Le retour de la croix. Et la foi, elle?

La mise en valeur du patrimoine religieux favorisera le regain de la foi

Il est question ces temps-ci d'un crucifix qui fut décroché et raccroché ensuite au mur de l'hôpital Saint-Sacrement de Québec. Les gens se sont mobilisés contre la direction de l'institution de santé pour exiger le retour en place du crucifix. Est-ce par fidélité religieuse au crucifix, symbole par excellence du chrétien, ou par souci de conserver le patrimoine québécois, comme le laissent entendre les médias ? Quoi qu'il en soit, notre bon ministre de la santé s'en est, comme Pilate, lavé les mains en remettant à l'institution la décision de retirer ou de ramener le crucifix à sa place. Une fois que la population a manifesté sa réprobation, le ministre félicita l'Hôpital de remettre le crucifix à son endroit.

Le crucifix décidément sème, au Québec, la discorde. Il n'en fut pas ainsi au temps de la Nouvelle-France. On rapporte que le sieur de Maisonneuve, transporta une croix de bois aux limites de l'établissement de Ville-Marie en suppliant le Ciel de freiner l'inondation qui avait cours en décembre 1642. Maisonneuve promit d'ériger une croix sur le Mont-Royal si sa prière est exaucée. Or, les eaux se retirèrent au petit matin du jour de Noël, laissant l'établissement montréalais intact. Aussi, le 6 janvier qui suivit, le jour de l'Épiphanie, Maisonneuve porta une croix sur ses épaules jusqu'au pied de la montagne, côté sud-est. Une verrière de la basilique Notre-Dame, dans le Vieux-Montréal, illustre cette ascension sur le Mont-Royal. (Voir Martin M. Mcnicoll, « Pourquoi une croix sur le Mont-Royal ? En route vers le 375e de fondation de Montréal », Journal Jésus Marie et notre temps, no. 494, janvier 2016.)

Nous, en bons rationalistes que nous sommes devenus, les dociles enfants de Voltaire, nous n'avalons pas une miette de cette histoire à dormir debout, comme si deux bouts de bois formant une croix ont la puissance d'arrêter une inondation ! D'ailleurs, il faut rappeler qu'à l'origine, chez les Romains, la croix fut un instrument de torture particulièrement ignominieux pour les malfaiteurs.


Quel est le sens de cette fameuse croix que Maisonneuve planta sur le Mont-Royal ? Que symbolise-t-elle donc ?

À ce chapitre, nous ne sommes pas mieux que les Égyptiens d'aujourd'hui qui, tous les cinq ans, doivent déterrer le sable recouvrant le Sphinx à tête de lion devant la pyramide de Giseh. Le symbole religieux que représentait le Sphinx pour leurs ancêtres égyptiens leur échappe complètement. Affligeant. Il en va de même pour le crucifix, pour cette croix placée au haut du sommet du Mont-Royal.

Quel est le sens de cette fameuse croix que Maisonneuve planta sur le Mont-Royal ? Que symbolise-t-elle donc ?

Il faut en référer à celui qui conçu le projet de fonder Montréal, Jérôme Le Royer, Sieur de la Dauversière (1597-1659), né à La Flèche, en France. En 1635, en l'église de Notre-Dame de Paris, il eut une vision spirituelle hors du commun où il vit distinctement Jésus, Marie et Joseph. (Voir Dom Guy-Marie, L'homme qui a conçu Montréal, Jérôme Le Royer, Sieur de la Dauversière, Méridien, 1991, p. 50-51.) Dans cette vision, Jérôme Le Royer conçut le projet d'évangéliser les Amérindiens en Nouvelle-France. D'où la création quelques années plus tard, avec d'autres, de la Société Notre-Dame de Montréal pour la conversion des sauvages de la Nouvelle-France. Paul Chomedey de Maisonneuve ainsi Jeanne Mance seront ses représentants dans l'établissement de Montréal.

Maisonneuve et Jeanne Mance s'engagent donc dans le projet d'évangélisation des Amérindiens à Montréal. Le crucifix, pour eux, symbolise la mort ET la résurrection de Jésus le Christ. Ce n'est plus pour eux, comme pour tout chrétien d'ailleurs, un instrument de torture. Il faut « lire » au second degré ce signe qui symbolise désormais le plus grand événement qu'ait connu le monde et qu'annonce l'Évangile : la Bonne Nouvelle de la mort et, surtout, de la RÉSURRECTION du Fils de Dieu, Jésus le Christ.

C'est ce symbole fondamental de la foi en la Résurrection de Jésus Christ que brandit Paul Chomedey de Maisonneuve devant les inondations menaçant l'établissement de Ville-Marie. Aucune magie n'est ici pratiquée. Seulement l'affirmation - mieux, la proclamation - de la foi en Jésus, Fils de Dieu, mort sur la croix et ressuscité, ce qui constitue la meilleure façon d'affronter toute épreuve, tout mal pour que la vie jaillisse en abondance. Il s'agit donc essentiellement d'un acte de foi, et non de magie qui, en quelque sorte, interromprait le cours normal de la nature.

La foi est plus qu'une simple croyance (irrationnelle, en soi); c'est une disposition à faire confiance. Dans le credo, le chrétien dit « Je crois en Dieu ». Croire en la croix salvifique, c'est davantage que simplement croire que Jésus de Nazareth y fut pendu.

Le prophète Isaïe écrivit déjà : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. » (Isaïe 7 9). L'histoire de la croix de Maisonneuve stoppant les eaux du fleuve, c'est comme croire que Moïse fendit les eaux du Nil en deux pour que Israélites puissent passer à pied sec. Difficile à avaler pour un bon rationaliste. Mais, dans toutes ces histoires, ce n'est pas la raison qui importe, mais la confiance à toute épreuve.

C'est évidemment sur ce point crucial (sans jeux de mots) que diverge radicalement celui qui fait confiance (le « croyant ») d'avec l'incrédule (« le non-croyant »).

Voici, pour conclure, un exemple vivant illustrant la foi en tant que vertu de confiance, dû au philosophe américain William James (1842-1910) dans La volonté de croire.

Imaginons que vous gravissez une montagne et qu'à un moment donné vous vous trouvez coincer dans une situation périlleuse. Pour vous sortir du pétrin, vous devez exécuter un saut périlleux. Pour ce faire, il faut impérativement que vous ayez confiance en vous. Si vous n'avez pas confiance en vous, si vous dites que tout espoir est vain, que tout est fini, plongez alors désespérément dans l'abîme. Mais si vous avez foi en vous, si vous vous accrochez à la vie, à l'espoir, vous allez survivre. Voilà ce qu'est la foi comme vertu théologale.

Ce fut celle de Paul Chomedey de Maisonneuve en ce mois de décembre 1642. Le 375e anniversaire de la fondation de Montréal devrait souligner haut et fort la sagesse et le courage de ce héros de la foi.

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Jean Laberge - Professeur de philosophie au Collège du Vieux-Montréal, l'auteur a publié en 2009 "En quête de sens" (Éditions Logiques).





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