Jean Chrétien avait un plan

Le gouvernement fédéral n’aurait pas respecté un vote majoritaire au référendum de 1995 !

Dans la foulée des référendums écossais, catalan et de ce que nous apprenons aujourd’hui sur les intentions de Jean Chrétien en 1995, les indépendantistes québécois doivent revoir leur stratégie

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La démocratie Canadian

Vigile publie aujourd’hui en éditorial la traduction d’un extrait d’un ouvrage de Bob Plamondon, auteur de plusieurs ouvrages sur la politique canadienne, historien à ses heures, consultant de la région d’Ottawa et membre du conseil de la Commission fédérale de la capitale nationale, sur Jean Chrétien intitulé The Shawinigan Fox: How Jean Chrétien Defied the Elites and Reshaped Canada  paru ces jours derniers au Canada anglais. L’extrait que nous publions est lui-même tiré d’un extrait plus long du même ouvrage publié hier dans le National Post avec les titre et sous-titre suivants :  



Excerpt: Now we know Jean Chretien’s secret plan had he lost the Quebec referendum


 


Bob Plamondon: Chrétien was not prepared to see the country break up on a trick question and a narrow margin of support



On apprend dans cet ouvrage que l’ancien premier ministre fédéral Jean Chrétien n’avait aucune intention de reconnaître une victoire même claire du OUI en 1995 et qu’il avait un plan pour la contrecarrer.  



Il y a une question que les gérants d’estrade du lundi matin posent rarement. Même si le camp fédéraliste avait pu anticiper que [Lucien] Bouchard prendrait les rênes à la mi-campagne, qu’auraient-elles pu faire ? Personne ne pouvait prévoir que cela aurait un si grand effet sur les intentions de vote. En passant le relai de la négociation à Bouchard, Parizeau se retrouvait effectivement à renoncer à son leadership, un geste stupéfiant de la part d’une personne à l’égo aussi surdimensionné.


 


Si le camp séparatiste avaient pu penser un seul instant que cette décision aurait un effet aussi puissant sur le tour des événements, il aurait posé ce geste beaucoup plus tôt. En fait, si les résultats des sondages avaient été serrés à la mi-campagne, on peut raisonnablement penser que la carte Bouchard n’aurait jamais été jouée. Son changement de tactique n’était pas planifié et paraissait largement improvisé. En fait, le camp du OUI était très divisé sur le sens à donner à une victoire.  S’agirait-il du premier pas vers une séparation claire et nette, ou s’agirait-il d’un mandat fort pour négocier un accroissement des pouvoirs du Québec ? Un OUI aurait précipité le Québec et le Canada dans le chaos. Le dollar canadien aurait chuté, les marchés boursiers se seraient effondrés, et l’investissement au Québec aurait tari.  


 


[Jean] Chrétien croyait que de nombreux Québécois étaient prêts à voter OUI dans le seul but d’améliorer le rapport de forces du Québec dans ses négociations avec Ottawa pour obtenir une plus grande autonomie. Il souhaitait leur rendre plus difficile la prise d’un tel risque. Il avait d’ailleurs déclaré qu’un vote pour le OUI était un vote pour la séparation. Mais si les fédéralistes avaient perdu, Chrétien avait un plan qui n’a jamais été révélé à ce jour.


 


Tout d’abord, il serait revenu sur sa parole en prétendant que la question référendaire n’était pas claire et que la Constitution canadienne ne contenait aucune disposition évoquant la séparation éventuelle d’une province.  Les souverainistes québécois auraient probablement utilisé ses déclarations de la campagne référendaire contre lui. Et Parizeau aurait continué de mettre en oeuvre son projet en cherchant à obtenir la reconnaissance de gouvernements étrangers et en procédant au démantèlement de ses liens avec le gouvernement fédéral.


 


Rendu là, Chrétien ne pourrait plus continuer à n’argumenter qu’avec des paroles.  Il lui fallait trouver le moyen de changer la donne. Son plan était d’agir rapidement et, dans un délai d’un mois environ, de poser une autre question aux Québécois lors d’un second référendum : Souhaitez-vous que le Québec se sépare du Canada ? Si le OUI l’emportait par une majorité claire, supérieure à 50 % + 1 sans que le seuil exact soit précisé, il prévoyait tenir un référendum national sur la position que devrait prendre le gouvernement fédéral face à ce développement.


