Coup de tonnerre en France

L'arrestation du favori de la présidentielle, Dominique Strauss-Kahn, ce week-end à New York pour tentative de viol, bouleverse la carte politique

DSK à New York



Le directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn, qui était pressenti pour être le candidat socialiste à l’élection présidentielle française.

: Agence France-Presse Fabrice Coffrini


Paris — C'est un véritable coup de tonnerre qui s'est abattu hier sur la France lorsqu'au petit-déjeuner les Français ont appris que le favori des à l'élection présidentielle, candidat pressenti des socialistes et directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, avait été arrêté pour agression sexuelle et tentative de viol. Un coup de tonnerre aux conséquences encore imprévisibles, mais qui a d'ores et déjà commencé à rebattre toutes les cartes politiques françaises.
Samedi après-midi, vers 16h, le directeur du FMI a été arrêté par la police de l'aéroport Kennedy de New York à bord d'un avion d'Air France qui s'apprêtait à décoller. L'intervention faisait suite à la plainte d'une femme de chambre de l'hôtel Sofitel de Manhattan qui aurait pénétré vers 13h dans la suite de Dominique Strauss-Kahn. Selon le porte-parole de la police de New York, Paul Browne, DSK serait apparu nu et aurait agressé la femme de 32 ans. Elle se serait débattue et serait parvenue à s'échapper. La direction de l'hôtel, qui défend l'intégrité de son employée, a aussitôt prévenu la police, qui a retrouvé dans la chambre le téléphone portable de DSK et des objets personnels. «C'est comme s'il s'était enfui précipitamment», a déclaré à la presse le porte-parole de la police. Selon i-Tele, sa place dans l'avion était cependant réservée à l'avance.
Dominique Strauss-Kahn, dont la comparution a été repoussée à aujourd'hui, a été longuement interrogé hier dans un commissariat de Harlem.
«[Il] réfute toutes les accusations portées contre lui», a déclaré hier son avocat, Me Benjamin Brafman. L'épouse de DSK, l'animatrice de télévision Anne Sinclair, a publié un communiqué déclarant qu'elle ne croyait «pas une seule seconde» aux accusations portées contre lui.
Sous le choc
Hier, toute la classe politique française était sous le choc de cette nouvelle qui est déjà en train de modifier radicalement le paysage politique. Elle survient après une semaine de polémique sur le train de vie du directeur du FMI déclenchée par une photo où on le voyait monter dans la Porsche d'un de ses collaborateurs. DSK était jusque-là considéré comme le favori à l'élection présidentielle qui aura lieu dans un an. Il dominait tous les sondages, devant Nicolas Sarkozy, et sa candidature ne semblait qu'une question de temps selon ses proches.
À moins d'une disculpation rapide, on voit mal comment DSK pourrait être encore candidat à la primaire socialiste dont les prétendants doivent se faire connaître dans six semaines à peine. Quant au FMI, il a déjà annoncé que son numéro deux, John Lipsky, allait assumer les fonctions du directeur général de l'institution.

«Même si c'est une manipulation, même s'il se révèle qu'il est non coupable, il lui sera très difficile de ne pas se mettre entre parenthèses, a déclaré à France Info l'ancien conseiller de François Mitterrand Jacques Attali. [...] Cette nouvelle est si hallucinante qu'on ne peut écarter aucune hypothèse.»

La retenue était de mise au Parti socialiste où l'on faisait des mines d'enterrement. La première secrétaire, Martine Aubry, s'est déclarée «totalement stupéfaite» et a appelé ses troupes au calme. Candidate naturelle du parti, Martine Aubry a toujours dit que si DSK était candidat, elle ne le serait pas. Même retenue chez le candidat déclaré François Hollande qui était considéré comme le concurrent le plus sérieux de DSK. «Il faut se garder, au-delà du choc lié à l'émotion, de tirer toute conclusion prématurée», dit-il. Sur un ton de compassion, Ségolène Royal, elle aussi candidate, a appelé au «respect de la présomption d'innocence».
Manipulation ou récidive?
En France, certains n'hésitent pas à évoquer ouvertement une manipulation politique alors que d'autres rappellent la réputation de libertin de l'ancien ministre des Finances et évoquent même une récidive. La journaliste et romancière Tristane Banon avait déjà affirmé publiquement avoir été agressée en 2002 par l'ancien ministre. Mais elle n'avait jamais porté plainte. Par l'intermédiaire de son avocat, David Koubbi, elle a déclaré ne pas être «très surprise de ce qui se passe aux États-Unis».
«Je pense vraisemblablement qu'on a tendu un piège à Dominique Strauss-Kahn et qu'il y est tombé», a déclaré une ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, la très catholique Christine Boutin. «Tout le monde sait que Dominique Strauss-Kahn est un libertin, qui se distingue de bien d'autres par une propension à ne pas le cacher, affirmait le socialiste Gilles Savary sur son blogue. Il est aisé de piéger une personnalité aussi peu résistante aux attraits de la gent féminine».
À l'exact opposé, la présidente du Front national, Marine Le Pen, a affirmé que «Dominique Strauss-Kahn entretient une relation assez pathologique à l'égard des femmes. Je crois que sa candidature [à la primaire socialiste] vient d'enregistrer un coup d'arrêt définitif». Une thèse reprise avec encore plus de vigueur par l'ancien ministre de droite Bernard Debré selon qui «c'est humilier la France que d'avoir un homme qui se vautre dans le sexe — et ça se sait depuis fort longtemps».
En 2008, Dominique Strauss-Kahn avait reconnu avoir commis «une sérieuse erreur de jugement» en entretenant une liaison avec une économiste hongroise qui était alors sa subordonnée. Il avait dû s'excuser publiquement. Contrairement aux États-Unis, l'affaire avait fait assez peu de bruit en France où l'on considère généralement que les liaisons hors mariage entre adultes consentants ne sont pas d'intérêt public.
Aubry et Hollande
Les analystes politiques estiment que l'éviction de DSK pourrait ouvrir la porte à une candidature de Martine Aubry. Elle pourrait aussi favoriser celle de François Hollande, en hausse dans les sondages depuis quelques semaines. D'autres spéculent sur la brèche qui s'ouvrirait aussi pour un candidat centriste comme l'ancien ministre de l'Environnement Jean-Louis Borloo. Une candidature redoutée par Nicolas Sarkozy qui diviserait encore plus l'électorat de droite déjà en partie accaparé par le Front national.
L'Élysée appelle à respecter la présomption d'innocence. Mais on sait que certains stratèges de droite tablaient sur la candidature de DSK, associé à la «gauche caviar», pour effacer le côté «bling-bling» du président. «Cela arrive trop tôt», dirait-on dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, selon des propos rapportés par le journaliste du Monde Arnaud Leparmentier.
La presse sérieuse des États-Unis soulignait hier que DSK n'avait pas du tout démérité au FMI, d'autant qu'il avait dû affronter une des pires crises financières de l'histoire. Les tabloïds jaunes n'hésitaient pas quant à eux à traiter l'ancien ministre français de «pervers» (Daily News).
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Correspondant du Devoir à Paris


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