Une province sale

Pétro-Québec



L'histoire des relations fédérales-provinciales enseigne qu'il est préférable d'attendre que les signatures soient apposées au bas d'une entente avant de se réjouir. Comme chacun le sait, le diable se cache dans les détails.
Le premier ministre Stephen Harper avait promis de régler la fameuse question du «pouvoir de dépenser» dans les champs de compétence provinciale, qui n'a aucune assise constitutionnelle, mais qu'Ottawa exerce allègrement depuis des décennies. Pourtant, aucune solution ne pointe à l'horizon. Benoît Pelletier, qui s'était fait l'apôtre d'un fédéralisme de «courtoisie», avait déchanté en prenant connaissance de l'arnaque proposée par Ottawa à l'automne 2007.
Cette fois-ci, Nathalie Normandeau croit avoir à portée de main une entente qui permettrait au Québec d'exploiter le pétrole du golfe Saint-Laurent. Jeudi, M. Harper a indiqué qu'il était maintenant prêt à «discuter» pour arriver à un règlement analogue à celui qui permet depuis longtemps à Terre-Neuve d'exploiter le gisement Hibernia. On verra bien.
Personne ne croit que le belliqueux premier ministre de Terre-Neuve, Danny Williams, va assister en spectateur à ces négociations. Déjà obsédé par l'idée que sa province se fait voler son électricité, la perspective de se faire damer le pion par le Québec lui sera insupportable.
La plus grande partie du gisement Old Harry, qui serait encore plus important qu'Hibernia, est située du côté québécois de la frontière maritime avec Terre-Neuve, qui conteste le tracé de la «ligne Stanfield» fixée en 1964. À Québec, on craint qu'un arbitrage soit nécessaire, avec toute l'incertitude que cela comporte.
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Cette semaine, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité une motion qui demandait à l'Office Canada-Terre-Neuve sur les hydrocarbures extracôtiers d'attendre les résultats des études environnementales commandées par le Québec, qui seront terminées en 2012, avant d'autoriser de nouveaux relevés sismiques et d'éventuels forages sur le gisement Old Harry.
Là encore, il serait hasardeux de compter sur la coopération de M. Williams. Dès que la compagnie Corridor Resources, qui a déjà effectué des relevés, sera prête à forer, elle pourra certainement compter sur sa diligence.
Quelle sera l'attitude d'Ottawa? L'Office Canada-Terre-Neuve est un organisme indépendant, a fait valoir M. Harper. Quand on sait le peu de cas qu'il fait de l'indépendance de tous les organismes qui ne sont pas de son avis, cette soudaine déférence est plutôt suspecte.
Comme son nom l'indique, l'Office est un organisme paritaire. Pour obtenir l'accord de Terre-Neuve à un éventuel moratoire, il faudra vraisemblablement lui offrir une forme de compensation.
Malgré les lamentations de Terre-Neuve, aucun gouvernement québécois n'a accepté de rouvrir le contrat signé en 1969, qui permet au Québec d'acheter à bas prix l'électricité produite à Churchill Falls jusqu'en 2041 et de la revendre avec un profit substantiel. Celui de M. Charest ne le fera certainement pas.
À la grande indignation de M. Williams, Hydro-Québec a également refusé que Terre-Neuve utilise ses lignes de transport pour acheminer vers le marché américain l'électricité qui sera éventuellement produite par le développement du Bas-Churchill. En retour d'un accord sur Old Harry, le gouvernement Charest pourrait-il se montrer plus ouvert? À moins qu'Ottawa ne donne sa bénédiction au projet d'un câble sous-marin qui permettrait à l'électricité du Labrador de contourner le Québec?
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Pourquoi, après des années de silence, M. Harper est-il soudainement prêt à «discuter» avec le Québec? Si Ottawa a intérêt à le maintenir dans la dépendance de la péréquation, comme le dit le PQ, pourquoi lui permettre de s'en affranchir grâce au pétrole?
À Québec, on laisse entendre que le premier ministre canadien en a assez d'entendre le gouvernement Charest critiquer les sables bitumineux et les politiques — ou l'absence de politique — des conservateurs pour lutter contre les changements climatiques. Avec son hydroélectricité, le Québec a beau jeu de jouer au vert. S'il devient à son tour une province «sale», il deviendra plus gênant pour lui de faire la leçon aux autres.
Plus encore que les gaz de schiste, le débat sur le pétrole du golfe Saint-Laurent risque de provoquer une levée de boucliers. Il suffit d'imaginer les conséquences d'une explosion comparable à celle de la plateforme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique à 80 kilomètres des îles de la Madeleine.
Encore faut-il se demander si le Québec a encore le choix. À partir du moment où Terre-Neuve entend exploiter la partie du gisement Old Harry située dans ses eaux, le risque pour l'environnement devient inévitable. Faudrait-il se priver au surplus des bénéfices colossaux qu'on pourrait tirer du pétrole?
Au lieu de le démoniser, il faudrait peut-être remercier Danny Williams de nous donner bonne conscience en nous plaçant devant un fait accompli. Sans lui, qui sait combien de référendums cela prendrait pour nous décider? Et si on devient une province sale, on saura qui blâmer!
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mdavid@ledevoir.com


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