G8 de Deauville

Un plan Marshall pour les pays arabes... sans le Canada

Nouvel Ordre mondial


Le président russe, Dmitri Medvedev, en compagnie de Barack Obama et de l’hôte du G8, Nicolas Sarkozy.

Photo : Agence France-Presse

Deauville — Les dirigeants des huit pays les plus puissants de la planète réunis depuis hier à Deauville pour le sommet du G8 sont sur le point de lancer un «partenariat durable» avec les pays du printemps arabe. La Tunisie et l'Égypte, qui ont renversé les potentats qui les dirigeaient depuis plusieurs décennies, seront les premières bénéficiaires de ce que certains qualifient déjà de «nouveau plan Marshall», du nom du plan qui avait aidé l'Europe à se relever après la dernière guerre mondiale.
Il semble pourtant que cet effort majeur se fera sans le Canada qui, contrairement aux autres membres du G8, ne veut pas, pour l'instant, délier les cordons de sa bourse. Alors que les pays européens et les États-Unis ont annoncé de l'aide supplémentaire, le Canada s'est contenté de rappeler qu'il contribuait déjà amplement aux grandes organisations financières internationales qui seront impliquées dans cette opération.
«Rien n'est possible pour ces peuples si on ne les aide pas», a pourtant insisté hier le président Nicolas Sarkozy, hôte du sommet. Dans le projet de résolution qui doit être adopté aujourd'hui, les membres du G8 affirment leur soutien total à ces pays «engagés dans des transitions démocratiques». Hier, le président français n'avançait pas encore de chiffre, mais disait pouvoir «mobiliser une aide considérable». «C'est vraiment l'ambition de ce G8», a-t-il conclu.
Les États-Unis ont déjà annoncé qu'ils allaient consacrer à la Tunisie et à l'Égypte environ 2 milliards de dollars sous forme de réduction de la dette et de garanties de prêts. L'Union européenne vient aussi d'annoncer qu'elle allait mobiliser 7 milliards d'euros (9,7 milliards de dollars) afin de consolider la démocratie dans ces pays. Hier, même la Grande-Bretagne y est allée de 175 millions de dollars sur quatre ans. Ces efforts s'ajouteront à ceux des grandes organisations économiques internationales comme la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), qui injectera 6 milliards de dollars, et le FMI, qui envisage d'offrir 35 millions de dollars sous forme de prêts.
Si le Canada affirme soutenir cet effort sans réserve, il garde pour l'instant les cordons de sa bourse solidement liés. Stephen Harper a plutôt défendu la nécessité de faire passer l'aide aux pays du printemps arabe par l'entremise des grandes organisations économiques internationales. «Le gros de notre aide passe par les canaux multilatéraux», dit-il. Quant à l'effacement de la dette de ces pays, ce ne serait pas une solution «réaliste», dit le premier ministre, puisqu'il s'agit d'une «dette à très long terme».
«Il n'est pas bon d'avoir trop de cuisiniers», ajoute son directeur des communications, Dimitri Soudas. Selon ce dernier, ces organisations auraient déjà toutes les ressources nécessaires pour aider les pays arabes en marche vers leur liberté. Et cela, même si la Tunisie dit avoir besoin de 25 milliards de dollars d'ici cinq ans et l'Égypte de 10 milliards avant le milieu de l'an prochain. Le premier ministre souligne que la contribution du Canada aux grandes organisations financières internationales est en hausse. Le Canada est aujourd'hui le huitième actionnaire de la BERD, qui s'apprête à réorienter son action des pays de l'Est vers le monde arabe.
Il n'y a pas qu'au sein du G8 que l'aide étrangère massive à la Tunisie et à l'Égypte fait débat. Dans le quotidien Le Monde, le Prix Nobel d'économie Michael Phelps dénonçait hier une aide qui pourrait «même se révéler nocive». Selon lui, les jeunes chômeurs égyptiens et tunisiens ont surtout besoin que l'on mette un terme au contrôle de l'économie «par une caste privilégiée» et que l'on cesse d'octroyer les emplois aux amis du pouvoir et d'imposer des permis inutiles. Un plan massif qui n'éliminerait pas ces obstacles serait inutile, écrit-il.
Le Canada et Israël
