Le PQ dévore-t-il vraiment ses chefs?

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C’est beaucoup demander aux médias de se départir de certaines légendes urbaines





C’est ce matin que commence le vote pour la chefferie du PQ. Vendredi 21h, très probablement, on saura son identité. On entendra alors beaucoup de poncifs dans les médias à propos de ce parti. On dira par exemple qu’il s’agit d’un parti qui dévore ses chefs, ce qui en fait un parti ingouvernable. Ou encore, on dira que le chef devra s’occuper d’une base militante très active, principalement associée aux purs et durs de Montréal-centre. Certains se porteront à la défense de ces derniers en disant qu’il est naturellement difficile de diriger un parti rompu aux débats d’idées. Ces images, qui permettent à chacun de se faire une opinion rapide sur le PQ ne sont pourtant pas fondées. Je m’intéresserai ici à une de ces images: le PQ dévore-t-il vraiment ses chefs? On aime le dire: cela fait passer le PQ pour un parti ingouvernable, contrôlé par des militants qui tiennent en otage la direction. Est-ce bien le cas?


Reprenons l’histoire un chef à la fois. René Lévesque a-t-il été dévoré par son parti? On peut certainement dire qu’il a été remis en question à quelques reprises, une fois par André Larocque qui a contesté directement son leadership en début des années 1970, plus souvent par la frange d’anciens rinistes qui contestait sa politique indépendantiste et sa politique linguistique. Mais il est demeuré en place de 1968 à 1985. Manifestement, il n’a pas été dévoré par son parti. Au contraire, il lui a imprimé chaque fois ses orientations fondamentales. On dit quelquefois que ses militants purs et durs lui ont montré la porte vers la fin. Mais c’est faux! C’est eux qui avaient quitté le PQ, qui l’avait déserté, au moment du virage du beau risque. En fait, ce sont les modérés de Pierre-Marc Johnson qui ont viré Lévesque, qu’ils voyaient comme un chef vieilli. Il y a tout de même des limites à réécrire l’histoire.


Peut-on dire des chefs suivants qu’ils ont été dévorés? Pierre-Marc Johnson n’a pas fait long feu (1985-1987). Mais on devrait rappeler qu’il prétendait diriger un parti indépendantiste alors que lui-même ne croyait plus vraiment possible de faire l’indépendance. Il voulait passer de la poursuite de la souveraineté à l’affirmation nationale. Tout en conservant l’indépendance comme idéal lointain, il ne croyait plus possible de l’atteindre. On peut comprendre qu’il y ait eu des tensions majeures : quand le général d’une armée ne croit plus en la victoire, il y a quelque chose de suicidaire à le laisser en place. Il a été remplacé par Jacques Parizeau (1988-1996), qui n’a jamais été contesté vraiment, ce qu’on reconnait aisément. Les militants l’ont profondément aimé. Il faut dire que Jacques Parizeau aussi aimait ses militants.


Peut-on dire alors que Lucien Bouchard a été dévoré par le PQ (1996-2001)? Non plus. Certes, son arrivée à la chefferie du PQ a été difficile. Il n’avait pas la culture politique de ce parti. Et alors qu’une partie de la base souverainiste croyait possible de lancer un troisième référendum rapide, il pensait le contraire. De même, il était en désaccord avec les militants qui voulaient renforcer la loi 101. Après le vote de confiance difficile de 1996, il a toutefois imposé clairement son autorité sur le parti. Au congrès de l’an 2000, il obtenait plus de 90% à son vote de confiance. C’est ce qu’on appelle un vote massif. Il avait rallié le parti, il l’avait à sa main. Sa démission avait quelque chose d’improbable et on peut croire à bon droit qu’il a instrumentalisé l’affaire Michaud pour se délivrer d’un rôle dont il ne voulait plus pour des raisons personnelles et parce qu’il sentait que l’histoire ne soufflait plus. Mais il n’a aucunement été chassé.


