Les douze travaux de Stéphane Dion

Élections fédérales du 14 octobre 2008


À la guerre comme à la guerre. Stéphane Dion n'a plus le choix. Le Parti libéral tirant de la patte dans les sondages et Stephen Harper le ridiculisant sur toutes les tribunes, Dion joue le tout pour le tout. Le voilà donc se jetant tête première, lui aussi, dans la guerre d'images.
Et comme dirait peut-être Nicole Charbonneau Barron, la nouvelle candidate conservatrice membre de l'Opus Dei: à la grâce de Dieu!
Face aux publicités négatives à la sauce américaine que servent les conservateurs depuis des mois en attaquant la personnalité même de Stéphane Dion, les stratèges libéraux viennent de se réveiller. Harper le traite de leader faible, indécis et déconnecté du "vrai" monde: Dion livre maintenant ses discours sur un ton plus incisif et parfois même humoristique. Exit le vieux Stéphane timide, bien élevé et à l'instinct de tueur d'un gros nounours en peluche. Dites bonjour au Stéphane nouveau!
Usant d'un anti-intellectualisme prisé dans certains milieux, Harper, pourtant lui-même un intellectuel, se positionne de plus en plus en populiste pour mieux se moquer de Dion-le-professeur. Réplique de Dion: un nouveau site internet (www.thisisdion.ca) montrant son côté givré, sa femme, sa fille, ses excursions de pêche, ses randonnées en raquette, etc. Cérébral, oui, mais aussi sportif et bon vivant...
Même si le PLC est le parti du scandale des commandites, les stratèges libéraux n'ont plus rien à perdre. Et vlan!, ils accouchent du site www.scandalpedia.ca - présenté comme l'"encyclopédie libre des scandales conservateurs"... Comme quoi, la meilleure défensive est l'offensive.
Mais nul ne sait encore comment les électeurs réagiront à ce changement radical dans la culture politique canadienne. Combien aimeront voir les vies privées et publiques des chefs se confondre soudainement pour mieux les séduire? Ça reste à voir. Le pari de Stéphane Dion est particulièrement audacieux: humaniser son image publique. Non pas pour en construire une fausse visant à tromper l'électeur, mais pour qu'elle reflète sa VRAIE personnalité privée dans le but de mieux vendre ses idées, son programme et surtout, son parti.
DEUX OPERATIONS FORT DIFFERENTES
Voilà bien ce qui distingue les opérations de "remodelage" d'image de Harper et de Dion. Si Harper joue maintenant au bon papa gâteau, qui embrasse les bébés et délaisse ses complets austères pour le pull casual de couleur pastel, c'est pour projeter une image rassurante dans un contexte où ses idées, plus conservatrices que celles d'un Brian Mulroney, pourraient inquiéter suffisamment d'électeurs pour le priver d'une victoire majoritaire.
Si Dion, par contre, tente de se montrer sous un jour disons plus agréable, c'est que son absence totale de charisme, ajoutée aux attaques personnalisées du PC contre lui, l'empêche de vendre des idées pourtant plus proches de celles de l'électeur dit centriste.
En d'autres termes, en politique, le remodelage de l'image personnelle d'un chef peut servir un des trois objectifs suivants. 1. Vendre des idées populaires portées par un chef qui ne l'est pas; 2. Cacher des idées moins populaires, mais portées par un chef qui l'est; 3. Masquer l'absence d'idées! M'est avis que Dion vise le premier et Harper, le deuxième. Mais le défi de Stéphane Dion ne s'arrête pas là. Pour faire image - si je puis dire! - même si le chef libéral n'a rien physiquement d'un Hercule, il a tout de même ses propres douze travaux à réaliser s'il veut espérer gagner l'élection:
(1) Convaincre que la victoire des conservateurs, même minoritaire, n'est pas acquise; (2) Convaincre que même un gouvernement Harper minoritaire menacerait ce qu'il appelle les valeurs canadiennes; (3) Convaincre qu'il est prêt à gouverner, même minoritaire; (4) Convaincre que la seule manière de ne pas avoir l'"agenda" Harper est de le remplacer au pouvoir; (5) Illustrer clairement ce qui changerait avec un gouvernement Dion en économie et dans les politiques sociales; (6) Reconquérir le "centre": ne pas laisser Harper définir le PC comme un parti "centriste", alors que c'est le terrain naturel du PLC; (7) Ne pas se contenter de se dire "aussi nationaliste que Gilles Duceppe" - il y a quand même des limites au remodelage! (8) Offrir plutôt une ouverture concrète envers le Québec; (9) Dire ce qu'il ferait en Afghanistan après 2011; (10) Défendre la Loi canadienne sur la santé en s'opposant à la privatisation croissante des soins; (11) Expliquer ce que serait la politique internationale du Canada sous les libéraux; (12) Comprendre l'importance cruciale, pour lui, des deux débats des chefs.
Grosse commande, en effet. Peut-être trop grosse pour un parti n'ayant pas encore fini d'expier ses péchés de l'ère Chrétien, dont Stéphane Dion, après tout, est un produit direct! Peut-être trop grosse aussi face à un Stephen Harper n'ayant pas fini de sortir des lapins électoraux de son chapeau.
Enfin. On verra le 14 octobre. La seule certitude pour le moment est que la campagne sera longue et dure. Très dure. Mais que ce soit au Québec ou au fédéral, les élections générales des dernières années ont su produire des résultats que personne, mais personne, n'avait vu venir le jour de leur déclenchement. Bref, pour nous, les analystes politiques, la lecture prématurée de la boule de cristal est devenue un sport dangereux! Et c'est tant mieux pour la démocratie...


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