Les chiffres sont souvent impersonnels. La démonstration mathématique du recul du français à Montréal reste pour certaines personnes une chose abstraite, non concrète, qui ne signifie rien. J’ai reçu un témoignage d’une personne qui travaille dans un gros hôpital universitaire anglophone de Montréal. Il s’agit d’un rare « témoignage de l’intérieur », très articulé. L’abondance de détails et d’anecdotes trace un portrait accablant de la situation du français qui règne sur le terrain, dans la réalité, et ce portrait est loin des affirmations à l’effet que « tout va bien », qu’il « reste du travail à faire » et que les hôpitaux anglophones sont « bilingues ». Ces hôpitaux anglophones embauchent un grand nombre d’allophones et de francophones et les obligent à travailler en anglais. Et cela ne va pas sans une certaine dose de violence psychologique envers ceux qui refusent de se soumettre. Tout ça aux frais de l’État québécois. Pour des raisons évidentes, la personne souhaite conserver l’anonymat.
« Je constate qu’il y a une pression de plus en plus lourde vers l’anglicisation de la part des anglophones. Comme moi, les allophones subissent cette pression. Par exemple, il y a un directeur qui oblige ses employés et étudiants à ne parler qu'en anglais dans son laboratoire. Le directeur de l'Institut décourage les étudiants de présenter leurs projets à l'ACFAS parce c'est en français et que ça n'en vaut pas la peine. Il y a cet étudiant qui me dit qu'il a étudié à l'UQAM. Je commence à lui parler en français, mais il en est incapable. Il y a une employée qui décide d'étudier aux HEC. À ma grande surprise, elle obtient son diplôme sans parler un mot de français.
J’accueille des assistantes de recherche provenant d’un laboratoire du CHUM pour une formation. Les assistantes de recherche se parlent en anglais et il faut que j’insiste pour que la formation se fasse en français et elles ont l’air surprises. Autrement dit, le CHUM est bilingue, mais le CUSM est unilingue anglais. Comme si ce n’était pas suffisant, certains parlent sans complexe de la partition du Québec. Les pressions se sont accentuées. Personnellement, je résiste à ces pressions et j’exige mes services en français à l’hôpital. Je ne comprends pas pourquoi il y a des résidents en médecine et des infirmières unilingues anglais.
J'ai remarqué qu'il y a des allophones qui font semblant de ne pas parler français. Par exemple, il est arrivé que, lorsque je commande un sandwich à la cafétéria, une nouvelle employée fasse semblant de ne pas me comprendre. J'ai vu que quelques collègues l'ont entraînée plus loin pour lui parler. Miraculeusement, le lendemain, elle parlait français et le parlait couramment avec un accent. Même chose pour une caissière. Mais là, elle s'est fatiguée et ne me parle plus. Elle a décidé de me montrer les chiffres numérisés de sa caisse.
Récemment, je me suis présentée en dermatologie et la résidente qui vient faire l'examen me pose des questions en anglais. Je lui réponds en français et je lui demande de poser les questions en français. Elle ne comprenait visiblement pas le français. Je lui ai demandé en anglais de me parler en français. Elle me dit qu'elle ne parle pas français. Donc, j'ai dû expliquer mon problème en anglais.
J'ai récemment dû forcer une infirmière à me parler en français devant des patients anglophones qui n'ont pas eu à vivre le même stress que moi. Cette infirmière résistait à ma demande, mais a finalement dû capituler devant mon insistance. Un concierge qui ne sait pas ce que veut dire le mot « trois » même si je lui montre trois doigts. Un autre concierge qui me demande en anglais pour quelle raison on parle français au Québec.
Je constate que les allophones en provenance du Commonwealth sont ceux qui refusent le plus souvent de parler français. Il y a aussi la responsable en santé et sécurité qui nous explique en anglais de ne pas décrire en français le contenu d'un colis pour les transports dangereux parce que personne ne comprend le français et que c'est dangereux. Ceci, sous les rires entendus des participants.
Un directeur de laboratoire originaire d’Europe continentale vient me parler un matin pour m'engueuler parce que ses enfants sont obligés d'aller à l'école française. Un responsable du département de pathologie de l'hôpital, d'origine française, est obligé pendant un souper de prendre la défense des Québécois parce que les participants au souper vont trop loin dans leur dénigrement.
Mon mari, un Acadien, constate, lui aussi un recul dramatique du français au Québec et songe maintenant à quitter Montréal pour un endroit français au Québec, en espérant que le français soit respecté.
C'est une souffrance quotidienne. C'est un combat constant sur le terrain. »