Les Plaines d’Abraham dans le Montreal Herald (1834-1839) : droit de conquête et appel à la guerre civile

Le débat actuel autour de la récupération de la commémoration de la bataille des Plaines d’Abraham réactive un brasier jamais complètement éteint de notre histoire.

1759-2009: 250e de la bataille des Plaines d'Abraham

Les Plaines d’Abraham dans le Montreal Herald (1834-1839) : droit de conquête et guerre civile
Le débat actuel autour de la récupération de la commémoration de la bataille des Plaines d’Abraham réactive un brasier jamais complètement éteint de notre histoire. Ce débat toutefois concerne surtout, à mon avis, non pas la reconstitution du passé en soi mais la façon dont la société québécoise, emmaillotée dans les programmes de commandite des institutions fédérales, envisage son propre avenir.
Déjà, par exemple, au début des années 1830, sous l’administration Aylmer, le monument de Wolfe et Montcalm entendait célébrer à travers la pseudo réconciliation le double héritage français et anglais des institutions bas-canadiennes. C’est en ce sens qu’en 1842, lors de son passage à Québec, qu’il compare à la « Gibraltar de l’Amérique », Charles Dickens écrit :

« That is a noble Monument too, and worthy of two great nations, which perpetuates the memory of both brave generals, and on which their names are jointly written. »

Fait à noter, le vernis consensuel de la bataille des Plaines d’Abraham se trouvait contesté depuis des décennies non pas par les partisans radicaux du parti de la majorité dirigé par Louis-Joseph Papineau, mais plutôt par l’oligarchie tory de Montréal.
Les extraits de coupures que je propose proviennent de l’organe de diffusion de leur idéologie, le Montreal Herald, glanés entre 1834 et 1839. Tout au long des années 1830, la référence dans la feuille tory aux Plaines d’Abraham n’a rien à voir avec un happening soporifique : la victoire des troupes anglaises sur les Plaines d’Abraham est, pour eux, associée essentiellement aux droits de conquête par les armes incluant ultimement la suppression des droits politiques des vaincus et le recours à la guerre civile en cas de contestation. Un lecteur s’y réfère dans l’édition du 16 décembre 1834 quand il demande ce qui existait avant la Constitution de 1791 :
What was that state ? a state of conquest. The Province had been won by force of arms, and was ruled by a Governor and Council.

Dans la section « Commercial » de l’édition du 20 octobre 1835, on trouve à ce chapitre ceci :

We are far, immeasurably far, behind our republican neighbours in deeds of enterprise and public spirit. Descended from a common stock, we are naturally of similar habits of thought and action ; but the artificial incubus with which our House of Assembly bads us cramps our energies, moral, physical and mental. We are bowed to the dust by ignorant minions, we are vassals where we ought to be lords, hewers of wood and drawers of water where we ought to be taskmasters. The vanquished have, by cunning and stratagem, conquered those who were victorious over them on the Plains of Abraham, and the British Government has warmed a serpent in its bosom which is now gnawing its vitals. In vain did the immortal Wolfe purchase with its dearly bought blood this splendid appendage to the British territory, if through ministerial weakness and imbecility, it is to be virtually a French democracy ! He expired, as warrior ought to expire, in the arms of victory, with the proud consciousness, that he had nobly done his duty to his king and to his country who mingled sorrow for his loss with rejoicings for the victory that he had won ; and he was spared witnessing the humiliating spectacle that he might now behold, of the descendants of those whom he had humbled to the dust becoming the fawning sycophants at a vice-regal table, and the especial favourites of a representative of the Majesty of England !

