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Tâche ingrate pour l’Idée fédérale

J’estime cependant que l’Idée souverainiste reste plus réalisable que l’Idée fédérale.

L'idée fédérale

Publié dans Cyberpresse sous le titre "Espoirs déçus et rêves brisés"
(Version intégrale) C’est du jamais vu. 55% des Québécois estiment qu’un « Québec indépendant » aurait fait mieux (14%) ou aussi bien (41%) que le Canada dans la crise économique actuelle. Voilà une des nombreuses bonnes nouvelles que les indépendantistes peuvent puiser dans le sondage CROP rendu public ce vendredi par le nouveau groupe « Idée fédérale ».
C’est capital, car la crainte des électeurs québécois face à l’avenir économique d’un Québec souverain fut LE facteur déterminant de la courte défaite du Oui en 1995. Jamais, sauf dans le grand élan post-Meech de 1990, les Québécois ne s’étaient montrés aussi confiants en leur propre capacité de gérer leur barque, a fortiori en période de crise majeure. Le sondage fut publié le jour où un autre cap statistique essentiel fut franchi : il y a désormais moins de chômage au Québec qu’en Ontario ou aux Etats-Unis. La crise agit comme un révélateur de la résilience du modèle québécois, si imparfait soit-il, face à la fragilité de ses puissants voisins. Le Québécois moyen ne sait pas que, depuis 2000, la croissance par habitant de son économie fut plus forte que celle de l’Ontario, égale à celle des Etats-Unis, supérieure à celle de la moyenne du G7. L’écart sera encore plus favorable lorsque les chiffres de 2009 et de 2010 seront pris en compte. Mais le Québécois sent, ces mois-ci, qu’il peut enfin cesser de nourrir le sentiment d’infériorité économique qu’il a traîné comme un boulet pendant des décennies.
On dit les niveaux d’appuis à la souveraineté en reflux. Conclusion bizarre car les sondeurs d’Angus Reid et ceux du PQ nous disent à l’unisson que le Oui et le Non sont, sur la question de 1995, toujours au nez à nez. Surtout, d’autres phénomènes sont en train d’élargir les points d’appui de l’idée souverainiste,un peu comme l’expérience de la fin des années 1980 avait préparé, en coulisses, la résurgence du sentiment indépendantiste de 1990-1995.
La bonne tenue de l’économie québécoise en est une, la lente mais sure progression de l’identité québécoise en est une autre. Les chiffres du sondage CROP/Idée fédérale sont là encore d’un grand secours. Ils révèlent qu’au cours des 11 dernières années, la proportion de Québécois qui se dit « seulement » ou « d’abord » Canadiens a chuté de 7 points, passant de 28 à 21 %. La proportion qui se dit également Canadiens et Québécois est stable à 26% (+1). Mais la proportion qui se dit « seulement » ou « d’abord » Québécois est passée de 55 à 60%. C’est Maurice Pinard, le grand sondeur fédéraliste, qui avait le premier révélé l’importance prédictive majeure de ces évolutions. Lorsque tout est dit, on ne peut voter pour un Québec souverain si on ne se juge pas d’abord Québécois.
J’ajoute une troisième tendance lourde, associée à la précédente : la lente décanadianisation du Québec. Plus le Québec s’ouvre au monde, moins le poids relatif du Canada ne compte dans cette ouverture. Plus le Québec est branché, moins le branchement canadien ne semble le plus intéressant, et en rien le plus essentiel. Plus on débat de changement climatique, de réforme du capitalisme, d’OGM, de pandémie, moins la part canadienne de ces débats n’est déterminante. Ce n’est plus le rejet (sauf des conservateurs). Ce n’est plus la crainte. C’est l’indifférence. Le Canada ne suscite plus de sentiment fort. C’est ce qui tue à petit feu, chez les Québécois, l’idée canadienne.
L’idée fédérale
Le nouveau groupe de réflexion sur le fédéralisme a bien choisi son nom, et mal choisi son moment. Le nom rend bien compte de l’écart entre «L’idée fédérale», noble, et la réalité fédérale, désolante, le statu quo n’étant jugé satisfaisant, selon AngusReid, que par 38% des Québécois. Pire, jeudi dernier, Michael Ignatieff giflait les penseurs fédéralistes en annonçant qu’il n’offrirait au Québec aucune marge de manœuvre supplémentaire. Sa résolution sur la nation ? Rien qu’un symbole, avouait-il, sans la moindre conséquence pratique. On croirait entendre Jean Chrétien affirmer en 1998 pour nuire à Jean Charest que « le magasin général est fermé ». Le Québec est depuis plus d’un quart de siècle non signataire du contrat de mariage qui le lie au Canada. M. Ignatieff en conclut que le Canada « fonctionne bien » et jure qu’il ne tentera rien pour remédier à cette injustice.
