Les purs et les durs et l’argent de la corruption

Chronique de Louis Lapointe

À la suite des irrégularités évidentes commises par le camp du NON à l’occasion du référendum de 1995, le Directeur général des élections du Québec n’avait pas pu enquêter sur les dépenses illégales du camp fédéraliste qui avaient rendu possible le grand love-in de la Place du Canada à Montréal trois jours avant la tenue du référendum sur la souveraineté du Québec. La tricherie et la corruption fédérale n’étaient pas de juridiction provinciale.
Quelques années plus tard, les fédéralistes se sont fait prendre à leur propre jeu parce que leurs organisateurs avaient eu le malheur de se prendre une cote sur l’argent versé par le gouvernement de Jean Chrétien au parti libéral du Canada via le programme des commandites. Si les firmes de communications et les organisateurs libéraux avaient fait preuve d’honnêteté et avaient remis l’intégralité des sommes destinées au parti libéral du Canada pour combattre le péril séparatiste, il est probable que la GRC ne serait jamais débarquée dans leurs bureaux, constatant qu’il s’agissait là d’un sujet d’intérêt national. On peut tricher lorsque l’avenir du Canada est en jeu, mais ce n’est pas une raison pour voler impunément les tricheurs du gouvernement!
En appuyant inconditionnellement le parti du maire Tremblay, le journal The Gazette nous indique bien encore une fois que la corruption est un moindre mal pour les fédéralistes inconditionnels à côté de la terrible menace que constitue le séparatisme québécois. Le message qu’il envoie à ses lecteurs anglophones ne peut être plus clair : sans argent pour soutenir les forces fédéralistes, l’unité canadienne est menacée, le régime de la corruption doit donc être toléré à Montréal et au Québec pour que le Canada demeure uni. Sans cet argent, le camp du NON aurait probablement perdu le référendum de 1995 et le Québec serait aujourd’hui un état souverain.
Une commission d’enquête publique mettrait probablement en évidence que la mafia a utilisé tous les ressorts de cette aversion contre les indépendantistes pour infiltrer les milieux politiques fédéralistes, devenant un indispensable allié dans la lutte contre l’indépendance du Québec. Sous cet angle, on comprend mieux les réticences du gouvernement de Jean Charest de constituer une commission qui ferait la lumière sur la corruption dans l'industrie de la construction.
Comme il faut beaucoup d’argent pour vaincre le péril séparatiste, les milieux mafieux ont compris qu’ils pouvaient tirer profit de la situation - on parle de 30% du coût des investissements dans les infrastructures - en achetant à grand prix les faveurs des politiciens fédéralistes au pouvoir. Voilà pourquoi ils ne veulent surtout pas prendre le risque de voir de nouveaux acteurs séparatistes venir mêler les cartes.
Si Benoît Labonté s’est fait prendre la main dans le sac, c’est probablement parce que ses bailleurs de fonds n’ont pas digéré le fait qu’il utilise leur argent pour faire élire Louise Harel, une dangereuse indépendantiste, leur objectif secret étant probablement de maintenir le régime actuel pour faciliter leurs opérations. L’argent de la corruption ne doit pas servir à faire l’indépendance. Le même genre de dilemme qu’a eu la mafia lorsqu’elle a dû quitter Cuba en 1959.
***
Qu’on le veuille ou non, tant qu’elle ne sera pas réglée, la question de l’indépendance du Québec sera toujours présente dans tous les débats politiques, même municipaux, ne serait-ce qu’en raison de la prépondérance des acteurs de la classe politique indépendantiste. Ils ne peuvent tout de même pas être absents des débats politiques municipaux quand les Québécois ont été 50% à voter pour l’indépendance du Québec. Alors, forcément, cette question conditionne tous les autres enjeux politiques, surtout à Montréal où le français est menacé.
En agitant l’épouvantail du français et de l’indépendance comme elle fait, la Gazette sait très bien qu’elle contribue à polariser le vote anglophone contre Louise Harel. Si la Gazette préfère un maire qui a baigné dans tous les scandales, c’est parce qu’elle sait que sans l’argent de la corruption le Québec serait déjà un pays libre et français. La stratégie de la Gazette vise donc à exacerber le sentiment anti-indépendantiste chez ses lecteurs anglophones et allophones pour faire élire le maire Tremblay. Comme ce fût le cas lors du référendum de 1995, les sondages nous indiquent que les Anglais et les allophones ne seront pas plus de 11% à voter pour Louise Harel, une candidate clairement identifiée à l’indépendance du Québec.
Si le mouvement indépendantiste compte son lot de militants polarisés, ceux qu’on appelle communément les purs et les durs, force nous est de constater que chez les Anglais les purs et les durs sont en proportion beaucoup plus nombreux et, si on en croit les résultats des derniers sondages, 49% d'entre eux seraient même prêts à tolérer la corruption pour empêcher l'élection d'une indépendantiste à l'Hôtel-de-Ville de Montréal!
On peut traiter les purs et les durs indépendantistes de tous les noms, de caribous ou de zélotes, même rire d’eux comme ce fût le cas à L'autre St-Jean, mais on ne pourra certainement jamais les accuser de s'associer de près ou de loin à la mafia pour organiser leurs manifestations.

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    31 octobre 2009

    Vous écrivez :
    « En appuyant inconditionnellement le parti du maire Tremblay, le journal The Gazette nous indique bien encore une fois que la corruption est un moindre mal pour les fédéralistes inconditionnels à côté de la terrible menace que constitue le séparatisme québécois. »
    Je vous répond que le Canada n'est pas seulement menacé par les "séparatistes". Voici ce que j'ai trouvé :
    La Presse - Dimanche 13 novembre 2005 :
    « Ces alliances se traduisent par la multiplication de tentacules dans toutes les sphères de la société- politique, économique et judiciaire. Avec tous les risques de corruption que cela comporte d'un bout à l'autre du pays », s'inquiète l'auteur.
    « L'influence du crime organisé est déjà importante au Canada. Plus on laisse le crime organisé se structurer, plus nos institutions sont menacées. C'est le signe d'un plus grand péril », enchaîne l'ex-journaliste du Corriere Canadese de la Ville reine. Selon lui, il y a urgence d'agir, surtout à Montréal, Toronto et Ottawa, où les mafiosi investissent énormément dans des entreprises légitimes.
    C'est ainsi, selon M. Nicaso, que les "entrepreneurs mafieux", comme il les appelle, se retrouvent en contact, directement ou indirectement, avec des banquiers, des avocats, des fiscalistes, des comptables, des hommes d'affaires, des publicitaires et même des politiciens. « La présence de la mafia dans une ville est un indice indéniable de la corruption du pouvoir politique. »
    Extrait de : Angels, Mobsters & Narco-Terrorists, Antonio Nicaso et Lee Lamothe, chez Wiley Canada, Toronto, 2005.