Le débat sur la nation a tout changé

S. Dion, chef du PLC



L'alignement des planètes permettant le triomphe de Stéphane Dion au congrès à la direction du Parti libéral du Canada (PLC) est un phénomène impressionnant. Ses conséquences me semblent également importantes pour la joute politique à Ottawa et à Québec. J'essaierai ici de fournir des clés pour comprendre la surprise Dion et pour en dégager le sens pour notre avenir.
Au printemps 2004, Paul Martin était un politicien très populaire. On l'imaginait à la tête d'un gouvernement majoritaire tandis que Stéphane Dion croupissait sur les banquettes arrière de la Chambre des communes. Trente mois plus tard, Paul Martin a pris sa retraite tandis que Stéphane Dion vient d'être plébiscité à la tête du PLC. Il faut apprécier à sa juste valeur ce renversement de fortune.
Son triomphe, Stéphane Dion le doit à d'indéniables qualités qui dépassent le cercle des habiletés intellectuelles : vaillance, discipline, opiniâtreté, compréhension des rouages de l'État et des subtilités de la vie partisane. Lorsqu'il dit qu'il a appris à faire de la politique sur les genoux de M. Jean Chrétien, ce n'est pas une blague !
Réhabilité par M. Martin, il a hérité au bon moment du ministère de l'Environnement et il a fait l'unanimité avec sa performance lors de la Conférence de Montréal. Le symbole de "Monsieur Kyoto" était né. Appuyé sur un réseau inconditionnel de jeunes idéalistes environnementalistes et sur les talents d'organisateur de Don Boudria, bien servi par le désistement de grosses pointures comme les Manley et Mckenna, M. Dion a fait campagne pour préparer son avenir dans un futur gouvernement libéral. C'est le débat sur la nation qui a tout changé.
Inaugurée par Michael Ignatieff, nourrie par l'aile québécoise du PLC puis par le "génie" procédural du Bloc québécois et par l'intelligence réactive de Stephen Harper, la tempête provoquée par ce débat a réveillé les vulnérabilités identitaires canadiennes qui sommeillaient depuis le référendum d'octobre 1995. M. Dion a construit sa réputation comme allié de Jean Chrétien dans l'établissement de la Loi sur la clarté référendaire, comme champion à tout crin de l'unité nationale, de l'intégrité territoriale du Canada. Comme Christian Dufour l'écrivait plus tôt cette semaine, c'est un sentiment de peur face au Québec qui a porté Stéphane Dion à la tête du PLC.
M. Dion avait besoin de chance ; il en a eu en devançant Gérard Kennedy par deux voix au premier tour de scrutin. Cela passera à l'histoire comme le clin d'oeil de la Fortune. Il avait aussi besoin d'une stratégie intelligente : cela fut son alliance bien calculée avec le même Kennedy. Il avait enfin besoin de l'aveuglément de ses deux principaux rivaux, Michael Ignatieff et Bob Rae, incapables de comprendre ce qui se passait devant leurs yeux. Leur état de stupéfaction aura scellé leur destin et celui de Stéphane Dion.
Lectrices et lecteurs, vous êtes prévenus : les études historiques et politiques sont meilleures pour expliquer le passé que pour prédire l'avenir ! Mais bien que la poussière soit à peine retombée sur le congrès du PLC, je crois que nous devrions toutes et tous "attacher nos tuques", car les prochaines années seront passionnantes. La joute Harper-Dion qui commence cette semaine à Ottawa sera la première à captiver notre attention et elle va vraisemblablement déboucher sur des élections fédérales le printemps prochain.
La question fondamentale
Cette fois-ci, les questions fondamentales sur la nature du Canada en tant que communauté politique, sur la nature du fédéralisme et les relations intergouvernementales, enfin sur la reconnaissance du Québec en tant que nation et sur l'opportunité d'y accoler des conséquences juridiques quelque 25 ans après le rapatriement de la Constitution sans le consentement de notre gouvernement et de l'Assemblée nationale, ne pourront pas être évitées.
