Éthique

Claude Blanchet avait des actions chez des partenaires de la SGF

Rapport du Vérificateur général - novembre 2009

Claude Blanchet, ex-président de la SGF. Photothèque La Presse


(Québec) L'ancien président de la Société générale de financement, M. Claude Blanchet, a détenu pendant son mandat de 1997 à 2003 des actions de plusieurs sociétés publiques avec lesquelles la SGF ou ses filiales brassaient des affaires.
En raison de ses liens avec Pauline Marois, M. Blanchet est le seul président d'une société d'État dont les investissements ont été rendus publics. Les ministres sont tenus de déclarer leurs intérêts ainsi que ceux de leur conjoint une fois l'an. Or les déclarations d'intérêts de Mme Marois montrent que M. Blanchet a détenu plusieurs titres ne faisant pas l'objet d'une fiducie sans droit de regard, dans des entreprises qui faisaient affaire avec la SGF ou bénéficiant de contrats avec le gouvernement et ses sociétés.
Ainsi, il détenait des actions de la compagnie Alcan en 2001 et en 2002, alors que Mme Marois était vice-première ministre et ministre des Finances. Or le 8 février 2002, la SGF a cédé à Alcan sa parti­cipation de 20 % dans l'aluminerie Alouette pour la somme de 264 millions $. Le 22 février, un communiqué de presse du premier ministre Landry rappelait que la SGF avait manifesté un intérêt dans un projet d'Alcan de 50 millions $ touchant la construction d'une usine de fabrication de roues d'aluminium.
Quelques jours plus tard, le 26 février 2002, le premier ministre Landry, accompagné de Mme Marois, dévoilait une série de projets à Saguenay, aux cotés du président d'Alcan Métal primaire Québec et États-Unis, M. Richard Yank. Qui plus est, Alcan Métal primaire était alors un locataire de M. Blanchet. La firme occupait et occupe encore un local dans un immeuble appartenant à Claude Blanchet situé au 86, rue Saint-Louis à Québec. Il faut préciser ici qu'Alcan était déjà locataire de cet édifice avant que M. Blanchet n'en fasse l'acquisition.
La compagnie n'est d'ailleurs pas la seule entreprise à louer des locaux dans un édifice de Claude Blanchet. La société minière Polycor Inc., dans laquelle le Fonds de solidarité dirigé auparavant par M. Blanchet avait des intérêts, loge au 139, rue Saint-Pierre à Québec. Selon la déclaration d'intérêts de la ministre Marois, l'immeuble est détenu par M. Blanchet par le biais l'une de ses compagnies, la Société immobilière du bassin Louise.
Un portefeuille bien garni
Les intérêts de Claude Blanchet dans des sociétés publiques sont tellement nombreux qu'il est difficile d'identifier toutes les actions détenues dans des compagnies impliquées de près ou de loin avec la SGF. Un survol des déclarations d'intérêts de son épouse montre néanmoins d'autres cas où il détenait des titres de cette nature :
- En 1999, M. Blanchet avait des actions de SNC-Lavalin. Pendant la même année, la SGF avait une participation de 20 % dans un projet d'exploitation de magnésium de Magnola, à Asbestos, un projet de 750 millions $, signé Noranda et SNC-Lavalin. À la même époque, la compagnie Rexfor, une filiale de la SGF, s'engageait à verser 8 millions $ en partenariat avec SNC-Lavalin dans une usine de panneaux de cèdre Ded-Or, au Témiscamingue.
- Les déclarations d'intérêts de Pauline Marois pour 1997 et 1999 indiquent que son époux a eu des actions de la firme ABL à Bécancour, propriété à 49 % de la SGF. La société avait investi 3,9 millions$ dans ABL en 1993, avec la firme espagnole Petresa.
- La déclaration d'intérêts de 1999 indique que M. Blanchet détenait des actions dans Bombardier. La même année, la SGF a mis 12 millions $ dans le projet Metaforia à Montréal, en collaboration avec Bombardier capital, Investissement Québec et Innovitech.
- Toujours en 1999, M. Blanchet détenait des actions de Quebecor, alors que le gouvernement et la SGF étaient impliqués avec la compagnie pour relancer la papetière Donohue à Matane, «une aventure» qui, depuis 10 ans, a coûté «très cher» au trésor public, disait alors Bernard Landry.
Une porte-parole de M. Blanchet a communiqué mercredi avec Le Soleil et soutenu que le code d'éthique de la SGF permettait aux dirigeants de l'institution de détenir des actions d'entreprises partenaires, à la condition de ne pas faire de transactions sur ces titres.
On ne trouve rien d'aussi précis dans le code d'éthique qui existait à la SGF lorsque M. Blanchet en est devenu le président en 1997. Ce code incitait par ailleurs les dirigeants à une grande prudence, afin d'éviter toute situation «pouvant donner lieu à des conflits d'intérêts, réels ou apparents».
Le 21 avril 1999, la SGF s'est donné un nouveau code d'éthique, renforçant l'appel à la prudence. Le texte rappelle, sous un chapitre intitulé «Apparence», l'importance de ne pas poser des gestes pouvant «laisser croire que leurs transactions sont faites sur la foi d'informations privilégiées ou de renseignements confidentiels».
Les documents introuvables
L'étude des déclarations d'intérêts de Pauline Marois a mené à une trouvaille bizarre que personne n'est en mesure d'expliquer. Où sont les déclarations d'intérêts des ministres pour les années 1998 et 2000?
Le bureau de Jean Charest a répondu dans un premier temps que ces déclarations n'avaient pas été déposées, et qu'elles n'étaient donc pas de nature publique. Devant l'insistance du Soleil, on a vérifié davantage pour expliquer que les fonctionnaires chargés de la sauvegarde de ces documents refusaient de les transmettre parce qu'ils n'avaient pas été déposés en bonne et due forme, dans le temps.
Au cours des derniers jours, le bureau de Jean Charest avait changé de discours: on ne sait pas si ces documents existent. Les adjoints de Pauline Marois n'en savent pas davantage, et même les anciens adjoints de Bernard Landry ont été incapables de dire si les déclarations d'intérêts avaient été faites, et sinon, pourquoi.
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Éthique et sociétés d'État: la réalité et les apparences

