"Un enfant est mort"

Charles Enderlin raconte dix ans de harcèlement

l’affaire Mohamed al-Dura


Par Anne BRIGAUDEAU - Qui a oublié les images de la mort de Mohamed Al-Dura, cet enfant palestinien tué dans les bras de son père ?
Ni les spectateurs, ni Charles Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem, qui publie cette semaine "Un enfant est mort", chez Don Quichotte.
Il raconte comment, en Israël mais surtout en France, des militants proches de la droite et l'extrême-droite israélienne le harcèlent et le traînent en justice depuis dix ans pour ces images choc.
Vidéo * Les 4 Vérités du 05/10/2010

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Retour sur ces images. Le 30 septembre 2000 - il y a dix ans- Talal Abou Rahmeh, le correspondant à Gaza du bureau de France 2 à Jérusalem, filme près de la colonie israélienne de Netzarim un échange de tirs entre armée israélienne et Palestiniens.
"Mohammed a douze ans. Son père tente de le protéger..."
Pris dans la fusillade, serrés l'un contre l'autre, un père et son enfant. Le premier est gravement blessé, le second, tué. Le soir même, Charles Enderlin diffuse ces images sur France 2. Extrait de son commentaire : "Quinze heures. Tout vient de basculer près de l'implantation de Netzarim, dans la bande de Gaza. Des Palestiniens ont tiré à balles réelles. Les Israéliens ripostent. Ambulanciers, journalistes et simples passants sont pris entre deux feux. Ici, Jamal et son fils Mohammed sont la cible de tirs venus de la position israélienne. Mohammed a douze ans. Son père tente de le protéger. Il fait des signes ...mais une nouvelle rafale...Mohammed est mort et son père gravement blessé..."


Charles Enderlin ne le sait pas encore, mais, en France comme en Israël et jusqu'aux Etats-Unis, ce commentaire pesé mot pour mot lui sera reproché pendant dix ans.
Le but de son livre est moins d'établir une vérité qui ne fait guère de doute, que de démonter une propagande qui a pris peu à peu de l'ampleur. Charles Enderlin se pose évidemment les bonnes questions, qui sont aussi les plus simples : pourquoi a-t-il été pris pour cible ? Et par qui ?

Enderlin : on voulait "abattre un journaliste qui dérange"

Pourquoi ? D'abord parce que l’impact de ces images – un enfant palestinien tué, selon toute vraisemblance, par l'armée israélienne- est immédiatement mesuré par l’armée israélienne et le gouvernement d'Ariel Sharon. Deux jours plus tôt, le Premier ministre s'était rendu sur l'Esplanade des mosquées, geste perçu comme une évidente provocation par les Palestiniens, et qui sera lié au déclenchement de la seconde intifada.
Partie en Israël de la droite et l’extrême-droite israélienne, la cabale est lancée. Pour décrédibiliser ces images insupportables, les propagandistes font feu de tout bois, ne reculant devant rien. Ils commencent par nier que les balles venaient du côté israélien, ils finiront par nier la mort même de Mohamed Al-Dura, qu'ils présentent comme une mise en scène palestinienne, allant jusqu'à affirmer, entre autres délires, que "la tache de sang que l’on voit sous l’abdomen de l’enfant est en fait un morceau d’étoffe rouge"…
Des relais en France, y compris parmi des livres ou des journalistes connus
O surprise ! Cette théorie du complot trouve des relais en France, y compris parmi des philosophes ou journalistes connus (voir le livre pour le détail des noms...).
Plus incroyable encore, dans l'hexagone, la campagne va durer, et rebondir à chaque parution ou diffusion d'un nouveau livre ou documentaire signé de Charles Enderlin, du "Rêve brisé". histoire de l'échec du processus de paix au Proche-Orient" (en 2002) aux "Années perdues" en 2006. Autant de livres qui font référence sur le conflit israélo-palestinien, écrit par un des meilleurs journalistes spécialistes du Proche-Orient, établi en Israël depuis plus de quarante ans.
"Il s'agissait", estime Charles Enderlin, "de m'abattre professionnellement parce que j'avais mis à mal, dans "Le rêve brisé", la version israélienne sur les responsabilités dans l’effondrement du processus de paix d’Oslo. Multiplication de procès - dont aucun n'a donné tort à Charles Enderlin, campagne de dénigrement, insultes, rien n'arrête la campagne haineuse qu'il décrit dans "Un enfant est mort". Jusqu'à la lettre explicite de menaces rédigée par un journaliste ayant fait sa carrière dans un prestigieux quotidien...
La guerre des images
Mais au-delà de cette insupportable cabale , ce que révéle l'affaire Al-Dura, c'est la volonté d'étouffer toute image susceptible de réveiller une opinion internationale lassée d'un conflit qui n'en finit pas. Pourquoi nier la mort de Mohamed Al-Dura alors que de nombreux civils palestiniens ont été tués par l’armée israélienne, ces dernières années ? Le 7 octobre 2007, Gideon Levy écrivait ainsi dans Haaretz : "En octobre dernier, nous avons tué 31 enfants à Gaza… ». Et au cours des trois semaines de la guerre de Gaza, début 2009, "318 des victimes" étaient des mineurs de moins de 18 ans", rappelle Charles Enderlin.

Pourquoi alors cette obstination à nier cette mort là ? Parce que ces images, qui montrent en direct la mort d’un innocent, désarmé, sont insupportables. Et parce que l'armée israélienne -comme d'autres- mène désormais une guerre totale aux images qui peuvent lui aliéner l'opinion.
Dans son livre, Charles Enderlin rappelle l’histoire du docteur Izzeldine Abuelaish, ce médecin palestinien de Gaza hurlant par téléphone son désespoir, en direct sur la télévision israélienne, en découvrant ses trois filles tuées par des obus israéliens, en janvier 2009. Un cri si insoutenable, de la part de ce médecin pacifique travaillant à Gaza et en Israël, que certains journaux israéliens tenteront de faire croire à la responsabilité du Hamas.
Armée et gouvernement, souligne Charles Enderlin, ont désormais confié leur communication à des publicitaires et des experts en formation publique. Au-delà de l'affaire Al-Dura, le correspondant de France 2 à tient à mettre en garde l'opinion comme les journalistes : le travail de propagande ne s’arrêtera pas sans une lutte opiniâtre et vigilante.
A la campagne de calomnie qui l'a pris pour cible, ainsi que sa famille, il répond par son travail quotidien. Et par ce livre, qu'il enverra au professeur de français ayant traité avec une extrême sévérité sa fille, lors de l'épreuve de français au bac israélien, parce qu’elle s’appelait Enderlin. Et après ? Charles Enderlin prépare un nouveau livre sur la période actuelle des relations israélo-palestiniennes. Peut-être pour 2011 ou 2012...

-> "Un enfant est mort" Charles Enderlin (18 euros, éditions Don Quichotte).
-> Voir aussi : Le Blog de Charles Enderlin


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