Washington Correspondante - Devant l'assemblée générale de l'ONU, le 23 septembre 2010, Barack Obama avait fait miroiter l'espoir que l'organisation accueillerait "l'an prochain" un nouveau membre : "un Etat souverain de Palestine vivant en paix avec Israël". Les délégués l'avaient chaudement applaudi même s'ils n'ignoraient pas que le président américain n'avait pas encore réussi à amener Israéliens et Palestiniens à négocier directement.
Un an plus tard, Barack Obama est arrivé, lundi 19 septembre à New York, dans une position très différente. Happé par la situation intérieure, il n'a pas été à l'avant-garde du soutien occidental aux révolutions arabes.
Depuis février, il n'a pas parlé à Mahmoud Abbas, à qui il avait consacré l'un de ses premiers coups de fil à son arrivée dans le bureau Ovale en 2009. M. Obama a maintenant les mains liées. La Maison Blanche est en campagne. A quatorze mois de l'élection présidentielle, le président-candidat n'entend pas s'aliéner un électorat très préoccupé de la grande "solitude" d'Israël face aux soubresauts dans la région, selon l'expression du Washington Post.
Encore plus que d'habitude, le conflit israélo-palestinien est devenu un enjeu de politique intérieure. En pleine campagne des primaires, les républicains font de la surenchère. Des affiches électorales montrent un Barack Obama tout sourire avec Mahmoud Abbas et accusé de ne pas être pro-israélien. Pour Mitt Romney, l'un des favoris dans la course à l'investiture républicaine, le président a "saboté la capacité d'Israël à négocier".
A New York, le 13 septembre, une élection partielle dans la neuvième circonscription a vu un républicain l'emporter dans un bastion démocrate, et pourvu d'une forte communauté juive. De nombreux paramètres sont entrés en ligne de compte pour expliquer ce revers mais le fait que l'ancien maire de la ville Ed Koch, une figure démocrate, ait appelé à voter contre son camp a frappé les esprits. "C'est un message au président Obama qu'il ne peut pas jeter impunément Israël sous le bus", a dit M. Koch après les résultats.
Selon le New York Times, une fraction de la communauté juive, traditionnellement démocrate, fait partie des "déçus d'Obama". Il lui est reproché de blâmer indifféremment les deux parties pour l'impasse du processus de paix. Dans une élection qui se déroule Etat par Etat et avec un système de winner takes all ("le gagnant emporte tout"), quelques voix de l'électorat juif de Floride ou d'Ohio peuvent faire la différence.
La leçon de la neuvième circonscription n'a pas échappé à la Maison Blanche. Le porte-parole Jay Carney a essayé d'attirer l'attention sur les déclarations du premier ministre Benyamin Nétanyahou remerciant M. Obama pour son aide dans l'évacuation du personnel israélien lors de l'attaque de l'ambassade au Caire, le 9 septembre. Le Parti démocrate a développé un argumentaire montrant que les Etats-Unis ont soutenu Israël dans l'affaire Goldstone (Commission de l'ONU créée après l'offensive israélienne sur Gaza) et qu'ils contribuent d'une manière "sans précédent" à la protection de la population israélienne, par l'intermédiaire du système antimissiles Iron Dome.
La décision de Mahmoud Abbas de s'en remettre à l'ONU a consacré le divorce avec les Palestiniens. En février, pendant leur dernier coup de fil, qui a duré pas moins de cinquante-cinq minutes, Barack Obama n'a pas réussi à convaincre le président palestinien de renoncer à son initiative. En mai, il a avancé ses paramètres pour un règlement final, en reprenant, pour la délimitation des frontières du futur Etat, un phrasé convenant aux Palestiniens ("les lignes de 1967 avec des échanges" de territoires mutuellement agréés). Mais en même temps, il a annoncé qu'il recourrait au veto si les Palestiniens présentaient leur demande de reconnaissance au Conseil de sécurité.
Comme l'a répété le 15 septembre Ben Rhodes, le porte-parole diplomatique de la Maison Blanche, les Etats-Unis soutiennent le principe d'autodétermination des peuples mais, "dans un contexte de conflit comme celui-ci, le moyen d'atteindre ce but est par la négociation". Il a cité en exemple le Sud-Soudan, qui a accédé à l'indépendance au début de l'année.
Les républicains reprochent à l'administration Obama d'avoir "attendu la 11e heure" pour réagir. Ce n'est qu'en août que le département d'Etat a envoyé des messages, délivrés par les ambassadeurs, à plus de 70 capitales pour leur demander de ne pas soutenir "l'initiative unilatérale" des Palestiniens à l'ONU.
Le Congrès a commencé à discuter de mesures de rétorsion, démocrates inclus. En juillet, 407 représentants (sur 435) ont voté un texte soulignant les "implications" de la demande de reconnaissance en dépit de l'opposition de Washington (et 87 des 100 sénateurs). En août, Steny Hoyer, le numéro deux démocrate de la Chambre, s'est rendu à Ramallah pour mettre en garde les Palestiniens sur les conséquences de leur geste. Les Etats-Unis sont le premier fournisseur d'aide financière à l'autorité palestinienne (600 millions de dollars en 2010).
Les républicains suggèrent déjà des mesures similaires à celles que le président George Bush père avait prises en 1988-1989 quand Yasser Arafat s'était tourné vers l'Assemblée générale pour transformer le siège d'observateur de l'OLP en représentation de la Palestine. Il avait menacé toutes les agences de l'ONU de cesser de payer la quote-part américaine.
Dans un tel contexte, la Maison Blanche n'a pas d'états d'âme à afficher son opposition au projet palestinien. Sur le plan extérieur, un veto mettrait l'administration Obama en porte-à-faux par rapport aux valeurs que le président estime défendre dans la région. Mais sur le plan intérieur, ce ne serait pas si catastrophique. De la même façon que l'élimination d'Oussama Ben Laden a permis de mettre au rebut l'image d'un Obama jugé "faible" dans la lutte antiterroriste, le veto aux demandes palestiniennes permettrait de contrer la "narration" républicaine d'un président "non pro-israélien".
Corine Lesnes
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