 


Chrétien n’était pas prêt à voir le Canada éclater sur la base d’une question piégée ralliant une étroite majorité. Il était cependant prêt à poser aux Québécois une question directe et à vivre avec les résultats. Il n’y avait aucun doute dans son esprit que si la question était claire et binaire - quitter le Canada ou y rester – le Canada ne perdrait jamais.


[Traduction de Richard Le Hir]




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3 commentaires

  • Martin Pelletier Répondre

    2 novembre 2017

    Ca nous ramène à la question référendaire  qui finalement  n'était pas aussi mauvaise qu'on a dit: 


    « Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec, et de l'entente signée le 12 juin 1995, oui ou non? »


    En disant NON à  un OUI majoritaire, en refusant l'offre de paternariat,  Chrétien ouvrait la porte toute grande à Parizeau qui avait alors pleinement  le droit de déclarer la souveraineté.


    Quant à Chrétien, je ne crois pas qu'il serait resté longtemps PM après une victoire du OUI. Il aurait été renversé par son  propre parti. 


  • Guy Pruneau Répondre

    2 novembre 2017

    Excusez-moi de cette longue réponse;  comme Blaise Pascal, je n'ai pas eu le temps de faire plus court.


    Je suis d'accord que les indépendantistes doivent revoir leur stratégie, qui n'a jamais été excellente en partant.


    La première chose à faire serait de commencer à adopter une attitude et un vocabulaire de gagnant.  Je suis embarrassé d'énoncer un pareil cliché, mais bon, après un demi-siècle cela reste à faire.  Cela semble d'autant moins naturel au mouvement indépendantiste qu'au début, c'est plutôt la situation d'infériorité des Québécois francophones qui l'a bien servi.  Cependant, le redressement de torts ne permet de faire qu'un bout de chemin.  Au-delà, il faut miser sur la confiance en soi et sur une attitude de gagnant.


    Du point de vue du vocabulaire, cela signifie, d'une part, se tenir loin du politiquement correct, et d'autre part, éviter les expressions comme "petit Québécois" ou "quelque chose comme un grand peuple".  Pourrait-on cesser de vouloir être petit ou grand ou "quelque chose comme" et être simplement un peuple normal?  (René Lévesque, au fait, si vous avez lu sa biographie, aimait utiliser l'expression "si on peut comparer nos petites choses aux grandes".  Je trouvais cela tellement misérabiliste.)


    Concernant l'attitude de gagnant, rien ne révèle plus une attitude que les gestes posés.  Ainsi, pourquoi, par exemple, les indépendantistes ne se sont jamais constitué une milice, quelque chose comme les S.A. ou le service d'ordre du Front national, mais dont le but serait avant tout défensif et affirmationniste?  À la lumière de la situation en Catalogne, n'avons-nous pas la preuve que ce serait une précaution utile?  Dès 1981, Denys Arcand, dans son film Le confort et l'indifférence, où il cite Machiavel parlant des troupes du prince, sous-entendait clairement l'avantage d'avoir une armée.  Malheureusement, le mouvement indépendantiste est tellement d'un pacifisme béat que lorsqu'une milice indépendantiste se constitue, elle est habituellement immédiatement discréditée de par sa composition, car elle ne rassemble que quelques extrémistes.  Le mouvement indépendantiste compte-t-il sur son autorité morale?  Comme disait Staline:  "Le pape?  Combien de divisions?"


    Sur un terrain moins controversé, je n'ai jamais compris pourquoi les indépendantistes montraient aussi peu du sens stratégique géopolitique le plus élémentaire.  Cela commence, par exemple, par s'assurer de rassembler les Québécois.  Ainsi, par exemple, je comprends qu'on ne perde pas trop de temps avec les francophones hors Québec.  Après tout, il s'agit de gens qui, bien qu'ils prétendent tenir au français, n'y tiennent quand même pas suffisamment pour quitter une société anglophone qui ne leur fait que peu de place.  Nous n'avons donc pas à renoncer à nos idéaux pour les accommoder.  Mais à l'intérieur même du Québec, comment expliquer qu'on ait à ce point ignoré l'Outaouais et la Basse-Côte-Nord, par exemple, au point qu'il n'y a pas encore de route sur la Basse-Côte-Nord et qu'il ait fallu attendre après les libéraux pour que l'Outaouais soit relié au reste du Québec par une autoroute encore incomplète?  On voudrait que ces régions se sentent le moins québécoises possible et qu'elles préfèrent se lier aux provinces voisines qu'on ne s'y prendrait pas autrement.  Même chose pour les communautés autochtones éloignées.  Et cela vaut aussi pour les investissements québécois en Outaouais.  Bon, je sais que les routes et ce genre de choses n'intéressent guère ceux pour qui seul le "sôôôôcial" compte, comme la santé, l'éducation et les arts, mais oui, parfois, les "vraies affaires" sont importantes aussi.


