Démissions: les mauvaises raisons

Chronique d'André Savard


Les démissions de Louise Beaudoin, Pierre Curzi et Lisette Lapointe ont provoqué diversement tristesse et jubilation. Celle-ci, bien que non-dite, se sentait chez ceux qui rêvent qu'une nouvelle garde se mette à vivre sur un grand pied. Les démissionnaires voulaient accomplir une provocation qui serait là pour être utilisée à plus forte raison par les dégoûtés de la classe politique, ceux encore susceptibles d'être en mal d'espoir.
Pour ceux qui rêvent d’un agora directement branché sur le peuple qui mènera à une revitalisation de la politique, disons-le tout de suite: la fronde à l’encontre des chefs du Parti Québécois se mérite une bonne risée au sein de la population. Comme la population est le centre nerveux de l’agora, ça vaut la peine d’y penser. Le dédain si allègrement dirigé contre la chef par les indépendantistes se retourne contre eux.
Ce n’est pas que la population respectait beaucoup Pauline Marois et qu’elle lui a fait beaucoup de cadeaux. Qui n’a pas vu quelques personnes l’appeler la “châtelaine” avec des lèvres de gourmet? Cependant cette manie des indépendantistes de faire du chef la projection des difficultés que rencontre la cause et de disqualifier le chef dédaigneusement à titre de “libérateur de peuple” horripile le monde.
Avec un tel chef, la population ne veut pas suffisamment, se disent les indépendantistes. Prenons un chef qui veut vraiment, ajoutent les indépendantistes, et dégommons les usurpateurs, en sabordant le parti Québécois, s’il le faut, et vive le renouveau! C’est dans l’air! Oui, c’est dans l’air, et dans tous les dossiers, armoires, tiroirs, remis à jour par des dizaines de collaborateurs et d’informateurs bénévoles, indépendantistes “vrai de vrai” depuis toujours.
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Il y a trois thèmes qui ont été largement soulevés suite à la démission des trois figures importantes du Parti Québécois: la stagnation de la ferveur indépendantiste, le souhait de redéfinir la vie politique au-delà de l’opposition indépendantisme versus unitarisme, et l’émergence hypothétique d’une nouvelle façon de faire de la politique.
Commençons par la stagnation de la ferveur indépendantiste. Le problème, c'est que l'indépendance est une option virtuellement illégale. On a la bride au cou et le mouvement indépendantiste sert seulement à nous mentir sur la longueur de la corde. Comme le notait la lettre de Claude Ryan à l’Ami de la cour, l'adoption de la loi nommée « de la clarté » fait même rétroactivement de la vie démocratique au Québec une pantomime réglée condamnée à ne pas aboutir.
Le Fédéral a carrément mis une perspective menaçante sous le nez des Québécois. Comme pour un divorce il y aura une interminable guerre en cour, pas pour la garde des enfants mais pour la garde des citoyens. Contrairement aux guerres en cour habituelles, le juge sera nommément au service de l’une des parties belligérantes, à savoir le Fédéral. Bien avant la loi de la clarté cependant, les politiciens au pouvoir à Ottawa déclaraient que l’indépendance n’était pas négociable. Bref, on est libre d’abattre un énorme travail démocratique au Québec mais le choix est sous cadenas.
On dit à la population que l’indépendance du Québec n’est pas faisable mais qu’on a le droit de la choisir. En psycho, on appelle ça la double contrainte, deux contraintes qui renferment des interdictions qui s’opposent. Ce n’est pas faisable mais soyez libres de choisir. Et les indépendantistes répondent à la population: choisissez quand même car vous savez, l’intimidation, c’est juste de bonne guerre: tout le monde sait que le Canada est un pays libre.
Difficile à comprendre sinon le fait que la population veut éviter un terrain piégé. D’où la sclérose obligée qui n’a rien à voir avec le Parti Québécois. Les indépendantistes qui embarquent dans ce train ne font que disculper indirectement le régime canadien.
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Maintenant passons à la redéfinition des alignements au-delà du duel indépendantistes versus unitaristes. Le fait que le tiers des électeurs du NPD au Québec s’inscrivent dans la mouvance souverainiste laisse présumer qu’un bon nombre d’entre eux le souhaitent.
Si des unitaristes et des indépendantistes souhaitent la rupture des alignements, ils ne le souhaitent pas pour les mêmes raisons. Pour les indépendantistes, nous sommes juste les figurants dans un faux débat où le Canada est présenté comme un tout naturel et eux comme les “séparatistes”.
Les unitaristes sont des gens à bout de souffle sous le coup d’une seule inspiration accusatrice, certes. Seulement ils n’ont pas à se renouveler. Ils sont enclavés dans un débat qui met en scène une opposition virtuelle entre ethnocentriste et universaliste, un débat qui est aussi le signe d’autre chose: l’impossibilité volontaire du régime canadien face au Québec. Ils n’ont pas à trouver de nouvelles idées puisqu’en bout de ligne ils savent, même si la sourdine est mise là-dessus (en principe on vit démocratiquement) que la cour suprême redira aux Québécois qu’ils doivent se satisfaire de la légalité de la loi.
Louise Beaudoin et Pierre Curzi veulent changer le vieux stéréo avec deux amplis pour un appareil multiphonique. Une ligne se déplacera du fait que les alignements se reconstitueront à mesure sur les sources vives de la prise de parole. “ Un geste de liberté en entraîne un autre “ déclare Pierre Curzi à L’Aut’Journal. Et il ajoute que le sens de chacun des gestes libres se découvrent rétroactivement quand le cumul des gestes de liberté aboutissent. On revient, je le crains, au vieux schéma idéaliste de gauche avec l’âme du peuple enfin inconditionnée, prête à une invention de son cru hors de l’appareil des partis.