Pendant sa présidence à la SGF, Claude Blanchet a détenu des titres de compagnies importantes qui brassaient des millions de dollars en collaboration avec les ministères du gouvernement ou des sociétés comme la Caisse de dépôt et Hydro-Québec. Photothèque La Presse

Gilbert Lavoie

Le Soleil 19 novembre 2009
(Québec) La question plus générale qui se pose à l'étude des intérêts détenus par Claude Blanchet est de savoir s'il faudrait interdire aux dirigeants des sociétés d'État de détenir des actions de compagnies qui font affaire avec le gouvernement, de manière à éviter toute apparence de conflit d'intérêts.
«En communication, c'est parfois l'impression qui reste», a déclaré récemment Pauline Marois en faisant valoir l'importance de soustraire les élus de toute apparence de conflit d'intérêts. Jean Charest a lancé le même message lorsqu'il a accepté la démission de David Whissell du Conseil des ministres.
Or pendant sa présidence à la SGF, Claude Blanchet a détenu des titres de compagnies importantes qui brassaient des millions de dollars en collaboration avec les ministères du gouvernement ou des sociétés comme la Caisse de dépôt et Hydro-Québec.
Il possédait du Biochem Pharma en 2001, une société qui a beaucoup profité de l'appui de la Caisse de dépôt et du Fonds de solidarité de la FTQ.
En 2002, il détenait des titres de la compagnie Aecon, qui a eu la même année un contrat de 61 millions $ pour la construction du barrage de Toulnustouc d'Hydro-Québec. La firme participait également à l'agrandissement du Palais des congrès de Montréal, à la reconstruction de l'autoroute 15 sur la Rive-Sud, et à la réfection d'un pont à Salaberry-de-Valleyfield.
Québec inc.
En théorie, les dirigeants des grandes sociétés d'État ne connaissent pas les projets du gouvernement ou des autres sociétés. Mais le Québec inc. est tricoté tellement serré que tout le monde se connaît, sans parler des allégeances politiques souvent communes des grands gestionnaires nommés par le parti au pouvoir. Cette situation peut semer le doute dans l'esprit du public et donner à penser que les patrons d'organismes comme Hydro-Québec, la Caisse de dépôt, la SGF et les sous-ministres à vocation économique échangent de l'information, d'autant plus qu'ils sont souvent partenaires dans de grands projets. D'où l'importance de les blinder contre toute apparence de conflit d'intérêts.
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La vente de Vidéotron, un autre cas délicat pour Blanchet

