Les deux fondations de la SSJB - En 1834, Ludger Duvernay fonde la société Aide-toi et le ciel t'aidera

L'Association Saint-Jean-Baptiste est mise sur pied le 8 juin 1843

175e de la SSJBM

Buste de Ludger Duvernay, premier président de la Société Saint-Jean-Baptiste

La SSJB célèbre cette année son 175e anniversaire. Mais cette société patriotique a connu deux naissances.
Le 8 mars 1834, à l'hôtel Nelson, Duvernay fonde une société appelée Aide-toi et le ciel t'aidera. Cette association préfigure celle des Fils de la liberté et servira plus tard de creuset à la création de la Société Saint-Jean-Baptiste, qui ne sera constituée de façon formelle qu'en 1843. La première association patriotique s'est donné pour mandat d'organiser la fête nationale du 24 juin, comme les Irlandais l'ont fait quelques mois plus tôt pour célébrer la Saint-Patrick.
La première Saint-Jean est organisée par Ludger Duvernay dans les jardins de l'avocat John McDonnell, à l'endroit où sera plus tard érigée la gare Windsor. Une soixantaine de con-vives répondent à l'appel de Duvernay, dont les plus connus sont Charles-Ovide Perrault, Louis-Hippolyte LaFontaine, Édouard Rodier, George-Étienne Cartier et le Dr Edmund O'Callaghan. Ces agapes sont présidées par le maire de Montréal, Jacques Viger.
Après le repas, on «enlève la nappe», comme le veut une expression de l'époque, pour passer à la partie patriotique de la soirée. À la fin de son discours, Duvernay lance le célèbre toast en l'honneur du «peuple, source primitive de toute autorité légitime». Ce faisant, il vient de doter le peuple canadien d'une fête nationale qui se perpétuera comme symbole de notre continuité historique, puisque la fête de la Saint-Jean était célébrée à Québec aux premiers temps de la colonie. À cette occasion, Duvernay aurait aussi proposé d'adopter la feuille d'érable comme emblème national du Bas-Canada.
L'année suivante, la célébration de la Saint-Jean aura lieu à l'hôtel Rasco. Entouré de feuilles d'érable, le drapeau des patriotes aux barres horizontales verte, blanche et rouge surplombe le centre de la table d'honneur. Une banderole est suspendue au-dessus de la porte d'entrée, où on peut lire trois mots d'ordre: «Espérance, patrie, union». Plus de 100 con-vives participent au banquet présidé par Denis-Benjamin Viger. Après le repas, des santés et des chants patriotiques fusent. C'est aussi à cette occasion que le jeune George-Étienne Cartier se fait remarquer en composant et en interprétant une chanson qui connaîtra un grand succès: Ô Canada, mon pays, mes amours.
En 1836, les passions s'échauffent et le fossé s'élargit entre les modérés et les patriotes. La Chambre ne vote qu'une partie des subsides nécessaires à l'administration de la colonie. Le Conseil législatif met son veto à l'adoption de 34 projets de loi et en amende 15 autres, ce qui soulève la colère des représentants du peuple. Lord Gosford menace de s'emparer des fonds publics sans le consentement de la Chambre pour payer les bureaucrates. Dans ce contexte survolté, la Saint-Jean est marquée par des sentiments de frustration et d'amertume devant l'intransigeance et les provocations de l'administration coloniale. De plus, cette année-là, on a moins de raisons de se réjouir car la division au sein de la société canadienne est de plus en plus flagrante, comme en témoigne l'organisation de deux fêtes concurrentes: celle des bureaucrates, appelée la Saint-Jean-Baptiste de l'opposition, qui a lieu dans les jardins de McDonnell (où elle a eu lieu en 1834), et celle des patriotes, organisée par Duvernay à l'hôtel Rasco. Cette double célébration signifie que la tension politique monte et que les antagonismes se cristallisent.
Dans les journaux qui relatent les festivités de la Saint-Jean organisées depuis 1834, on ne fait nullement mention d'une société responsable de l'organisation. Jamais la société Aide toi et le ciel t'aidera ou la Société Saint-Jean-Baptiste ne sont mentionnées dans les toasts ou les discours.
La deuxième naissance
Après l'échec des rébellions et un exil de cinq ans aux États-Unis, Duvernay, conscient de la nécessité de solidifier l'unité des Canadiens français, relance l'idée d'une association patriotique.
Il convoque, le 8 juin 1843, une assemblée au grand salon de l'hôtel Nelson dans le but d'organiser l'Association Saint-Jean-Baptiste sur des bases solides et permanentes. On décide à cette réunion de fonder une société de bienfaisance et de l'appeler l'Association de Saint-Jean-Baptiste. On décide de relancer la célébration de la Saint-Jean. La fête ne peut avoir lieu un vendredi, jour maigre, et est donc reportée au 26 juin. Le banquet est précédé par une messe solennelle et un défilé dans les rues. Des changements significatifs apparaissent dans la symbolique. Le drapeau britannique est mis en évidence, de même que les armoiries de Sir Charles Metcalfe, le nouveau gouverneur.
C'est bien la première fois que les nationalistes canadiens honorent un gouverneur britannique dans leur célébration de la fête nationale. Ce signe de réconciliation avec la «mère patrie» sera confirmé par la suite. Comme le veut la coutume, des santés sont portées après le repas à Sa Majesté la reine, à la famille royale.
Les patriotes ont bien changé depuis la dernière célébration de 1837. On ne fait plus référence au peuple, source de toute autorité, ni à Papineau, ni à la république... Le haut patronage de l'Église révèle aussi un changement majeur du leadership social et de l'orientation idéologique du nationalisme.
Denis Monière est professeur titulaire au département de science politique de l'Université de Montréal. Il a fait paraître en 1987 Ludger Duvernay et la révolution intellectuelle au Bas-Canada (Québec Amérique).


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