Les unitaristes aiment bien par ailleurs le thème de la reprise de possession de la parole par le peuple. Ils savent qu’ils font vibrer une corde sensible quand ils disent aux gens “qu’ils sont tannés des vieilles chicanes” et que le pouvoir s’occupera des “vrais problèmes” sans entourloupes idéologiques. L'économie sert les vraies préoccupations des gens, c'est bien connu. Et la parole si vivante aime bien entériner les bonnes maximes économistes, supposément plus réelles, moins idéologiques. Faites éclater les partis et la bêtise partisane semée partout ne se reconnaît plus.
Ils se disent : il y a toujours une dualité dans une société. Les deux fronts en rapport dialectique ne doivent plus être indépendantistes versus unitaristes car la situation a culminé. Autant le Canada comme pays que comme régime compte désormais comme une construction naturalisée et qui ne déviera pas de sa logique propre.
On va opter pour la gauche et la droite, ce qui aura peut-être pour résultat de désenclaver les deux anciens fronts et d'apporter des changements positifs. En fait, Jack Layton émaille son discours de l'expression « changement positif » depuis des lunes. Mais là, on a vu que cela a commencé à porter.
Vouloir reprendre possession des événements en des termes nouveaux, est l’adage du jour. Mais voilà le hic, reprendre possession en se confinant dans les alignements qui s’offrent pour les “partenaires de la fédération canadienne”. En dehors des partis, c’est faux de croire que l’on échappe aux manipulateurs agglutinés et que la parole n’y est plus conscrite par des champs de forces. Le Canada est là simplement avec ses règles.
Celui qui dit: “Peu importe qui règle les problèmes pourvu qu’on les règle et pourvu que les problèmes soient vrais”, cache toute une grille sur les problèmes à admettre et sur ce qu’il ne faut pas non plus commettre dans l’espace canadien.
Ceux qui croient dans une grande opération de revitalisation du champ politique sont-ils en train d’enfoncer des barrières ou de ratifier un blocage? Tout cela s’accompagne du même mélange terminologique emprunté:« changement de paradigme », « soif de renouveau ». Ce changement de paradigme équivaut à une signification de se taire. Et sous couvert de dénoncer la langue de bois, on recouvre le phénomène global d’une nouvelle langue de bois, celle de la gauche et de la droite pan-canadienne.
Quand on dit qu’un chat blanc ou noir peut attraper une souris, on défend cette vision fonctionnaliste. Le mythe aujourd’hui, c’est de croire que le fonctionnalisme échappe à l’emprise des idéologies. La gauche et la droite ont au Canada une vision fonctionnaliste du Québec dit « la province ». La gauche trouve la politique identitaire ringarde et la droite veut substituer sa propre politique identitaire canadienne à celle qui a émergé au Québec pour en faire une fierté nationale provinciale.
Que toutes les pièces s’emboîtent pour le fonctionnement maximal du régime, c’est tout ce qui compte pour eux. Le barouf populaire contre les politiciens n’oppose rien, il fait juste rêver d’un régime fonctionnaliste sans politicien.
C’est fou aujourd’hui le nombre des individus mus par une même âme universelle et qui se disent opposés à des sectateurs. Le bel esprit d’unité leur confère des capacités de désobéissance extraordinaire et le courage de penser différemment. Ils sont bien ligués pour prendre à revers l’unanimisme et le grégarisme. Ils aboutissent à l’idée d’une gouvernance discrète par un fiduciaire des intérêts communs, le chat gris, le chat noir, qui tire sa légitimité du fait qu’il attrape la souris.
En dénonçant la “partisanerie qui rend aveugle”, Louise Beaudoin s’est exprimée comme une personne qui veut allonger sa liste d’amis sur Facebook à 10 000 noms. Elle endosse, du moins dans les termes, cet appel des dégoûtés qui veulent l’éclosion de la politique pastorale. Ce serait la gouvernance par-delà les “enfantillages” des politiciens, une gouvernance où tout le monde se respecte, où on a le courage de douter.
Jean Charest, tout le temps où son gouvernement croule sous des accusations de corruption se drape dans une position : les accusations fusent parce que l’opposition retarde par rapport à un nouveau palier évolutif où serait rendue la population. Sans cette collision entre la nouvelle manière de faire de la politique et celle du salissage, on serait dans la limpidité. Le bel esprit de la politique des temps nouveaux se laisse brandir par Jean Charest et par un aréopage de vierges offensées.
Faut-il se rappeler que quatre ministres se sont faits prendre la main dans le sac? Et faut-il se rappeler que l’unitarisme au Canada se dit emporté par l’amour d’un pays moralement supérieur et non pas par des adjoints en idéologie? Prôner une nouvelle attitude, n’est-ce pas une posture élégante pour une politique inoffensive?
Pas si inoffensive, diront certains. Ceux qui identifient cette nouvelle attitude à un régime d’initiative populaire en dehors de l’emprise des partis, seraient mieux de se méfier de la riposte. Il se feront dire que le général Khadafi lui-même prône cette solution dans son Livre Vert!
D’ailleurs les gens d’aujourd’hui, pour la plupart, se défient des initiatives. Ils prétendent qu’ils sont des convertis des temps présents, un présent autojustifié parce qu’il aurait opéré une transformation complète par rapport aux affres du passé. Soumis à un présent qu’ils jugent, en soi, rebelle, ils sont des conformistes qui s’ignorent.
Leur cerveau, bien qu’il soit depuis leur naissance fort digne d’estime, se montre désormais comme le siège d’une conscience transmutée. Leur devoir est de collaborer au progrès des gens moins évolués qu’eux. Ce sont les nouveaux meneurs de la politique pastorale non partisane. On y défend des idées arrêtées sans en avoir l’air.
Les pastoraux sont tellement avancés, tellement au-delà des faux débats qui monopolisent les énergies. Ils parlent à la petite nation comme on admoneste un élève. La nouvelle façon de faire de la politique risque fort de s’exercer par des gens qui mettent sur le même pied le chat noir et le chat blanc au nom d’un surplus de maturité.
L’amphithéâtre a été la goutte qui a fait déborder le vase. Il aurait fallu savoir si, en dehors des récriminations défendables, le vase n’avait pas été rempli aux trois quarts par des fantasmes.
André Savard