Pauline Marois et son conjoint, Claude Blanchet. Photothèque La Presse

Gilbert Lavoie

Le Soleil 19 novembre 2009
(Québec) Le cas de Claude Blanchet est encore plus délicat parce que sa femme était ministre au gouvernement, membre du comité des priorités de 1996 à 2003, et titulaire des Finances de 2001 à 2003. Les ministres sont tenus au secret sur les délibérations du cabinet. Mais dans un monde où les apparences sont parfois aussi importantes que la réalité, la prudence aurait pu inciter le conjoint de la ministre à ne pas détenir de titres d'entreprises liées de près ou de loin au gouvernement.
À titre d'exemple, les médias ont appris en février 2000 que la Caisse de dépôt pourrait bloquer l'offre de Rogers Communications pour l'achat de Vidéotron. En août, la Caisse s'est portée acquéreur de Vidéotron en partenariat avec Quebecor. Les déclarations d'intérêt de Mme Marois montrent que son conjoint avait des titres de Quebecor en 1999, mais qu'il n'en avait plus en 2001.
De janvier à avril 2000, les actions de Québécor sont passées de 30 $ à plus de 40 $. Les déclarations d'intérêt de Mme Marois ne donnent pas d'information sur la date de la vente des actions de Quebecor par son conjoint. Mais les chanceux qui ont acheté et vendu au bon moment ont fait un profit appréciable. Ce n'est peut-être pas le cas de M. Blanchet ; il est même possible qu'il ait vendu ses titres en 1999, avant l'intervention de la Caisse de dépôt avec Quebecor. Mais dans un monde où les apparences ont une telle importance, sa proximité avec les décideurs du gouvernement aurait pu l'inciter à se tenir loin de ce titre.
Refus de commentaires
La semaine dernière, Le Soleil a tenté en vain d'obtenir les commentaires de Claude Blanchet, mais il a refusé, même après avoir reçu copie de nos questions. Ce n'est que mercredi qu'une porte-parole, qui a demandé à ne pas être identifiée, a communiqué avec nous pour faire valoir qu'il était injuste de publier ce genre d'informations uniquement dans le cas de M. Blanchet, d'autant plus qu'il est le conjoint de Pauline Marois. Il est vrai qu'il est le seul ex-dirigeant d'une société d'État à avoir révélé ses avoirs. Mais c'est justement parce qu'il était alors le conjoint d'un ministre du cabinet qu'il a du se plier à une telle transparence. Ses prédécesseurs et ses successeurs n'ont pas de tels comptes à rendre au public.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    21 novembre 2009

    Deux choses: Primo, aucune loi n'empêche les conjoints de ministres à avoir des intérêts dans des compagnies faisant affaire avec le gouvernement. C'est peut-être une apparence de conflit d'intérêt, mais,
    Secundo, le texte affirme que Mme Marois a bien déclaré les intérêts qu'elle et son mari avaient dans ces compagnies, Mme Marois et M. Blanchet étant alors transparents et honnêtes. Les deux dépôts manquants, de 1998 et 2000, devront être trouvés et vérifiés avant de porter un jugement.
    Je ne suis pas péquiste, encore moins actionnaire d'une compagnie. Je crois que la franchise est une qualité rare en politique, et Mme Marois a bien ses torts, mais je n'ai pas vu chez elle de marque de malhonnêteté financière. Laxisme politique, manque d'imagination, ambition personnelle mal centrée, molesse dans le sentiment séparatiste, peut-être. Mais pas de malhonnêteté financière.
    Elle et son mari ont réussi dans la vie, en respectant les lois ? Tant mieux ! On manque de riches francophones au Québec. Au moins, elle est de notre côté.
    batirquebec.blogspot.com

  • Rodrigue Larose Répondre

    20 novembre 2009

    Claude Blanchet a le tort d'avoir réussi en affaires et d'être le conjoint de Pauline Marois.
    La mesquinerie du Parti libéral n'a d'égale que la nature fondamentalement croche et non éthique de son chef depuis qu'il est en politique. On pourrait rappeler ici les planques (immobilière pour l'un, formatrice en langue pour l'autre) qu'il avait conçues à Ottawa pour son frère Robert et sa soeur Louise. Rodrigue Larose

  • Archives de Vigile Répondre

    20 novembre 2009

    Cela commence peut-être à montrer qu'il serait temps que la garde soit changée. À partir des faits évoqués dans cet article, on peut imaginer quel ton prendra la prochaine campagne électorale. La cheffe sera placée en position défensive, et comme Charest est le roi de la «cheap shot», imaginons le beau dégât qui se profile à l'horizon d'une campagne électorale, qui se traduira en festival d'accusations sur l'éthique de la cheffe pas mari interposé.
    En politique ce sont les impressions qui comptent. Quelle est la vérité derrière tous ces faits, pas facile à déterminer avec précision. J'incline à penser que monsieur et madame nagent en eaux troubles, et ce n'est pas bon pour les souverainistes qui comme moi, ne vivent pas dans le château, mais aspirent à l'indépendance.
    Je pense que madame doit commencer à réfléchir, et bientôt choisir entre son devoir et ses ambitions, avant qu'il ne soit trop tard, à défaut de pouvoir laver plus blanc que blanc la réputation admettons le plutôt grisâtre qui suit avec insistance le parcours professionnel de monsieur Blanchet...