Bernard Landry a-t-il été liquidé par son parti (2001-2005)? Certes, en 2005, il a reçu un vote de confiance un peu décevant. Il espérait plus de 80% du vote, il n’a eu que 76%. Mais il s’agissait moins d’une fronde concernée que d’une série de petites insatisfactions coagulées (quelques militants liés à François Legault, d’autres liés à Pauline Marois, et une partie des partisans de la proposition Parizeau-Laplante). Devait-il démissionner? Chose certaine, il a eu un coup de sang et ne se le pardonne toujours pas dix ans plus tard. Il a moins été dévoré par son parti qu’il a succombé à un moment de faiblesse, en perdant pour quelques heures ses repères. La chose est triste à dire, mais on ne peut faire porter la responsabilité de sa démission à d’autres que lui-même.


André Boisclair l’a suivi (2005-2007). Ses militants l’ont présenté comme un sauveur. Il avait toutes les qualités prescrites par les médias. Mais son hostilité viscérale à la thématique identitaire l’a amené à la sacrifier à l’Action démocratique de Mario Dumont au moment de la crise des accommodements raisonnables. Conséquence de cela: le PQ s’est fait déclasser comme principal parti nationaliste pour la première fois depuis sa fondation. Il a terminé l’élection troisième. Il ne s’agissait pas d’une défaite électorale mais d’une défaite historique et d’un effondrement idéologique. On se demande bien dans quel parti un chef aurait survécu à un tel désaveu. Il faut dire que c’est aussi à ce moment que le PQ a commencé à comprendre vraiment que ses assises étaient fragiles.


On en arrive à Pauline Marois (2007-2014). Elle a vite pris le contrôle d’un parti qu’elle connaissait bien. Elle s’est trouvée fragilisée en 2010 et surtout 2011 quand les sondages annonçaient la disparition possible du PQ et son remplacement possible par la CAQ. Encore une fois, on se demandera quel parti se serait évité des convulsions dans une telle situation? C’est son existence même qui était en question. Dans de telles circonstances, n’allait-il pas de soi que le leadership de Pauline Marois soit fragilisé? D’autant qu’ils étaient nombreux à croire que si le PQ sombrait, c’est l’option souverainiste qui coulait définitivement avec lui. Pauline Marois s’est néanmoins maintenue. Elle a gagné les élections de 2012 et perdu celles de 2014. Sa démission, dans les circonstances, allait de soi.


J’en arrive à l’essentiel: l’étrange formule qui veut que le PQ dévore ses chefs est une illusion médiatique qui n’est pas confirmée par une étude un tant soit peu rigoureuse de son histoire politique. La tâche de chef du PQ est-elle plus difficile toutefois? En un sens, inévitablement : on ne lui demande pas seulement de prendre le pouvoir mais de réaliser l’indépendance de son peuple ou à tout le moins, de le faire avancer vers le pays. Il s’agit d’un mandat autrement plus exigeant que celui d’administrateur tranquille de la province de Québec. Quand l’option souverainiste semble dans une impasse historique, on devine que la pression psychologique est majeure.


Faut-il dire néanmoins qu’il s’agit d’un parti indiscipliné? En fait, l’image qu’on a en tête lorsqu’on s’imagine un parti discipliné, c’est un rassemblement de béni-oui-oui qui s’agenouille devant son chef et applaudit dès que la caméra s’ouvre. On entend par-là qu’un parti qui se présente comme une arène démocratique est par définition ingouvernable. Si tel est le cas, on s’en désolera. À quoi servent les partis politiques, surtout dans un système électoral comme le nôtre, s’ils ne peuvent abriter diverses tendances? Et de toute façon, cela fait des années que le PQ ne ressemble plus au parti studieux et peut-être querelleur qu’il était dans les années 1970. Certaines personnes, qui commentent la vie de ce parti, devraient mettre leurs connaissances à jour.


*Je me suis intéressé à un autre mythe péquiste, celui des « purs et durs » dans un article il y a deux ans. On le trouvera ici.




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