« THE QUEBEC QUESTION FOR THE NEXT GENERATION »

Le Canada anglais souffre d'une allergie constitutionnelle

Perte de temps!



Toronto — Reprendre les discussions constitutionnelles pour répondre aux attentes du Québec? «Pas maintenant» et peut-être même «jamais». Modifier la Constitution pour les mêmes raisons? «Une tâche impossible».
Réunis pour une conférence sur la «question du Québec» à l'Université de Toronto, plus d'une centaine d'universitaires, de juristes et de politiciens du Québec et du reste du Canada n'ont pu que constater le fossé les séparant. Alors que les Québécois croient toujours à la nécessité d'une réponse constitutionnelle, leurs vis-à-vis craignent comme la peste d'ouvrir un panier de crabes et de revivre les angoisses passées.
Quand le professeur et ancien député péquiste Daniel Turp a demandé aux participants s'ils jugeaient possible de voir la reconnaissance de la nation québécoise enchâssée dans la Constitution, seulement une poignée ont levé la main. Et ce n'est pas parce que plusieurs ne le souhaiteraient pas.
La conférence, organisée par le Groupe de recherche sur les sociétés plurinationales de l'UQAM et la School of Public Policy and Governance de l'Université de Toronto, se tenait en anglais et dans la Ville reine, dans le but exprès de relancer le dialogue entre les deux solitudes. «De briser le silence», de dire l'initiateur Alain-G. Gagnon, de l'UQAM. Selon le politologue Luc Turgeon, de l'Université d'Ottawa, «le plus grand défi est d'amener les Québécois à s'intéresser à nouveau au Canada». Et vice versa, de dire plusieurs.
L'ancien premier ministre ontarien David Peterson a toutefois donné le ton dès le début des travaux en disant qu'il ne croyait plus possible de modifier la Constitution. Le Canada, dit-il, a raté «la chance d'une vie» avec l'accord du lac Meech, échec qu'il a attribué à la décision du gouvernement de Robert Bourassa de recourir à la clause nonobstant pour maintenir l'affichage en français et, en bout de piste, à la «vanité» du premier ministre terre-neuvien de l'époque, Clyde Wells.
Le constitutionnaliste Patrick Monahan a renchéri. «Est-il sage de se pencher sur cette question maintenant? La réponse est non», a-t-il dit. Selon lui, les conditions ne sont pas réunies et ce serait l'échec assuré.
Témoin des échecs passés, le professeur David Cameron, de l'Université de Toronto, a dit avoir eu l'estomac retourné en entendant, en matinée, la recension des vieilles batailles constitutionnelles et en voyant deux vétérans de celles-ci — l'ancien premier ministre péquiste Bernard Landry et l'ancien ministre libéral Brian Tobin — s'affronter amicalement avec les arguments de toujours. Il avait, comme plusieurs, l'impression de faire un voyage dans le temps. M. Cameron croit que la Constitution sera un jour modifiée, mais sous l'impulsion d'une autre génération. «Quand tous les vieux chevaux des guerres passées seront morts», a-t-il lancé avec dérision.
Presque tous les conférenciers ont reconnu que la «question québécoise» restait pertinente et que la souveraineté gardait son attrait auprès de bien des Québécois. Ce que plusieurs souverainistes présents — Bernard Landry, Daniel Turp, le chef bloquiste Daniel Paillé, le député Alexandre Cloutier — se sont d'ailleurs chargés de leur rappeler. Malgré cela, on préférerait, au Canada anglais, emprunter d'autres voies que celle de la ronde constitutionnelle.
Solution incontournable
Ententes administratives, coopération interprovinciale sur l'économie, dialogue sur les valeurs communes, affirmation du Québec sur la scène internationale dans les dossiers qui relèvent de sa compétence, les suggestions ne manquaient pas. Mais les nombreux spécialistes québécois présents n'ont cessé de rappeler que la solution constitutionnelle demeurait incontournable.
Professeure de droit constitutionnel à l'Université Laval, Eugénie Brouillet a rappelé à ceux qui disaient vouloir renouveler le discours que «ce n'est pas parce qu'une solution est vieille qu'elle n'est plus bonne». Si la source du problème est constitutionnelle, ce qui est le cas depuis l'adoption de la Constitution de 1982 à l'encontre de la volonté du Québec, la solution doit l'être aussi, dit-elle. L'attribution de nouveaux pouvoirs et la reconnaissance de la nation québécoise au moyen d'une clause interprétative ne peuvent se réaliser à l'aide d'un accord ponctuel qui n'offre aucune garantie juridique. Et l'absence de reconnaissance et de contrôle alimente, croit-elle, le désir d'autonomie et d'indépendance.
L'ex-greffier du Conseil privé Mel Cappe et l'ancienne juge de la Cour suprême Louise Arbour ont déconseillé de relancer délibérément le débat. «Comme Patrick Monahan, je ne crois pas que le temps soit venu. Comme Daniel Turp, je pense qu'on ne pourra esquiver cet enjeu, mais je crois qu'on y arrivera par accident», a dit Mel Cappe.
Selon Daniel Turp, rien ne se produira, à moins que le Québec prenne l'initiative, et cela ne surviendra pas si le Parti québécois ne remporte pas les prochaines élections. Par contre, si la Coalition avenir Québec l'emporte, tout sera sur la glace, a déploré Alexandre Cloutier. Une perspective qui plaît à Brian Tobin, lui qui n'avait que de bons mots pour la CAQ.
Pour l'instant, le désengagement du gouvernement Harper dans le domaine de la santé et son refus de créer des programmes dans des domaines de compétence provinciale changent la donne traditionnelle, ont observé plusieurs panélistes. Le coup d'envoi ne viendra pas de ce côté et l'ancien chef de cabinet de Stephen Harper Ian Brodie en est bien content. Selon lui, l'incertitude provoquée par ces débats a nui à l'économie du Québec et une reprise la ferait reculer de nouveau. En passant à autre chose, on peut enfin parler d'enjeux concrets, comme l'économie et la gouvernance, dit-il.
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Collaboratrice du Devoir


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