Stephen Harper va devoir préciser le sens de son fédéralisme d'ouverture et présenter des résultats concrets sur le front du déséquilibre fiscal. Quant à Stéphane Dion, il ne lui suffira pas de se présenter comme un antiséparatiste conséquent. Il devra lui aussi définir sa propre approche du fédéralisme, tâche que le PLC a évitée depuis Pearson. Vu la force du courant trudeauiste qui l'a porté à la tête du PLC, il aura un difficile travail d'équilibriste à faire pour calibrer un tel discours.
Au Québec, il y a des gens qui se réjouissent du triomphe de M. Dion, parce qu'ils y voient une importante condition gagnante pour la réalisation de la souveraineté. Pour ces gens, la liberté du Québec et le renforcement de son identité passent par une phase préalable de pourrissement politique. C'est faire la politique du pire et la pire des politiques. Après avoir voté Oui lors des référendums de 1980 et de 1995, et en ne le regrettant ni dans un cas ni dans l'autre, je crois que la stratégie référendaire de l'axe Bloc-PQ est complètement dénuée d'imagination et j'estime très improbable, à court et à moyen terme, la souveraineté du Québec.
Un fédéralisme timoré
Je dirai avec la même franchise, - et je sais que cela n'est pas objectif vu mon adhésion à l'ADQ et mon amitié avec Mario Dumont - , que je ne suis pas davantage impressionné par le fédéralisme timoré du gouvernement actuel, lequel n'a pas encore osé exiger, dans le dossier du déséquilibre fiscal, la modernisation de l'instrument de coordination du système que représente la Conférence des premiers ministres. Comme l'a écrit André Burelle, le gouvernement du Québec a peur de se faire dire Non par Ottawa.
En 2006, pour la première fois depuis le référendum de 1995, quelque chose est en train de changer dans les relations Canada-Québec : l'élection du Parti conservateur et le fédéralisme d'ouverture de Stephen Harper, le débat sur le déséquilibre fiscal et celui sur la reconnaissance de la nation québécoise, et enfin la victoire de Stéphane Dion sont tous des événements qui pointent dans cette direction. Dans ce nouveau contexte, il me semble évident que le Québec devra faire preuve d'un renouvellement de son imagination politique, à commencer par une vraie réflexion sur l'urgence de définir ici même la nature de l'identité politique québécoise plutôt que d'abdiquer cette responsabilité à nos principaux partenaires, quelque bien intentionnés qu'ils puissent parfois être.
Pour revenir à Stéphane Dion, il est un fils du Québec et un fils de Québec , - le fils de Denyse et de Léon Dion - , et un fier diplômé de l'Université Laval. Son défi sera de montrer autant de talent à faire accepter la différence québécoise dans le Canada qu'il en a déployé à imposer la clarté référendaire canadienne au Québec.
Guy Laforest, département de science poilitique, Université Laval
À noter...
Ce midi, à l'Université Laval, deux événements complémentaires :
Christian Dufour, Jocelyn Létourneau et Jean-Jacques Simard participent à un débat au pavillon Desjardins (11 h 30 à 13 h 15) : "Le Québec est-il une nation ?" ; au pavillon La Laurentienne.
Quant à l'auteur, Guy Laforest, il prononcera une conférence : "Qu'est-ce que le Canada ? Identité politique, Constitution et ambition nationale".


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    6 décembre 2006

    Ne faut-il pas en prendre acte et ne pas faire l'autruche ?
    Le temps de la qualité des dossiers me semble présent comme jamais auparavant.
    Des mots pour des mots ne feront pas long chemin.
    Il nous faudra mettre sur la table des faits, des dossiers étoffés.
    L'avenir, le nôtre et celui de d'autres, se jouera dans les mois qui suivent.
    Assurons-nous de la qualité des dossiers et non des paroles en l'air.
    C'est un devoir d'efficacité, de solidité, de responsabilités personnelle et collective.
    Selon moi, les Chrétien, les Martin n'auront été que des amuse-gueules à comparer avec Stéphane Dion.
    Robert Bertrand, rédacteur,
    Québec un Pays
    http://cf.groups.yahoo.com/group/Pour-le-Pays-du-Quebec/