    À l'inverse, comment expliquer cette fixation sur Montréal, ville de moins en moins francophone, et dont la proportion de la population diminue par rapport au reste du Québec?  On semble se ficher carrément des régions et de Québec.  Cela explique sans doute aussi cette fixation funeste sur Québec Solidaire, alors qu'on laisse la porte grande ouverte à la CAQ.


    Je mentionnais plus haut la création d'une organisation de type milice.  Une telle organisation pourrait avoir d'autres fonctions moins défensives et attentistes:  organisation de boycotts (je demeure convaincu que certains boycotts ont un effet réel, pour peu que les mots d'ordre soient suivis), et création d'organisations hors du cadre canadien.  Par exemple, pourquoi n'a-t-on jamais cherché à créer une monnaie "indépendantiste" alternative au dollar canadien sur le modèle des systèmes d'échange locaux (peut-être un Bitcoin local?), des alternatives indépendantistes à la poste, au système financier canadien (assurances, banques, capital de risque, etc. - la Banque Nationale et le Mouvement Desjardins sont bien insuffisants et de toute façon, font désormais partie de l'establishment), en s'assurant de ne pas créer des institutions dont le premier souci sera de se vendre au premier venu aussitôt que l'occasion se présentera, des médias (il y a eu le Jour et ce fut bien insuffisant), etc.  Oui, je sais, cela prend de l'argent, justement, pour créer des médias et d'autres organisations, d'où la nécessité de créer le système financier alternatif susmentionné, histoire que les indépendantistes puissent investir leur argent dans des institutions qui le feront fructifier dans les projets indépendantistes ou québécois structurants et non pas à Toronto ou à Calgary.


    Si je reviens à la question du vocabulaire et du discours, l'occasion d'adopter un discours de gagnants est d'autant plus belle que les leaders fédéralistes font soudainement l'inverse.  Oh, bien sûr, ils n'ont rien perdu de leur arrogance, mais en pratiquant la politique-selfie et bisounours de l'amour universel et en se faisant les chantres de la rectitude politique et les porte-parole des lamentations de toutes les minorités de race, de religion, de genre, etc. supposément opprimées, ils se donnent l'apparence de ce que les Américains de droite appellent les "snowflakes", ces jeunes hypersensibles et peu résilients que chez nous on considérerait de type Plateau ou UQAM.  Inutile de dire que cela ne donne pas, à long terme, une image de gagnant.


    Et bien sûr, si on veut que cela serve à quelque chose, il faut aussi abandonner le misérabilisme de type Québec Solidaire, cesser de s'agenouiller devant ces gens et les laisser à leurs utopies, ignorer l'immobilisme des syndicats et s'intéresser un peu plus à l'économie et à la finance.  Peut-être que la CAQ ne serait pas meilleure que le PQ sur ce terrain, mais elle donne au moins l'impression de s'y intéresser.  Aussi, il faut cesser de s'excuser de défendre le français comme Lucien Bouchard et la laïcité et les traditions comme les péquistes actuels, cesser de refuser de rencontrer Marine Le Pen comme Lisée, prôner une réduction des taux d'immigration et dire leurs quatre vérités aux anglophones et aux allophones lorsqu'ils le méritent.  Et tant qu'à y être, cesser de prétendre que l'immigration est inconditionnellement enrichissante.  Quand j'étais enfant, en Mauricie, à mon école primaire, nous étions tous blancs francophones de souche, sauf un, et franchement, je n'ai pas eu l'impression de souffrir d'un manque quelconque sur ce plan.