Il ne faut pas se surprendre que de 1834 à 1837, à rebours de la version officielle qui prévaut encore dans l’historiographie, ce que les tories montréalais verront à l’horizon, c’est la guerre larvée contre le cabinet Whig en Angleterre et la politique de conciliation envers le Parlement de Québec. À leurs yeux, cette divergence fondamentale de vue ne pourra se résoudre que par la violence et le recours ultime aux armes.
Dans l’une de ses fameuses Anti-Gallic Letters adressées à Lord Gosford, Adam Thom fait appel lui aussi aux manes de Wolfe :
The British government, my lord, was instituted in this country on the Plain of Abraham ; and little did those, who there instituted it with their blood, imagine, that a cabinet of liberal traitors was to prostitute that blood into an offering at the unholy shrine of an anti-national faction. Your lordship has heard of the immortal Wolfe. What, my lord, would have been that patriotic warrior’s present feelings, had his body been as immortal as his memory. Read the following lines, my lord, and say, whether Wolfe had not, according to the sentiment of the last line, reason to thank the gods for dying the proud death of a hero instead of living the inglorious life of a conquered conqueror (26 novembre 1835).

Autre référence à la bataille des Plaines d’Abraham dans l’édition du 14 septembre 1838 au moment de l’acquittement à Montréal des meurtriers présumés de l’indicateur Chartrand par un jury civil :
All that our countrymen desire, is, that they be trusted as Britons are treated in Britain, and not as aliens in a land won by the hands of their fathers. The same free born spirit which animated the heroes of the Plains of Abraham, still animates their descendants.


Le jour anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham est souligné par ailleurs dans l’édition du 13 septembre 1839 :
On this day eighty years ago the battle of the Plains of Abraham was fought and the British standard floated proudly in the breeze from the citadel of Quebec. The reminiscence of an event which is so associated with national glory and renown must ever awaken in the bosoms of British subjects sentiments and feelings of an honest pride. Had that victory been properly taken advantage of, the Canadas might have presented a far different appearance to what they at present do, and their inhabitants, both English and French, would have been in the possession of unbroken peace and unbounded prosperity. They are now at war with each other, and the contest is characterized by deeds of violence and blood, at the bare recital of which the heart shudders.

[->6215] Le rappel des Plaines d’Abraham dans le Montreal Herald au cours de la décennie 1830 est inséparable de la perspective de la guerre civile en gestation dont le journal de la rue Saint-Gabriel ne se lasse pas de relever les symptômes, quand il n’en favorise pas lui-même l’éclosion. Or, avec la suppression de la Chambre d’Assemblée et la criminalisation des député patriotes, la mise en vigueur de la loi martiale en décembre 1837 signifiera, pour eux, en quelque sorte, le retour inespéré à la case départ.
La rébellion providentielle est pour le Herald une « seconde conquête », le district de Montréal, un territoire occupé : triomphe de la mentalité de garnison analysée par Murray Greenwood. Tel est le pilier de force (à quoi se réfère l’épithète « dorique » sur lequel repose tout l’édifice constitutionnel canadian. Pour ce qui est du consentement des gouvernés, on repassera. Témoin l’extrait suivant du 2 décembre 1837 au moment de la double insurrection (celle des patriotes radicaux et celle de l’élite tory de mèche avec la caste militaire contre le gouvernement) :
The martial law, as your lordship is well aware, would enable the troops systematically to disarm every actual or suspected rebel ; and your lordship may rest assured, that nothing but a general disarming of the French Canadians can long preserve Lower Canada to England. So long as the traitors have arms at command, your Lordship’s “English inhabitants of this province” must feel as if encamped in a hostile country, a state of things too grievous to be borne, while Frenchmen of all parties, gnashing their teeth as they now do under the humiliating infliction of a second conquest, would have one motive more for goading incredibly ignorant countrymen into rebellion. Nothing but Martial Law can prevent such evils.

François Deschamps


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    2 février 2009

    Je trouve que ces extraits auraient avantage à être traduits et publiés en français. Par par purisme ou fanatisme, simplement par intérêt d'en comprendre mieux l'essentiel... Ce qui n'est pas donné à tout le monde n'est-ce pas!