MÉDIAS

Gesca et la bouche cousue

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« Le pire ne vient pas de ce qu’on fait, mais de ce qu’on laisse faire »

Le silence en dit beaucoup. Le silence est parfois une vertu, parfois un aveu. Le silence peut-être le refuge de la prudence, mais aussi le paravent d’une faiblesse et la première preuve d’une trahison.

Le dernier billet de Pierre Allard s’intitulait « Le silence assourdissant des salles de rédaction ». Il a été publié sur son blogue personnel le 19 mai. Il lui a coûté sa place d’éditorialiste invité du journal Le Droit.

Pierre Allard y commentait l’actualité à la pige depuis une douzaine d’années. Auparavant, il a été reporter, directeur de l’information et même rédacteur en chef du quotidien.

Son texte fatidique traitait de l’hypothèse évoquée par les frères Desmarais concernant la possible disparition des journaux régionaux de Gesca, dont Le Droit. Ou à tout le moins leur intégration en version dématérialisée à La Presse +.

« Je suis quelque peu outré du silence assourdissant qui émane des salles de rédaction des quotidiens de Gesca, y compris La Presse, a écrit M. Allard. J’ai toujours cru que le milieu journalistique en était un de remises en question constantes, de contestation, de reddition de comptes, du second regard, de réflexion et, par conséquent, de diversité et de choc d’idées. S’il reste quelque chose de ce bouillonnement que j’ai connu, ça ne paraît pas. Trop de journalistes ont la bouche cousue… »

La direction du journal assure avoir pris la décision du congédiement sans pression du centre dur du bras médiatique de Power Corporation. Bien sûr. C’est évident. Qui oserait en douter ?

On n’établira donc pas de lien avec les sanctions tombées sur le chroniqueur de La Presse André Pratte il y a tout juste vingt ans, après la publication d’une chronique intitulée « Tout est pourri » où il rapportait les propos d’un lecteur associant Power Corp à une présumée déliquescence de la société québécoise dans son ensemble. M. Pratte a ensuite été réhabilité. Il est maintenant éditorialiste en chef de La Presse.

Un troublant silence

L’autocritique définit-elle le test suprême de la liberté d’expression dont se réclament les médias ? L’humoriste Guy Bedos le disait autrement : « Je croirai vraiment à la liberté de la presse quand un journaliste pourra écrire ce qu’il pense vraiment de son journal. Dans son journal. »

Dans un sens, il paraît bien utopique de prescrire la transparence totale, ne serait-ce que pour rendre les salles de rédaction viables. Il faut des balises éthiques et des règles de bonne conduite pour éviter la mutation de la nouvelle et du commentaire en travail de sape permanent de soi par soi.

Comme mes collègues, certainement, je trouve que mon journal diffuse parfois des niaiseries. Comme eux certainement, je suis parfois désolé par des décisions de mes patrons. Comme eux, je me retiens ou je passe les messages en douce dans les textes, avec l’air de ne pas tremper le clavier dans le fiel. Je me réserve un peu moins avec les commentateurs des autres médias, mais ça, c’est une autre histoire.

Ou est-ce bien le cas ? Dans ce monde médiatique, chacun épie et surveille les autres et se garde une petite gêne compréhensible par rapport à son propre camp. Seulement vient un temps où il faut défendre les fondements, sinon, tout s’effondre et adieu conscience, plus rien ne va. Parfois, le pire ne vient pas de ce qu’on fait, mais de ce qu’on laisse faire.

L’autocritique médiatique, la vraie, la profonde, se fait plutôt rare. Les journalistes, les médias, varlopent tout, ou presque, mais ils ont bien de la difficulté à admettre leurs propres travers, leurs propres fautes, leurs propres bêtises institutionnalisées. Ils se vautrent dans des pétitions de principe, s’autoproclament gardiens de la démocratie et amis de la vertu, mais, trop souvent, quand il s’agit des affaires internes, ils gardent le rang, le petit doigt sur la couture du pantalon et la bouche cousue. Allez, couché ! Brave toutou…

Chez Gesca, les mêmes qui ont passé les dernières années à épier les moindres dérives de Radio-Canada ou de Québecor auront-ils maintenant le courage de rappeler ce qui se passe au sein de leur propre petit empire médiatique ? Après tout, ce réseau de médias demeure tout essentiel pour la démocratie, la culture, les grandes idées comme les petits faits têtus.

La philosophe Hannah Arendt a une autre recommandation primordiale que tous les journalistes devraient méditer : « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat. »

Les faits, ici, maintenant, c’est que Pierre Allard a été congédié pour avoir défendu son journal, souhaité un débat et déploré un assourdissant silence. Un silence qui en dit beaucoup. Un silence comme une première preuve de trahison…


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