Les mains liées

Son appel à confier les destinées du Québec à un homme qui a «les mains libres» était presque clownesque.

Élection Québec - 8 décembre 2008

À une époque où les meilleures traditions se perdent, cela commençait à devenir inquiétant: après trois semaines de campagne, Jean Charest n'avait pas encore brandi l'épouvantail séparatiste. Heureusement, le chef libéral a finalement découvert que Pauline Marois était souverainiste. J'en connais au PQ qui vont être heureux de l'apprendre.
Peu importe que la tenue d'un référendum soit plus hypothétique que jamais, M. Charest n'allait certainement pas manquer de tirer profit des propos que Mme Marois a tenus lors du débat de mardi, quand elle a dit avoir «les mains liées par le mouvement souverainiste».
Son appel à confier les destinées du Québec à un homme qui a «les mains libres» était presque clownesque. Comme si l'ancien vice-président du comité du NON n'était pas lui-même menotté par son appartenance au camp fédéraliste! À Ottawa, on sait très bien que sa défense des intérêts du Québec demeure essentiellement une affaire de théâtre et qu'il ne pourrait à aucun prix envisager son avenir en dehors du cadre canadien. Même dans le cas de Robert Bourassa, certains ont pu avoir des doutes. Dans celui de M. Charest, il n'y en aura jamais.
Plutôt que de mettre la population en garde contre des périls imaginaires, le chef libéral devrait s'employer à protéger le Québec contre les dangers bien réels qui le menacent, comme la «rebilinguisation» du centre-ville de Montréal.
La plate-forme électorale du PLQ est totalement muette sur la question linguistique. En introduction, M. Charest écrit qu'un des six défis que le Québec devra relever au cours des prochaines années sera de «renforcer notre identité comme atout économique».
Les deux seuls engagements pris par les libéraux sont l'élimination de la TVQ sur les produits culturels québécois et une hausse de 10 millions du soutien apporté à la production télévisuelle et cinématographique. Ces mesures seraient sans doute les bienvenues, mais le moins qu'on puisse dire est que leur effet potentiel sur la situation du français dans la métropole ne paraît pas évident.
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Les libéraux semblent toujours tenir ceux qui s'en inquiètent pour des paranoïaques ou pour des souverainistes. Dans leur esprit, cela revient presque au même. L'hiver dernier, le gouvernement s'était retrouvé dans l'eau chaude quand la présidente de l'Office québécois de la langue française (OQLF), France Boucher, et la ministre responsable de la l'application de la Charte de la langue, Christine St-Pierre, avaient été accusées de cacher des études qui révélaient la gravité de la situation du français.
La perte de crédibilité de l'OQLF a entraîné, en mars 2008, la fondation d'un nouvel Institut sur la recherche du français en Amérique, qui «se veut un gardien de la langue et compte se maintenir au-dessus de la mêlée politique partisane».
Il tenait hier un premier colloque, auquel participaient des chercheurs qui ont rompu avec fracas leur association avec l'OQLF au printemps dernier, parce qu'ils étaient en profond désaccord avec sa présidente, notamment le démographe Marc Termote, dont une étude sur l'évolution démolinguistique à Montréal avait été cachée par l'OQLF pendant 18 mois, et son collègue Charles Castonguay, qui vient tout juste de faire paraître un recueil d'articles sous le titre Avantage à l'anglais! Dynamique actuelle des langues au Québec.
La journaliste Noée Murchison, du Journal de Montréal, auteure d'une enquête sur la langue de travail dans les commerces du centre-ville qui a fait grand bruit, comptait également parmi les conférenciers invités. Une table ronde était animée par le politologue Christian Dufour qui, dans un récent essai intitulé Les Québécois et l'anglais: le retour du mouton, écrit: «à certains égards, les Québécois sont engagés dans un angoissant processus d'assimilation».
Il ne fallait évidemment pas s'attendre à ce que les participants brossent un portrait rose de la situation, mais la noirceur était impressionnante. Selon Marc Termotte, la lourdeur des facteurs qui défavorisent le français ne permet d'envisager que deux solutions pour assurer sa pérennité: ou bien le Québec stoppe toute immigration, ce qui le condamne à un déclin démographique et économique certain, ou bien l'État impose l'unilinguisme français dans toutes les sphères de la société.
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En fin de semaine dernière, l'ancienne ministre responsable du dossier linguistique dans le gouvernement Bouchard, Louise Beaudoin, aujourd'hui candidate péquiste dans Rosemont, a eu une altercation sur les ondes de Radio-Canada avec l'actuelle ministre, quand cette dernière lui a rappelé qu'en 1996 le gouvernement péquiste avait lui-même tripoté une étude du Conseil de la langue française pour embellir la situation.
Il est vrai que, après avoir elle-même accouché d'un «bouquet de mesures» bien timides à l'époque, Mme Beaudoin est plutôt mal placée pour reprocher à Mme St-Pierre la faiblesse du plan d'action que le gouvernement Charest a dû concocter en catastrophe au printemps dernier.
Pauline Marois est la première chef du PQ à s'engager personnellement à présenter une «nouvelle loi 101», qui étendra notamment le processus de francisation aux entreprises de moins de 50 employés. Même Jacques Parizeau ne l'avait pas fait.
M. Charest dira sans doute que Mme Marois a les mains liées par son parti sur la question linguistique, mais les siennes le sont tout autant par la clientèle anglophone et allophone du PLQ, qui demeure essentielle à sa réélection. Elle veut bien le laisser pousser des cocoricos pour satisfaire les francophones, mais cela ne doit pas porter à conséquence.
En cette période de crise économique et financière, il est clair que la population a d'autres priorités que la langue, mais M. Charest est le premier à dire qu'il faut voir au-delà de la crise. C'est une chose de laisser le crucifix accroché au mur du Salon bleu, mais l'affirmation de l'identité québécoise passe avant tout par le maintien de la prédominance indiscutable du français.
Il est parfaitement légitime de croire qu'il est plus avantageux pour le Québec de demeurer au sein du Canada. À partir du moment où il renonce à faire bénéficier le français du poids d'un État souverain, M. Charest devrait être le premier à vouloir renforcer la loi 101. À quoi servirait-il d'avoir une seule paire de mains sur le gouvernail, si elles sont attachées?
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mdavid@ledevoir.com


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