Crise de l’euro

Rêve en berne

Géopolitique — Union européenne

L’éclatement possible de la monnaie unique, l’européenne, s’entend, vient de s’inscrire avec fracas, si l’on peut dire, dans le débat dont l’euro fait l’objet depuis maintenant plus de deux ans. En effet, une avalanche de faits récents a réduit en miettes ce qui jusqu’alors était tabou. Au cours des quinze derniers jours, on a assisté à l’éclosion de deux phénomènes financiers totalement contradictoires. En Espagne et en Italie, les taux afférents aux bons du Trésor de ces pays n’ont pas cessé d’augmenter. Dans le cas espagnol, il faut le souligner dix fois plutôt qu’une, le taux en question a excédé les 7 %, soit le seuil de l’insoutenable. Simultanément, en Allemagne et en France, les taux ont reculé au point d’être négatifs. De prime abord, on pourrait croire que cette retraite du loyer de l’argent en dessous du 0 % est une bonne nouvelle. Ce n’est pas du tout le cas, vraiment pas. Ce recul met en relief comme jamais depuis le printemps 2010 combien la course actuelle à la sécurité est aussi intense que précipitée. Surtout, il met en lumière combien la méfiance à l’endroit de l’Espagne et de l’Italie est élevée. Il dévoile enfin combien l’euro est devenu l’objet d’une profonde défiance aux États-Unis, au Japon et au sein des pays émergents. La publication récente d’une batterie de chiffres et d’études est à cet égard pleine d’enseignements passablement déprimants. Un, les investisseurs étrangers, les plus fortunés des Espagnols et les fonds espagnols ont retiré 200 milliards d’euros des caisses espagnoles pour mieux les disperser, dans un premier temps, en Allemagne, en Finlande, aux Pays-Bas et en France. Signe de l’accélération et de l’ampleur de cette exportation de capitaux, en mars seulement, 66 milliards ont pris la direction de l’étranger. En Italie, le total a atteint 160 milliards d’euros ou 10 % (!) du PIB. En Grèce, la fuite a été de 160 milliards, mais sur une plus longue période. Depuis peu, un deuxième mouvement se poursuit. Après avoir observé la concentration de ces actifs dans des pays de l’Europe du Nord et en France, voilà que ceux-ci prennent la direction de la zone dollar et du Japon, mais dans des proportions moindres. À titre d’exemple, PIMCO, l’un des plus importants fonds obligataires de la planète, a entrepris la conversion des titres libellés en euros en titres nord-américains. Autre exemple de cette défiance, Citigroup a décidé de mettre un terme à toute activité de détail en Europe afin de ne pas subir les contrecoups d’un possible éclatement de la monnaie unique. Dans une entrevue accordée au Wall Street Journal, le président de la Réserve fédérale de Saint-Louis James Bullard a résumé comme suit la situation : « L’une des choses qui me préoccupent le plus, actuellement, c’est que cette crise oppose un marché qui bouge rapidement à un processus qui bouge très lentement […]. Une désintégration de la zone euro sous la poussée des marchés est en cours. » Quant à Stephen Gallo, stratégiste du Crédit Agricole, il met de côté les pudeurs avec lesquelles les économistes européens traitent généralement du dossier pour mieux asséner que l’euro est « lentement en train de se défaire […] Ce à quoi nous assistons maintenant, c’est au démaillage de l’ensemble du projet européen. » Fichtre ! Cela étant, lorsqu’on a en mémoire l’opposition manifestée par les acteurs financiers influents de Wall Street et de la City contre la création de l’euro, on peut logiquement avancer que ces derniers sont en train de prendre leur revanche. En effet, on se rappellera qu’ils n’ont jamais digéré la naissance de la monnaie unique parce que, du coup, celle-ci mettait entre parenthèses les offensives spéculatives qu’ils menaient contre la peseta espagnole un jour, la lire italienne le lendemain, le franc le surlendemain, etc. Bref, l’euro les a empêchés de faire des millions comme des milliards. On peut également avancer une autre hypothèse. Il y a deux ans de cela, dans la foulée de la crise grecque, des économistes allemands avaient émis l’idée d’un noyau dur qui rassemblerait des nations du nord du continent et la France. Leur argument ? Il y a trop de dissonances entre, par exemple, l’économie espagnole et l’économie allemande pour justifier l’usage d’une monnaie unique. À bien y songer, c’est à se demander si les probabilités de la mise en berne de l’euro ne sont pas désormais plus élevées que l’inverse.



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