Mes amis fédéralistes vont d’espoirs déçus en rêves brisés. Ils pensaient qu’Ignatieff serait ‘the one’. Ils avaient misé sur Stephen Harper, dont ils ont attendu en vain la limitation promise du pouvoir fédéral de dépenser – ce cancer qui ronge «l’idée fédérale». Le sauveur précédent était Paul Martin qui, nous disait-on, comprenait le Québec. Son bilan : zéro absolu. Il faut remonter à Brian Mulroney pour trouver un leader fédéraliste qui ait sincèrement tenté une réconciliation, pour la voir s’échouer sur les récifs du trudeauisme, ceux-là même que Michael Ignatieff étreint ou craint – le résultat est le même.
Mais il y a effectivement changement. Le fait que le parlement fédéral – contre le vœu de 75% des Canadiens hors-Québec – ait reconnu l’existence de la nation québécoise conforte les Québécois dans leur volonté d’être plus autonomes au sein de la fédération. Pas moins de 65% des Québécois désirent pour leur État davantage de pouvoir en matière de langue et de culture – ce que le parlement fédéral et M. Ignatieff ont refusé de faire, la veille, sur une question de simple application de la loi 101 aux 200 000 salariés du Québec œuvrant dans des entreprises sous juridiction fédérale. On mesure l’écart entre la réalité fédérale et l’idée que les Québécois peuvent s’en faire.
Mais quelle serait cette idée, résumée à sa plus simple expression, pour un peuple minoritaire dans une fédération? C’est à mon avis le président Bill Clinton qui l’a le mieux résumé, dans son fameux discours du Mont Tremblant en 1999: « Il (le fédéralisme) doit réellement partager son autorité et le peuple concerné doit savoir qu’il a une réelle marge d’autonomie pour prendre ses décisions. Et cette marge doit correspondre approximativement à ce que le peuple perçoit nécessaire pour atteindre ses objectifs. » Non seulement le Canada est, à ce critère, un échec de l’idée fédérale, mais rien ne peut nous laisser penser qu’il y a, sauf dans les groupes de réflexions québécois, une réelle volonté de changement. Seul un Québec remobilisé autour de ses revendications et de la souveraineté peut espérer un changement.
Deux défis
[Mes amis de l’Idée fédérale->rub979] – je les taquine avec leur abréviation : « I.F. », « SI », comme dans « Si seulement ça pouvait être vrai, le fédéralisme canadien »  – mes amis donc, me rétorquent que la souveraineté, elle aussi, traîne son chapelet d’échecs, de rêves brisés, d’espoir déçus. Indubitablement. Et c’est sans doute ce qui rend le débat entre fédéralistes et souverainistes québécois si tolérant, si tolérable : les cicatrices que nous partageons dans nos efforts parallèles, et pour l’instant infructueux, de faire une place au Québec, sont étrangement rassembleuses.
J’estime cependant que l’Idée souverainiste reste plus réalisable que l’Idée fédérale. Car l’Idée fédérale, celle que les fédéralistes québécois s’en font, a besoin, pour triompher, de l’agrément d’une majorité des membres de l’autre nation. Pour satisfaire sa condition essentielle, la réintégration du Québec dans la constitution canadienne, la marche semblait hier bien haute. On la sent aujourd’hui perdue dans les nuages. Les simples changements à la composition démographique du reste du Canada compliquent horriblement l’effort pédagogique requis – songeons que désormais, hors Québec, il y a davantage de parlants chinois que de parlants français. Y compris en Ontario. Ces nouveaux citoyens sont bien loin de l’idéal des deux nations.
L’Idée souverainiste, elle, nécessite l’adhésion d’une majorité de Québécois. Ce n’est pas une mince affaire. Mais cela n’est pas une démarche aliénante, dont la clé résiderait dans le regard de l’autre. C’est une question que l’on se pose à nous-mêmes. Une question dont la réponse s’appuie, en définitive, sur notre identité et notre confiance en nous. Deux forces que les Québécois possèdent chaque jour davantage.
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L'auteur a écrit les ouvrages «Nous» et «Pour une gauche efficace».

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Jean-François Lisée296 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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