Québec, quatre cents ans de batailles linguistiques

La ville de Québec fête son 400e anniversaire... et presque autant d’années à défendre le français contre l’anglais. Le combat de la langue est avant tout une question d’identité

Québec 400e - vu de l'étranger

La ville de Québec fête son 400e anniversaire... et presque autant
d’années à défendre le français contre l’anglais. Le combat de la langue
est avant tout une question d’identité

Feux d'artifices au dessus de la ville de Québec, pour son 400e
anniversaire, jeudi 3 juillet (Photo Boissinot/Canadian press/AP).
Si le Québec est encore aujourd’hui dominé par le verbe de Molière, c’est
grâce à l’indéfectible volonté des irréductibles francophones qui
l’habitent. Pourtant, le français de la Belle Province, bien que protégé
depuis 1977 par la Charte de la langue française (loi 101) qui en fait la
seule langue officielle et en favorise l’apprentissage, ne sera jamais à
l’abri d’une domination anglophone. « Les Québécois sont habités par un
sentiment d’insécu­rité linguistique phénoménal. Pour des raisons
démographiques. Parler français y relève du volontarisme » , lance Benoît
Melançon, professeur au département d’études françaises de l’Université de
Montréal.
Au début de la colonisation, le français du Québec était marqué par un
usage relativement homo­gène. Les colons étaient majori­tairement issus du
nord-ouest de la France et parlaient une langue semblable. Mais dès 1759,
avec la conquête du Canada par les Britanniques, les francophones se
retrouvent isolés. C’est alors que commence le combat pour la préservation
de la langue et de la culture françaises. Lutte dans la­quelle l’Église
joue un rôle essentiel puisqu’elle s’impose alors comme gardienne de la
langue en même temps que de la foi.
« Les membres du clergé étaient les seules personnes capables de
s’adresser aux conqué­rants dans leur langue , explique Gaétan Lapointe,
ancien direc­teur des relations internationales de Radio Canada. Les
ecclésiasti­ques conclurent avec les autorités un pacte non écrit dans
lequel ils garantissaient la soumission du peuple en échange de la
préserva­tion de la religion, de la langue et de la culture. Les
communautés francophones s’organisèrent ainsi autour des clochers. »
"Pour nous, c'est une question d'identité"
La présence britannique in­fluence cependant grandement la parlure
québécoise. En l’absence de relations avec l’Hexagone pendant près de deux
cents ans, la termi­nologie anglaise gagne du terrain. Aujourd’hui encore,
à défaut de parler anglais, les Québécois sont tentés par les anglicismes
proposés par la population canado-améri­caine qui les entoure. Un tsunami
difficile à contenir.
« Les Anglo-Américains ne saisis­sent pas que l’on tienne tant à notre
langue, pas plus que les immigrants, qui voient dans l’apprentissage de
l’anglais une chance. Pour nous, c’est une question d’identité » , remarque
Guy Dumas, sous-ministre respon­sable de l’application de la politique
linguistique du Québec. S’il estime le bilinguisme avantageux, il croit que
des efforts doivent être faits pour ménager une plage d’usage au français
dans la vie publique.
« C’est le langage commun du Qué­bec et il doit le rester. » Lorsque des
immigrants débarquent au Québec, il faut leur faire comprendre que la
langue du commerce, de l’adminis­tration et de la communication est le
français, prévient Benoît Melan­çon : « Ce n’est pas gagné. Surtout à
Montréal qui attire les immigrés. »
Le débat sur l’usage de l’anglais dans les entreprises constitue le
principal enjeu aujourd’hui. « Ac­tuellement, les entreprises québécoi­ses
de moins de cinquante salariés ne sont pas tenues de se franciser, poursuit
le chercheur. Il est temps d’abaisser ce seuil pour préserver la domination
française. »
"Un étendard de fierté du français du Québec"
Faut-il voir dans la prochaine publication d’un [Dictionnaire du français
standard->495] en usage au Québec un nouvel espoir pour la défense de cette
langue ? Guy Dumas en est persuadé. « Ce dic­tionnaire va être un étendard
de fierté du français du Québec. Il va conférer un sentiment de sécurité
aux Québécois face à l’usage parti­culier qui est fait de cette langue. »
Car, s’il est un accent québécois, il n’existe pas de langue québécoise.
Au tournant des années 1970, alors que la révolution tranquille battait son
plein, certains ont rêvé d’une identité nationale incarnée
linguis­tiquement. Le français québécois semble cependant n’être rien
d’autre qu’une variété régionale du français, dont il partage 80 % du
vocabulaire. Pourtant, « nous avions le désir d’une description de la
langue française du Québec » , souligne Hélène Cajolet-­Laganière, l’une des
auteurs du dictionnaire. Cet ouvrage, mis au point par le groupe de
recherche Franqus (Français du Québec: Usage Standard) de l’Université de
Sherbrooke, se veut le reflet de la totalité du français utilisé, de Hull à
Gaspé. «Dans les dic­tionnaires provenant de France, la mise en contexte
est européenne. La littérature québécoise est absente, tout comme les mots
spécifiquement utilisés chez nous, regrette-t-elle. C’est acculturant. »
Fort de cinquante-deux mille en­trées, ce dictionnaire du français vu du
Québec offrira leurs lettres de noblesse à des mots méconnus des Français
comme «brunante » (tombée de la nuit) ou « beigne » (pâtisserie en forme
d’anneau). Pas question cependant de met­tre en avant le «joual», si cher à
l’auteur Michel Tremblay. « Cet argot du Québec ne doit pas être confondu
avec le français en usage au Québec, remarque Hélène­Cajolet-Laganière. Mis
en avant par un mouvement littéraire destiné à revendiquer l’autonomie de
la pro­vince au début des années 1970, il constitue aujourd’hui un registre
de langue très familier, bêtement associé à la langue des Québécois. »
L’ouvrage suffira-t-il à protéger le français du Québec contre ses
assaillants? Nombreux sont les sceptiques. «Nous n’arriverons jamais à
reconquérir la langue française , tranche Gaétan Lapointe.
Nous écrirons demain l’histoire de son agonie… en anglais.» Une hypothèse
que tend à confirmer un rapport sur la situation lin­guistique de l’Office
québécois de la langue française (OQLF) dévoilé en mars : désormais, l’île
de Montréal accueille 49,8 % de francophones, contre 17,6 % d’an­glophones
et 32,6 % d’allophones. La supériorité française semble mal en point.

Yasmine BERTHOU, à Québec



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