Grève étudiante

Le fond et la manière

Nous attardant maintenant à la manière plutôt qu’au fond, il faut constater que le premier ministre a passé par-dessus ses principaux interlocuteurs pour s’adresser aux contribuables, les électeurs, cette « opinion publique » auprès de laquelle il se conforte.

Désobéissance civile - Printemps québécois


Cédant à une escalade devenue insoutenable, le premier ministre Jean Charest a esquissé hier un premier pas vers le règlement de la crise avec les étudiants, à l’aube d’une douzième semaine de grève. L’offre globale doit être analysée sur le fond par les assemblées générales, mais s’attarderont-elles uniquement au fond, ou également à la manière ?
Le ministre de la Sécurité publique Robert Dutil a donné le ton, hier matin, en convenant qu’il avait été trop loin en accusant l’un des porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, d’« inciter à la violence ». C’était le premier mouvement de ce vendredi pour mettre au rancart la « personnalisation » du conflit et le débat connexe sur la violence, devenus de véritables poudrières.
Un peu plus tard, le premier ministre Jean Charest a fléchi face aux pressions, proposant sa sortie de crise : une offre globale confirmant une hausse des droits qui, tout bien compté, se termine à 82 % sur 7 années plutôt que les 75 % sur 5 ans budgétés, une bonification du régime d’aide financière s’attardant à la contribution des parents, la création d’une commission sur les universités et l’instauration d’un régime de remboursement proportionnel au revenu. Certaines de ces propositions étaient déjà connues.
Voilà pour le fond, dont on peut déjà soupçonner, sans brandir de boule de cristal, qu’il ne pourra satisfaire des étudiants en grève, dont la principale dénonciation vise précisément la hausse : la « solution globale » ne l’atténue en rien.
Vient un moment, dans toute négociation qui se respecte, où il est temps de présenter le contenu d’une offre patronale, la destinant aux membres des assemblées. C’est vraisemblablement ce que les trois regroupements étudiants, FECQ, FEUQ et CLASSE, doivent maintenant faire, par respect pour cette démocratie de laquelle ils se réclament haut et fort. Il y a sans doute chez ces étudiants tenaces un pourcentage appréciable qui n’y verra qu’une insulte. Mais il y a aussi, assurément, chez ces autres qui chauffent les bancs d’école et qui auront à voter, une lueur au bout du tunnel. Il y a en tout cas, qu’on accepte ou qu’on refuse, de quoi alimenter des échanges à une table de négociation.
Mais voilà. Nous attardant maintenant à la manière plutôt qu’au fond, il faut constater que le premier ministre a passé par-dessus ses principaux interlocuteurs pour s’adresser aux contribuables, les électeurs, cette « opinion publique » auprès de laquelle il se conforte. N’en déplaise à M. Charest, qui juge « grotesque » toute analyse prêtant à sa gestion de crise des couleurs électorales, les sondages traduisent de manière éloquente que les citoyens ne sont pas insensibles à l’« autorité » gouvernementale affirmée face aux casseurs. Cette escalade de la violence, peu importe l’affiliation des auteurs, inquiète le « contribuable », qui souhaitait depuis longtemps un geste rassurant de la part du gouvernement.
L’histoire dira s’il fut malhabile de diriger ainsi une tentative de dénouement de crise vers le peuple plutôt que vers les principaux intéressés, à côté desquels il passe comme s’ils étaient portion négligeable. Sur le plan économique, c’est une confirmation du fait que cette hausse s’inscrit dans une entreprise budgétaire mettant le cap sur le déficit zéro, auquel tous les citoyens sont appelés à apporter une « juste part ». Sur le plan stratégique, c’est l’aveu que la discussion avec la CLASSE répugne au gouvernement, comme il l’a maintes fois démontré.
Il faudra pourtant que les discussions reprennent, sans mépris ni arrogance, avec ouverture des deux côtés de la table, et en compagnie de tous les représentants concernés. Car le premier pas franchi hier confirme sans l’ombre d’un doute qu’une négociation est enclenchée. Pourquoi pas avec les étudiants, plutôt qu’avec la population ?


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