La terre d'accueil

Accommodements raisonnables et immigration

Le Canada est l'une des grandes terres d'accueil de la planète. C'est la troisième destination au monde pour l'immigration, selon des données récentes de l'Organisation de coopération et de développement économiques.
En 2004, 235 800 personnes ont émigré au Canada, qui est en cela devancé par deux pays nettement plus importants en termes de poids démographique et de puissance économique, les États-Unis, qui accueillent 946 100 personnes, et le Royaume-Uni, 302 800.
Ces chiffres doivent nous mener à réfléchir. Il est vrai que cette performance quantitative se double d'un réel succès qualitatif. Malgré l'importance de la population immigrante, les tensions entre la société d'accueil et les nouveaux venus sont relativement mineures. Mais le succès du passé n'est pas garant de l'avenir.
De petites lézardes commencent à apparaître, comme le montre le débat sur les accommodements raisonnables. Et nous savons déjà que les défis seront plus grands dans l'avenir, ne serait-ce que parce que le poids de l'immigration ira en s'accroissant.
Revenons un peu sur les chiffres. Le Canada reçoit beaucoup d'immigrants, on vient de le voir. Le taux d'immigration, c'est-à-dire la proportion des immigrants par rapport à la population, est également élevé. À ce chapitre, en accueillant, en 2004, un nombre d'immigrants qui équivaut à trois quarts d'un pour cent de sa population, le Canada se classe au quatrième rang mondial, derrière deux autres grandes terres d'accueil, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, et la Suisse qui est maintenant au premier rang.
Si on regarde maintenant l'ensemble de la population immigrante qui s'ajoute année après année, le Canada, dont 18% de la population est née à l'étranger, arrive encore là au troisième rang, derrière la Nouvelle-Zélande, avec 18,8% et l'Australie, 23,6%.
Là où le Canada se distingue, c'est dans la proportion de ces nouveaux venus qui obtiennent la citoyenneté. Avec un taux de citoyenneté de 72,6% pour ses immigrants, le Canada devance tout le monde, y compris l'Australie.
Et tout ça, sans crise! L'Australie, l'autre grand pays d'immigration, a connu de véritables émeutes sur les plages entre Australiens de souche et musulmans, surtout libanais. Des pays pacifiques comme les Pays-Bas ont connu des débats d'une rare tension autour de l'immigration, qui ont mené à une montée d'une droite populiste musclée. Et nous avons tous le souvenir de la France qui, même si on y trouve en proportion deux fois moins d'immigrants qu'ici, a néanmoins connu des crises majeures.
Ce succès, avant de sombrer dans l'autocongratulation, s'explique en bonne partie par la nature même du Canada, qui s'est construit sur l'immigration. Ses citoyens, même de souche, sont tous venus d'ailleurs et ont encore une mémoire de leurs origines, à l'exception, bien sûr, des autochtones. Nos attitudes sur l'immigration sont donc différentes et sont facilitées par le fait que notre immigration est très variée ce qui fait qu'aucun groupe ne détient un poids démographique qui pourrait être perçu comme une menace.
Mais il n'en reste pas moins que le flux d'immigration est très important. Depuis 1990, par exemple, le Canada a accueilli environ 3,5 millions de personnes. C'est dire, qu'en une demi-génération, le nombre et la proportion des immigrants a à toutes fins pratiques doublé.
Cela posera plusieurs défis. D'abord, on met progressivement à l'épreuve la capacité d'accueil de nos institutions à mesure que l'arrivée de nouveaux venus risque de nous approcher d'un seuil critique. Ensuite, la nature même de l'immigration, notamment la présence grandissante de membres des minorités visibles, soulèvera de façon plus pressante les enjeux de l'intégration et de la tolérance.
Le Québec s'attaquera à l'un de ces défis, avec sa commission d'enquête sur les accommodements raisonnables qui permettra de mieux définir les paramètres de l'intégration. Mais il restera bien d'autres problèmes à résoudre, et plus particulièrement le fait que l'incidence de la pauvreté et du chômage chez les immigrants est plus élevée qu'auparavant, malgré les pénuries de main-d'oeuvre, ce qui illustre l'existence de ratés dans nos mécanismes d'intégration.
La réflexion sur ces questions nous amènera certainement à nous demander si le modèle du multiculturalisme est encore adapté aux problèmes qui nous confrontent. Il y a une réponse. L'immigration est une réalité changeante, et les principaux outils dont nous aurons besoin, ce sont la souplesse et la capacité d'adaptation. Et s'il y a des choses dont il faut se méfier comme la peste, ce sont les doctrines et le dogmes. On a vu à quel point les Français, avec une doctrine républicaine pourtant bien ficelée, se sont cassés la figure. Il ne faudrait pas que l'attachement à nos propres doctrines nous mène nous aussi à l'impasse.


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