Il était une fois une méchante grippe...

L'Empire - la fabrication de la PEUR


Dans un article de l'édition du samedi 2 et dimanche 3 mai du Devoir, le journaliste Louis-Gilles Francoeur pose la question suivante: «Comment expliquer que nos médias semblent avoir été atteints depuis une semaine beaucoup plus sévèrement par l'influenza A (H1N1) que la population canadienne [...]?» Nous souhaitons apporter des éléments de réponse complémentaires tirés de la sociologie de la santé et des études des médias.
Le Devoir rappelle d'abord qu'il y a une disproportion entre l'importance d'un risque pour la santé et son poids médiatique. [...] En effet, plusieurs études ont relevé de telles disproportions. Par exemple, en 2007 au Québec, le VIH/SIDA occupait 26,69 % de l'espace médiatique consacré aux maladies alors qu'il arrivait au 22e rang des causes morbides de mortalité. En comparaison, les maladies du coeur et cérébrovasculaires, première et troisième causes de mortalité, occupaient seulement 10,80 % du paysage médiatique. Les maladies cardiovasculaires étaient suivies de près par le cancer du sein (8,75 %), qui causait pourtant cinq fois moins de décès qu'elles.
Valeur médiatique
Ainsi, d'autres critères que la prévalence interviennent lorsqu'il s'agit de sélectionner les phénomènes de santé qui se retrouveront dans les journaux. De nombreuses études des contenus médiatiques ont déterminé les caractéristiques que doit posséder un phénomène pour avoir une certaine valeur médiatique. Dans Le Devoir, on pointe le caractère involontaire de l'exposition au risque comme principale caractéristique conférant une valeur médiatique à l'influenza A (H1N1). [...]
Nous ajouterions l'imprévisibilité, un facteur sans aucun doute déterminant dans le cas qui nous occupe. Il y a aussi la résonance culturelle de la grippe porcine avec des phénomènes présents dans l'imaginaire collectif et qui se sont avérés catastrophiques. [...]
Sensationnalisme
Une autre cause de la surmédiatisation de la grippe A (H1N1) est qu'elle se prête bien à une couverture sensationnaliste. [...] Selon le sociologue Clive Seale, auteur d'un livre majeur intitulé Media and Health, les contenus médiatiques sur la santé et la maladie ne servent pas uniquement à informer, mais aussi à expier les angoisses des individus dans les sociétés modernes avancées.
Il faut comprendre les contenus médiatiques comme des contes, avec les mêmes éléments, la même structure narrative de base et une fonction cathartique similaire. Ces structures sont constituées d'oppositions qui se succèdent pour générer une tension dramatique et des émotions chez le récepteur, puis un dénouement réconfortant et sécurisant. Pour certains lecteurs, les histoires médiatiques dramatiques procurent du plaisir en répondant au besoin de flirter avec le risque, sans les inconvénients de la prise de risque réelle.
Éléments d'un récit
Dans sa forme la plus simple, un conte commence par un ordre initial; puis un élément maléfique (l'agent pathogène, la maladie) vient perturber l'équilibre, faisant au passage des victimes (les malades). L'ordre est par la suite rétabli par l'intervention d'un élément bénéfique, souvent magique ou héroïque (le médecin, les médicaments, les vaccins).
Chaque article particulier ne peut contenir tous les éléments narratifs fondamentaux. Cependant, le paysage médiatique pris comme un tout réunit l'ensemble des oppositions présentes dans un récit. Le lecteur en présence d'un de ces fragments peut remplir les trous, reconstruire la trame complète à partir du stock de connaissances qui lui vient de la culture médiatique. [...] Le médicament ou le vaccin devient «miraculeux», le chercheur, un «pionnier» et les découvertes, de véritables «révolutions scientifiques».
On privilégie les victimes innocentes et vulnérables, dont l'idéal type est l'enfant malade. On met l'accent sur la gravité, l'ampleur (épidémie), l'incompréhensibilité et l'imprévisibilité de la maladie. Plus les contrastes sont importants, plus la tension est forte, plus l'expérience est cathartique ou divertissante. La grippe A (H1N1) possède toutes les qualités requises pour jouer le rôle du «méchant» dans une histoire médiatique de santé. Dans plusieurs de ces histoires, le vaccin joue le rôle du sauveur tant attendu.
La production des contenus médiatiques est un processus complexe et multifactoriel. Les événements qui feront la nouvelle ne sont pas nécessairement les plus importants. Involontaire, incontrôlable, imprévisible, potentiellement épidémique, l'influenza A (H1N1) a tout pour prendre une place importante dans le paysage médiatique.
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David Hughes, Agent de recherche santé et médias au groupe de recherche Méos de la faculté de pharmacie de l'Université de Montréal
Johanne Collin, Professeure titulaire de la faculté de pharmacie de l'Université de Montréal


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