Le prophète de malheur

Ce n'est pas d'hier que Peter White se désole de voir l'indifférence d'Ottawa entraîner la «décanadianisation» progressive du Québec.

Québec c. Canada — le Québec entravé


Ce n'est pas d'hier que Peter White se désole de voir l'indifférence d'Ottawa entraîner la «décanadianisation» progressive du Québec.
Cet ancien lieutenant de Brian Mulroney et de Conrad Black était président du Conseil de l'unité au moment du référendum de 1995. Voyant le gouvernement Chrétien se refuser à toute ouverture au lendemain de la victoire du Non, il avait lancé un véritable cri d'alarme. «Ou bien la polarisation entre le Québec francophone et le Canada anglophone va s'accentuer au point que les deux vont se séparer, ou on change de modèle et on trouve un nouvel équilibre», avait-il lancé dans une entrevue accordée à L'Actualité en avril 1996.
On connaît la suite. Loin de proposer un nouveau modèle, le tandem Chrétien-Dion a fait adopter la Loi sur la clarté, et la catastrophe prophétisée par M. White ne s'est pas produite. Plutôt que de reprendre l'offensive, Lucien Bouchard s'est mis en attente des «conditions gagnantes» et, n'ayant rien fait pour les réunir, il a finalement trouvé un prétexte pour tirer sa révérence.
Aujourd'hui président de l'association conservatrice de Brome-Missisquoi, M. White a décidé de rejouer les Cassandre dans une récente lettre ouverte au magazine Maclean's. «Nous observons la lente séparation de facto du Québec du reste du pays, émotivement, spirituellement et intellectuellement», écrit-il.
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Si son cri d'alarme n'a connu aucun écho au lendemain du référendum, c'est que l'opinion publique n'a exercé aucune pression sur le gouvernement Chrétien pour qu'il tente une réconciliation. En dehors de l'intelligentsia, il n'était rien resté de la floraison de colloques, commissions et autres symposiums sur le thème du What does Quebec want? qui avaient marqué l'après-Meech. Le Canada anglais favorisait plutôt le tough love.
Encore une fois, ce prophète de malheur risque de prêcher dans le désert. Le colloque qui aura lieu la semaine prochaine dans la Ville reine, à l'initiative de l'Université du Québec à Montréal et de l'Université de Toronto, rappellera peut-être à certains les beaux jours de l'industrie constitutionnelle, mais il en faudra bien plus pour faire renaître ne serait-ce qu'un soupçon d'intérêt pour la question québécoise dans le ROC.
M. White a beau dire qu'en dépit des apparences le mouvement souverainiste est loin d'être mort, l'effondrement du Bloc québécois, les malheurs du PQ et l'apparition d'un nouveau parti qui mène dans les sondages en tablant sur la lassitude constitutionnelle ne peuvent que renforcer cette indifférence.
Pauline Marois a bien compris le profit qu'elle peut tirer du sentiment d'aliénation que provoquent les politiques du gouvernement Harper et elle a ajusté son discours en conséquence. Le problème est que cela ne semble pas vouloir se transposer dans l'action.
La prémisse de son «plan pour un Québec souverain» était de rompre avec l'attentisme, mais la «gouvernance souverainiste» en est simplement une nouvelle forme, qui risque d'aboutir à la même absence de résultats que durant les années Bouchard.
Qu'il s'agisse du référendum d'initiative populaire ou du nouveau comité sur la souveraineté, la chef péquiste donne toujours l'impression qu'il faut lui arracher de force le moindre geste un peu concret.
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Il est inutile d'espérer que Mme Marois s'engage à tenir un référendum sur la souveraineté dans un prochain mandat. Il est d'ailleurs facile d'imaginer toutes sortes de circonstances dans lesquelles la tenue d'un référendum serait inappropriée.
Cela n'exclut cependant pas d'autres initiatives. Par exemple, le PQ pourrait très bien s'engager à tenir une consultation pour réclamer des modifications constitutionnelles qui accorderaient au Québec la totalité des pouvoirs dans des domaines étroitement liés à l'identité québécoise, comme la langue, la culture et l'immigration. Les plus impatients crieraient sans doute à l'étapisme, mais cela n'en aurait pas moins pour effet de «provoquer des choses», comme on dit dans le langage du hockey. Une fois la roue lancée, qui sait où elle pourrait mener?
De façon plus immédiate, une détermination plus affichée permettrait de remobiliser la base militante à l'approche des élections et peut-être de ramener au bercail quelques-uns des dissidents de juin dernier.
Lisette Lapointe a envoyé cette semaine un signal clair de son désir de se représenter sous la «bannière solide» du PQ aux prochaines élections. Son leadership étant maintenant stabilisé, Mme Marois est cependant en mesure de poser certaines conditions. Après les propos très durs qu'elle a tenus à son sujet et son adhésion à Option nationale, il faudrait que la députée de Crémazie fasse un acte de contrition bien senti.
Louise Beaudoin, elle, s'était bien gardée de critiquer sa chef personnellement. Les propositions adoptées au dernier conseil national répondent déjà en partie aux réformes qu'elle réclamait. Une plus grande vigueur dans la marche vers la souveraineté pourrait lui permettre de justifier un retour, même si sa décision de ne pas se représenter semble irrévocable.
Jean-Martin Aussant a brûlé ses vaisseaux en créant un nouveau parti, mais Pierre Curzi doit très bien savoir qu'un retour au PQ est un préalable à la poursuite de sa carrière politique. Il aimerait certainement contribuer à donner raison à Peter White.


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