sans prendre les nerfs pour ne pas finir pire qu'on est déjà là.

  • Archives de Vigile Répondre

    16 février 2008

    Monsieur Bousquet,
    Ce 60%, n'est-ce pas la légitimité requise imposée par le Canada. Un Canada n'ayant aucun intérêt à ce que le Québec déclare son indépendance ? Que le Canada impose les règles et décide le niveau minimal acceptable n'est-il pas un non sens sachant qu'il les imposera à un niveau inatteignable, ayant un parti pris sur la question?
    Comment peut-on affirmer que 50%+1 n'est pas suffisamment d'appuis. Faire fis de cette majorité serait faire fis de la démocratie. Pour un pays désirant projeter l'image de la démocratie à l'étranger, est-ce une bonne idée de renier ce droit au Québec? Pourquoi prendre le risque de saboter cette image?
    Je trouve dommage qu'en terre séparatiste (Vigile), on y trouve les propagandes pro fédéralistes apocalyptiques du résultat d'une majorité serrée.
    En quoi un boycott de Canada envers le Québec est même suggéré, je voudrais comprendre. Le Québec ne contôle-t-il pas le St Laurent, voie maritime vers l'Ontario. Le Québec n'isole-t-il pas les provinces maritimes des autres provinces? L'Ontario vend également beaucoup plus au Québec qu'elle y achète. Qu'on m'explique pourquoi la perspective d'un boycott vous semble si effrayante quand elle serait au grand détriment du Canada.

  • Archives de Vigile Répondre

    11 février 2008

    Je vois une bonne analyse ici mais pas de solution concrète aux problèmes des indépendantistes que vous soulevez avec justesse, à moins d'avoir mal lu.
    Qu'est-ce que le ou les partis indépendantistes devraient faire concrètement ?
    Commencer par sonder les Québécois sur leur désirs constitutionnels ? Le PQ et l'ADQ sont actuellement les partis les mieux placés pour sonder les Québécois pour savoir où ils ont le goût d'aller dans les changements constitutionnels, dans combien de temps et pourquoi. Tenter d'aller ailleurs ne donnera strictement rien.
    Faut chercher une solution qui serait souhaitée par 60 % et plus de Québécois afin qu'elle donne la ligimité requise pour une négociation avec le ROC. Une coalition du PQ et de l'ADQ devrait faire l'affaire.
    Les amateurs de déclaration unilatérale d'indépendance, avec 40 % suite à une élection d'indépendantistes ou avec 51 % suite à un référendum, ont besoin d'attacher leur tuque avec de la broche parce qu'il va venter au Québec ! Ça pourrait en faire "jouir" plusieurs qui aiment la controverse mais pas le peuple québécois en général qui devrait lutter contre la partition de son territoire, le boycott du ROC et des Américains, leur allié linguistique et autrement et autres petits inconvénients que l'on peut facilement imaginer quand une solution n'a pas suffisamment d'appuis.