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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    3 juillet 2011

    Et la vérité commence à sortir, Curzi voulait faire cette sortie comme Mme Marois depuis l'automne 2010.
    Donc, ça n'a rien à voir avec la loi sur l'amphithéâtre. les démissionnaires(à part Aussant) se servent de cette loi pour gagner des appuis.
    Mais dans quelques mois, ce sera chose du passé et les démissions de ces députés(et de leur gros égo) vont avoir affaibli le PQ et SURTOUT le mouvement souverainiste.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juin 2011

    La cause ne rencontre aucune difficulté. Voilà encore une lubie qui commence à ressembler à un mantra si utile quand on a pas le courage de s'engager dans l'action. Bien expliquée, la notion de souveraineté pourrait facilement recueillir au-delà de 6o% d'appuis. Si les sondages rapportent encore 43% de ouis, ce n'est que par l'incompétence crasse des dirigeants du PQ.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juin 2011

    Je ne dis pas que le monde se retourne contre les démissionnaires. Je dis même que le discours de Louise Beaudoin semble patenté pour lui gagner 10 000 amis sur Facebook, nouvelle façon peut-être de faire de la politique. Par contre, je dis que la fronde perpétuelle contre les chefs provoque des poussées de boutons et que le mouvement indépendantiste semble les vouer à un rôle sacrificiel que la population voit. Ce n'est pas parce qu'Il y a des landristes, des bouchardistes, des maroissiens, des parizeausites qu'elle le voit.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juin 2011

    Ah le »monde», le «monde». On peut lui faire dire n'importe quoi quand on y croit assez. Comme ça, «le monde» se retourne contre les démissionnaires? Ce n'est pas ce que les sondages montrent, mais vous devez avoir des antennes particulières.
    Au fait, les antennes de ce genre ne seront plus opérationnelles d'ici quelques mois. Les maroissiens et les maroissiennes ne voient rien sur le radar et c'est dans ce rien qu'ils vont se la péter.

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2011

    M. André Savard, on peut trouver bien des raisons pour la démission des quatre députés du PQ mais je crois que la principale est le projet de loi Bronfman qui fait parti intégrante du projet de loi 204. La loi Bronfman a fait l'objet d'étude à la commission des institutions à laquelle au moins deux de ces députés faisait partie et ceci pourrait permettre ,à la famille Bronfman de transférer des fiducies au Québec avant la fin de leur année fiscale qui se termine fort probablement en septembre si le projet de loi 204 est adopté, et il le sera!(Jean Charest en à fait la promesse...) Cela pourrait permettre aux Bronfman du même coup d'épargner des millions et peut-être même d'en avoir suffisamment pour acquérir une équipe de hockey. En démissionnant, ils se mettent à l'abri d'accusations de la part des électeurs d'avoir participer à une transaction qui s'avèrera très controversée plus tard...si jamais Amir Khadir est porté au pouvoir un jour ou si des journalistes se décident d'en parlé! Le silence des politiciens pourrait confirmer qu'ils ne compteront qu'à l'avenir que sur la corruption(légalisée)et les entreprises pour le financement des partis politiques! Désolé mais je n'ai aucune autre vision de l'avenir politique dans ce pays!