L’OQLF ouvre la porte aux anglicismes

Fcffd00631db59b0d7f827098314a946

Le joual de Troie de l'asservissement volontaire






Les anglicismes ne sont plus ce qu’ils étaient. Une nouvelle Politique des emprunts linguistiques adoptée sans tambour ni trompette par l’Office québécois de la langue française (OQLF) ne les « condamne plus systématiquement ».


 

Des emprunts à l’anglais « de longue date » sont légitimés alors qu’auparavant l’OQLF privilégiait systématiquement (et même dogmatiquement aux oreilles de certains) les équivalents français, quitte à les inventer.


 

La transformation officielle est critiquée. Un chercheur décrit ce « filtrage des anglicismes » comme un « asservissement volontaire ». Une linguiste universitaire juge que l’OQLF change carrément de vocation en adoptant une posture descriptive plutôt que normative.


 

Voici certains exemples d’emprunts légitimés transmis au Devoir. Dorénavant, les gardiens de la langue jugent légitime de dire bar à salades (et non buffet à salades), poudre à pâte (au lieu de levure chimique), grilled-cheese (sandwich au fromage fondant), softball (balle-molle), squat (accroupissement) ou contact (relation, en parlant d’une personne).


 

L’OQLF accepte aussi leader, effectivement très utilisé partout, tout le temps, y compris dans Le Devoir, par exemple pour parler d’un chef de parti politique. Il y a dix ans, le terme anglais était présenté comme un emprunt auquel il fallait préférer les français « chef », « chef de file » ou « meneur », en fonction des domaines et circonstances.


 

La nouvelle politique des emprunts en remplace une autre datant de 2007. L’organisme a défini son premier guide général du genre en 1980. On en est donc à la troisième version en quelque quatre décennies.


 

Des anglicismes


 

Danielle Turcotte, directrice générale des services linguistiques de l’OQLF, souligne ce qui change dans cette continuité.


 

« Nous travaillons à la promotion de la langue française depuis plus de cinquante ans, dit Mme Turcotte, en entrevue téléphonique. L’emprunt fait bien sûr partie de nos préoccupations. Les trois documents, de 1980, 2007 et 2017, s’articulent autour d’un point commun : la promotion et la défense du français. Il n’y a pas de changement de ce point de vue. »


 

Elle explique que ce document, qui n’est « pas vraiment destiné au grand public », a été adopté à la suite d’un colloque organisé à Québec à l’automne 2016 et de décisions d’un comité d’officialisation linguistique. Le document a été intégré officiellement le 31 janvier 2017. Il existe en ligne depuis.


 

Il y est question d’emprunts, mais dans la grande majorité des cas, il s’agit bien d’anglicismes. « La grande différence, c’est qu’en 2007 la politique reposait sur une dichotomie : dès qu’il y avait un terme français disponible pour nommer un concept, on condamnait l’usage d’un anglicisme. Le terme leader était donc condamné en bloc. Au fil du temps, on a observé que des prises de position aussi marquées desservaient somme toute nos efforts de francisation. »


 

Et pourquoi ? « Encore faut-il que les propositions de l’Office soient reprises, poursuit la directrice Turcotte. Quand nos propositions sont trop tranchées, il arrive que les gens trouvent que nous n’avons pas de bon sens. Nous avons donc décidé de faire preuve de créativité. Quand un nouveau terme emprunté apparaît, nous nous dépêchons de rendre un équivalent français disponible. Mais face à des emprunts de longue date, il faut se demander s’ils sont légitimés ou non. »


 

Prenons le grilled-cheese pour exemple. Il y a dix ans, l’OQLF condamnait cette appellation au profit de « sandwich au fromage fondant ». L’emprunt de l’anglais se trouve maintenant désigné comme « synonyme ». Par contre, legging obtient le statut de « vedette » devant « collant sans pieds », tout comme baby-boom (bébé-boum), cocktail (coquetel) et smash qui chasse le très étrange et tout aussi secret « coup d’écrasement » du tennis.


