Les justiciers

Les paris étaient ouverts sur la rapidité avec laquelle Jacques Duchesneau se mettrait le pied dans la bouche. Il a dépassé les attentes.

Élection Québec 2012 - Bilan


Les paris étaient ouverts sur la rapidité avec laquelle Jacques Duchesneau se mettrait le pied dans la bouche. Il a dépassé les attentes. Le « raccourci » qu’il a pris en s’arrogeant le pouvoir de nommer des ministres était gênant pour François Legault, qui a perdu une journée de campagne, mais la gaffe est mineure.
D’ailleurs, s’il est vrai que deux Québécois sur trois croient que les partis politiques, toutes couleurs confondues, sont corrompus, plusieurs seront sans doute heureux d’apprendre que ce symbole d’intégrité sera consulté sur la nomination de certains membres d’un éventuel cabinet Legault.
Il était de bonne guerre de monter ce faux pas en épingle, mais il faudra trouver autre chose pour contrer l’impact de sa candidature. L’embarras de Pauline Marois crevait les yeux, dimanche, et pour cause. Avec M. Duchesneau, la CAQ risque d’apparaître comme la plus apte à animer la grande « coalition contre le cynisme » évoquée par Jean-François Lisée.
Alors que Mme Marois faisait campagne aux Îles-de-la-Madeleine pour parler de pêcheries et de tourisme, un trio de justiciers péquistes a improvisé un point de presse pour recycler, en y ajoutant quelques éléments inédits, une sombre histoire de vente de terrain impliquant une députée libérale, deux ministres et la Fondation Catania. Les faits rapportés soulèvent certainement des questions, mais l’entrée en scène de M. Duchesneau a manifestement rendu plus urgent le besoin de les publiciser.
Le fin limier du caucus péquiste, Nicolas Girard, a lourdement insisté sur l’expérience du PQ et sa connaissance des rouages de l’État, qui lui auraient permis de découvrir cette nouvelle friponnerie. « Un homme seul, fût-il Eliot Ness, ne suffit pas. Pour éradiquer la corruption, ça prend toute une équipe », a-t-il déclaré. CQFD.
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La politique est chose ingrate. Nul ne peut contester l’énergie avec laquelle le PQ a dénoncé les magouilles libérales au cours des dernières années. Se faire damer le pion à la dernière minute est certainement frustrant, mais il est illusoire de vouloir rivaliser avec M. Duchesneau sur le plan de la lutte contre la corruption.
Il vaut toujours mieux s’en prendre à l’élément le plus faible d’un tandem. Ainsi, durant la campagne référendaire de 1995, les stratèges du Non avaient bien compris qu’il valait mieux cibler Jacques Parizeau, dont plusieurs se méfiaient, que Lucien Bouchard, qui était devenu intouchable. Sur le thème de l’influence de l’argent en politique, M. Legault est certainement plus vulnérable que son chevalier blanc. De toute manière, si la CAQ l’emporte le 4 septembre, c’est lui qui sera le seul patron, comme il l’a bien précisé hier.
Après examen des livres de la CAQ, M. Duchesneau a conclu qu’il n’y avait rien de répréhensible dans son financement. Qu’il ait demandé à être exempté de l’obligation de verser 25 000 $ à sa caisse électorale démontre toutefois combien cette condition imposée à tous les autres candidats était discutable.
Les souverainistes qui voient encore en M. Legault un des leurs temporairement égaré devraient également prendre note de la récente évolution de sa pensée sur la question nationale. Quand il a décidé de fonder un nouveau parti, il disait mettre le dossier en veilleuse pour une période de dix ans, expliquant que les Québécois n’étaient pas prêts à trancher le débat. Il n’excluait cependant rien pour l’avenir.
Dans une entrevue accordée au Devoir au premier jour de la campagne, M. Legault a plutôt dit ne plus croire à la souveraineté. « Moi, je n’y crois plus. Pour moi, l’idée d’avoir un pays pour un pays et puis avoir une grosse chicane constitutionnelle, pour moi, ce n’est plus approprié. » Entre la mise en veilleuse et le reniement, il y a plus qu’une nuance. Plusieurs ont noté l’omniprésence de libéraux fédéraux dans son entourage. Il semble aussi avoir adopté leur credo fédéraliste.
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Les recherchistes libéraux ont fait preuve de plus d’imagination que leurs collègues péquistes pour suggérer au premier ministre Charest une réplique humoristique à l’annonce de la candidature de M. Duchesneau. En réalité, sa venue lui déplaît peut-être moins qu’on pourrait le croire.
Tout le monde attend avec impatience les prochains sondages qui donneront une première mesure de l’effet Duchesneau. Sur la base des résultats du dernier coup de sonde de Léger Marketing (PQ 33 %, PLQ 31 %, CAQ 21 %), le simulateur du site Too close to call accordait 64 sièges au PQ, 48 au PLQ et 12 à la CAQ. Une progression de 4 points de la CAQ et une baisse correspondante du PQ pourraient permettre au PLQ de former un gouvernement minoritaire avec 53 sièges, contre 47 au PQ et 23 à la CAQ. Il serait pour le moins paradoxal que M. Duchesneau devienne l’instrument de sa réélection.


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