Québec veut faire taire l’opposition à l’exploration pétrolière en Gaspésie

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La première exploitation pétrolière au Québec fait face à une résistance citoyenne

Le gouvernement Couillard sort l’artillerie lourde pour faire taire l’opposition à l’exploration pétrolière en Gaspésie. Il vient de demander à la Cour d’ordonner l’expulsion des citoyens qui occupent une terre publique située à trois kilomètres d’un site de forages de l’entreprise Junex. Une mesure sans précédent au Québec et qualifiée de « poursuite-bâillon » par les opposants, qui occupent leur campement sans bloquer l’accès au site de la pétrolière.


Jugeant que les membres et les sympathisants du groupe Environnement Vert Plus occupent « illégalement les terres du domaine de l’État », le ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles Pierre Moreau avait déjà exigé la semaine dernière qu’ils démantèlent leur campement, mis en place il y a de cela près de neuf mois.


Consultez notre carte des permis d’exploration en vigueur au Québec


Dans une « demande d’ordonnance d’expulsion » qu’il vient de déposer en Cour supérieure, le gouvernement exige maintenant que les tribunaux mettent un terme à ce camp mis en place par des opposants à l’exploration et à l’exploitation pétrolière et gazière en Gaspésie.


La demande s’appuie notamment sur une déclaration de la sous-ministre associée à l’Énergie, Luce Asselin, qui dit avoir obtenu des photos qui montrent que le camp a pris de l’ampleur au cours des derniers jours. Ces photos ont été fournies directement par Junex.


Soutien à Junex


Ce « camp de la rivière », situé à l’ouest de Gaspé, sur le bord de la route 198, a été construit à l’entrée de la route d’accès aux sites de forages de l’entreprise Junex pour son projet Galt. Ce projet d’exploration pétrolière, pour lequel l’entreprise a déjà demandé un bail d’exploitation, pourrait bien devenir le premier gisement pétrolier exploité au Québec.


L’exploitation de ce gisement, qui nécessiterait le forage de plusieurs puits au cours des prochaines années, n’a toutefois pas encore passé l’étape d’une évaluation environnementale, qui pourrait être menée sous la responsabilité du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).


Le gouvernement du Québec a offert un soutien financier de 5 millions de dollars à Junex pour développer son projet Galt. La pétrolière, qui ne faisait pas partie du projet Hydrocarbures Anticosti, a également reçu une compensation de 5,5 millions de dollars pour renoncer aux cinq permis qu’elle détenait sur l’île.


Selon les informations du Registraire des entreprises du Québec, le gouvernement est le troisième actionnaire de Junex, par l’entremise d’Investissement Québec.


Désobéissance civile


Selon une déclaration sous serment d’un employé du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, le campement est situé à trois kilomètres des puits de forages de Junex, sur les terres du domaine de l’État.


Les documents déposés en Cour indiquent toutefois que le gouvernement juge illégal le fait d’occuper ce territoire, qui est également sous permis d’exploration détenu par Junex. En fait, une bonne partie du territoire de la Gaspésie est sous permis d’exploration depuis plusieurs années. Ces permis ont été accordés au départ au coût de 10 ¢ l’hectare et sans consultations publiques.


Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) redoute en outre la tenue annoncée d’un « camp de désobéissance civile », au cours duquel les opposants souhaitent organiser des formations de recherche de puits abandonnés et des formations d’actions directes d’opposition aux projets pétroliers et gaziers.


« De telles activités ont pour but de former, d’encourager, de planifier et d’inciter les participants à faire de la désobéissance civile [refus d’obéir à une loi], ce qui constitue en soi un préjudice sérieux et irréparable pour le MERN », peut-on lire dans les documents déposés par le gouvernement.


D’un point de vue juridique, le gouvernement peut très bien évoquer son droit de « propriété » sur le terrain occupé, selon l’avocat Jean-François Girard. Celui qui a porté la cause de Ristigouche-Sud-Est contre la pétrolière Gastem estime en effet que la « Loi sur les terres du domaine de l’État » autorise le ministre à exercer le droit de propriété, au nom du gouvernement.


Qui plus est, cette même législation précise que « nul ne peut ériger ou maintenir un bâtiment, une installation ou un ouvrage sur une terre sans une autorisation du ministre ayant l’autorité sur cette terre ».


Poursuite-baîllon


Pour le porte-parole d’Environnement Vert Plus, Pascal Bergeron, les démarches judiciaires du gouvernement constituent néanmoins une « poursuite-bâillon » destinée à faire taire l’opposition aux énergies fossiles.


« Nous, des citoyens engagés contre l’industrie de partout au Québec, effectuons un précieux travail de mobilisation et d’information depuis plusieurs années. Je tiens à remercier personnellement le ministre Moreau pour la reconnaissance de ce travail qu’il nous offre à travers une poursuite visant à nous museler », a-t-il fait valoir jeudi dans une déclaration écrite.


Dans une lettre envoyée jeudi à Pierre Moreau, et dont Le Devoir a obtenu copie, des groupes environnementaux et citoyens ont exhorté le ministre à « respecter la liberté d’expression et de rassemblement » des opposants « pacifiques » aux projets pétroliers.


Tout en soulignant que l’exploitation d’énergies fossiles irait à l’encontre des objectifs de lutte contre les changements climatiques du Québec, ils ont invité le gouvernement à mandater le BAPE pour qu’il évalue le projet de Junex.


Permis d’exploration


Québec a déjà adopté la Loi sur les hydrocarbures, qui doit ouvrir la porte à l’exploitation de pétrole et de gaz naturel. Mais le ministre Pierre Moreau doit encore publier les règlements de mise en oeuvre de cette législation. Quand doivent-ils être présentés ? « Je vous contacterai lorsque nous en ferons l’annonce », a simplement répondu au Devoir l’attachée de presse du ministre, Catherine Poulin.


Les projets de règlements, publiés en septembre 2017, ouvraient la porte à la fracturation hydraulique, mais aussi aux forages près des secteurs résidentiels, dans les cours d’eau et près des territoires naturels protégés, comme les parcs nationaux.


La volonté du gouvernement Couillard d’ouvrir le territoire aux forages au cours des prochaines années se heurte toutefois à l’opposition de plus de 338 municipalités, qui veulent obtenir le droit d’adopter des règles plus strictes que celles instaurées au niveau provincial pour la protection de l’eau potable lors des forages. Mais pour le moment, Québec refuse.


> La suite sur Le Devoir.



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