Cette première journée du sommet de Deauville aura aussi permis à plusieurs pays d'exprimer leur satisfaction à l'égard du discours prononcé la semaine dernière par Barack Obama afin de relancer les négociations de paix au Proche-Orient sur la base des frontières d'Israël de 1967. Perçu comme le gouvernement le plus proche des positions d'Israël, le Canada s'est à nouveau distingué. Le contraste était flagrant en comparaison des éloges appuyés que Nicolas Sarkozy n'a pas manqué d'adresser à Barack Obama. Le président a déclaré qu'il était exactement sur la même longueur d'onde que son homologue américain, qualifiant son discours de «courageux» et se félicitant de voir une Amérique véritablement «engagée» dans le processus de paix. Nicolas Sarkozy s'est aussi réjoui de la réconciliation entre l'autorité palestinienne et le Hamas. Une opinion avec laquelle Stephen Harper se dit en complet désaccord, s'appuyant sur d'autres propos de Barack Obama qui mettaient en doute cette réconciliation.
Lors d'un entretien bilatéral avec Barack Obama, Stephen Harper semble avoir évité le sujet. Du moins, ses propos n'ont pas été rapportés. Il a plutôt parlé des négociations en cours pour la création d'un périmètre de sécurité entre le Canada et les États-Unis. «Nous souhaitons maintenir cette approche afin d'améliorer la sécurité et d'accélérer la circulation légitime des biens, des personnes et des services entre nos deux pays», a déclaré Stephen Harper.
Le Canada s'est par ailleurs engagé à consacrer 30 millions de dollars de plus à la construction d'une structure de confinement de la centrale de Tchernobyl, ce qui porte l'effort canadien à 105 millions de dollars. Nicolas Sarkozy s'est félicité que, 25 ans après le drame et des années d'efforts, le G8 ait enfin «bouclé le financement de Tchernobyl».
Lagarde omniprésente
Si elle n'a pas été discutée officiellement, la candidature de la ministre des Finances française, Christine Lagarde, à la succession de Dominique Strauss-Kahn à la direction du FMI a alimenté les discussions hors des sessions, a admis Nicolas Sarkozy. Le président n'a pas caché son admiration pour cette «femme d'une grande qualité» qui «ferait une très bonne directrice générale.»
Toujours très bas dans les , le président ne s'est pas privé d'un gigantesque bain de foule à son arrivée en compagnie de Barack Obama et des autres leaders du G8. Quelques stars du Net comme le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, et le président de Google, Eric Smith, ont remis aux chefs d'État et de gouvernement les conclusions du «e-G8», qui a réuni à Paris pendant deux jours plus de 800 leaders du monde de l'Internet. Selon Stéphane Richard, directeur de France Télécom, le sujet de discussion le plus brûlant fut celui de la propriété intellectuelle. «Oui, il faut protéger la propriété intellectuelle. Non, il ne faut pas freiner le développement d'Internet», dit-il. Mais, entre ces deux positions, toutes les nuances existent. Nicolas Sarkozy a annoncé que le «e-G8» précédera dorénavant chaque sommet du G8.
Stephen Harper a rencontré le premier ministre du Japon, Naoto Kan, qui a félicité le Canada d'avoir gardé son ambassade ouverte après le tremblement de terre. Il s'est aussi entretenu avec son homologue britannique, David Cameron, ainsi que le président de l'Union européenne, Herman Van Rompuy, et celui de la Commission européenne, José Manuel Barroso.
Toujours la favorite des caméras, l'épouse de Nicolas Sarkozy recevait pendant ce temps les conjoints des leaders du G8 à la villa Strassburger de Deauville pour promouvoir la lutte contre l'illettrisme. D'un simple regard et d'un léger geste des mains vers son ventre à peine rebondi, Carla Bruni a confirmé devant le monde entier sa grossesse sur laquelle l'Élysée multiplie depuis quelques semaines les messages subliminaux sans faire aucune déclaration officielle. Interrogé à ce propos, Nicolas Sarkozy s'est contenté de dire que son épouse allait «très bien».
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Correspondant du Devoir à Paris


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