 



Quelques exemples d’emprunts désormais acceptés

























































Terme principal de la fiche avant la politique de 2017 Emprunts autrefois rejetés Statut de l'emprunt dans le Grand dictionnaire terminologique
bébé-boum baby-boom Terme privilégié
coquetel cocktail Terme privilégié
sandwich au fromage fondant grilled-cheese Synonyme
chef/chef de file/meneur leader Synonyme
collant sans pieds legging Synonyme
chandelle lob (au tennis) Terme privilégié
balle-molle softball Terme privilégié
coup d'écrasement smash (au tennis) Terme privilégié
endoprothèse vasculaire stent Synonyme





 

« Quand il y a un terme français disponible, il reste le terme privilégié, résume la spécialiste de l’OQLF. Mais on ne condamne plus systématiquement les emprunts. Je n’ai pas dit que nous acceptons systématiquement les emprunts. Nous évaluons l’emprunt à partir de critères très détaillés, et surtout beaucoup de vérifications, puis nous rédigeons notre fiche en conséquence en mettant toujours en avant, dans la vedette, le terme français. »


 

Décrire ou orienter ?


 

Cette modification ne plaît pas à tous. Jacques Maurais, ancien coordonnateur de la recherche et de l’évaluation au sein de l’OQLF, a écrit une lettre ouverte aux médias contre ce système de « filtrage des anglicismes » assimilé à un « asservissement volontaire ».


 

Il rappelle que l’intention du législateur en créant l’OQLF n’était pas « d’ouvrir les vannes à l’accueil des anglicismes ». Il s’interroge sur la prétention de légitimer des emprunts « implantés » et « légitimés » depuis au moins 15 ans en se référant à une « norme sociolinguistique » (au singulier) alors qu’il en existe plus d’une dans notre société, selon la classe sociale, la région, l’âge, etc.


 

La directrice Turcotte répète que l’OQLF ne veut plus traquer systématiquement certains usages tout en privilégiant les termes français. « Il n’est pas question de dire que tous les emprunts du [dictionnaire des anglicismes] Colpron sont intégrés systématiquement parce qu’ils ont quinze ans d’usage, reprend-elle. Mais non, voyons. »


 

La linguiste Nadine Vincent rebondit sur cette idée du rôle fondamental de l’organisme. « Je me demande si l’Office, qui n’a pas officiellement changé de mandat, n’aurait pas changé de mandat officieusement, dit-elle. Son rôle, ce n’est pas de décrire l’usage et de déterminer ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas, c’est d’orienter l’usage. J’ai l’impression que l’OQLF est en train de transformer son rôle de représentant en observateur de la norme. J’ai l’impression qu’il y a des linguistes à l’Office qui ont envie d’être linguistes en décrivant l’usage, pour dégager une norme. Non. Le rôle de l’Office, ce n’est pas de décrire l’usage, mais de l’orienter. »


 

La professeure de l’université de Sherbrooke reconnaît que certains cas peuvent prêter flanc aux tirs sarcastiques. Quand l’organisme propose de remplacer slowfood par « écogastronomie » ou de dire « cuisinomanes » au lieu de « foodies », tout le monde se gausse, souligne Mme Vincent, mais en ajoutant immédiatement : « Il y a tout de même quelque chose de rassurant quand pop-corn a son équivalent maïs soufflé. Et il y a de grands succès, comme courriel, baladodiffusion ou mot-clic. [...] Mais c’est son rôle. Maintenant, elle semble avoir plus envie de faire de la linguistique que de la norme. Ça me trouble. »


 

Comme la France?


 

Elle s’inquiète aussi du rapport aux anglicismes dont témoigne cette nouvelle politique. Elle pèse ses mots, tourne autour de l’expression juste et lâche : « J’ai l’impression que l’Office essaie de rapprocher le français du Québec du français de France. Ah, et puis non, je ne peux pas le dire comme ça. Il y a quand même une drôle de tendance sous-jacente qui peut être questionnée. »


 
> Lire la suite de l'article sur Le Devoir






Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->