    Le bonne-ententisme n'a jamais servi l'indépendance et ne la servira jamais.  Au contraire, c'est lorsque les anglophones et les immigrants ultrafédéralistes commencent à songer à s'en aller qu'il faut persévérer.  Lorsque, sous le gouvernement relativement inoffensif de Pauline Marois, la moitié des anglophones et des allophones disaient envisager de quitter le Québec, je n'aurais pas eu assez de cent mains pour applaudir à tout rompre.


    Pour finir, permettez-moi de rappeler une pub des années 80 d'Arctic Power avec Guy Richer.  Les plus vieux se souviennent sans doute de cette publicité (qu'on peut encore trouver sur YouTube) où vous aviez, d'un côté, des hommes forts virils dans l'eau froide, et de l'autre côté, des hommes efféminés et infantiles qui s'amusaient dans l'eau chaude, mais qui frissonnaient et restaient immobiles une fois transférés dans l'eau froide.  Cette pub m'est toujours restée dans la tête comme une illustration de la différence entre gagnants et perdants.  De quel côté de la pub placeriez-vous les "snowflakes" justement?  Et Québec Solidaire?  Et le mouvement indépendantiste en général?  Et un ancien premier ministre qui dit:  "Just watch me"?


  • André Lafrenaie Répondre

    1 novembre 2017

    L'ONU ou les pays dits démocratiques du monde reconnaissent le droit d'un peuple à son autodétermination, mais non pas, selon ce que la crise catalane a permis de mettre en évidence, le droit de faire un référendum sur cette question!...  Il s'agit vraiment là d'une dictature ou d'un totalitarisme que tous les mouvements souverainistes du monde doivent de toute urgence tenir compte.


    Le peuple catalan est aujourd'hui complètement isolé, et c'est pratiquement assuré que ce qui leur est arrivé va arriver à toute autre nation qui va essayer d'accéder à son indépendance, que ce soit la nation québécoise ou une autre.  On le constate d'ailleurs à la perfection avec cet extrait que Vigile nous apporte ici.  Tout comme le président espagnol Mariano Rajoy a assommé ou écrasé les Catalans en leur disant que la constitution leur interdisait tout référendum, le premier ministre canadien Jean Chrétien aurait finalement dit au peuple québécois qui aurait voté Oui en 1995 que "la constitution canadienne ne contenait aucune disposition évoquant la séparation éventuelle d'une province".


    On peut être sûr que Justin Trudeau prendrait cette même position dans le cas d'un futur référendum québécois gagnant.  Se servir de la constitution pour déclarer illégal soit un référendum sur l'indépendance, soit une déclaration comme telle d'indépendance a fonctionné à merveille dans le cas catalan, car aucun pays du monde ne s'est opposé à ce raisonnement dictatorial et totalitaire!...  N'importe quel gouvernement de la planète va donc désormais sans le moindrement se casser la tête utiliser ce même scénario.


    Il n'y a ainsi absolument plus rien que les mouvements souverainistes peuvent essayer pour accéder démocratiquement et pacifiquement à leur indépendance, sauf une seule chose que nous avons déjà proposée dans un récent article publié sur Vigile:  ils doivent d'abord et avant tout se regrouper dans une sorte d'ONU des peuples en lutte pacifique pour leur indépendance, de façon à acquérir un poids et une voix à l'international que ne pourra jamais avoir un peuple isolé et qui pourrait finir par mettre mal à l'aise les dirigeants de la planète dans leur hypocrisie et leur dictature.


    Plusieurs actions communes pourraient être mises en application dans tous les pays dans lesquels se trouveraient les mouvements souverainistes membres de ce regroupement:  pétitions, boycottages, manifestations, conférences de presse, etc., pour aider ponctuellement l'un d'eux particulièrement en difficulté, par exemple actuellement le peuple catalan.


    Mais le plus important serait que cet organisme pourrait apparaître, aux yeux de tous les citoyens du monde pour qui la démocratie et la liberté sont ce qu'il y a de plus important, comme un contrepoids des plus utiles contre la dictature et le totalitarisme dont font maintenant preuve ouvertement sans se gêner aucunement l'ONU ou tous les pays de la planète, ce qui ne pourrait qu'aider chacun des peuples membres du regroupement.


    André Lafrenaie