Le déséquilibre souverainiste

Ottawa - prochaine élection 2007

En janvier 2006, alors que la campagne électorale fédérale tirait à sa fin, l'animateur Pierre Maisonneuve, de Radio-Canada, demandait à Gilles Duceppe s'il était préférable que le prochain gouvernement fédéral soit majoritaire ou minoritaire. «Moi, je vous dirai qu'on n'a pas de décision sur ça. Les Canadiens décideront, il faudra respecter ce choix.» Et quelle serait sa préférence, un gouvernement libéral ou conservateur? «Ça sera le choix des Canadiens. Ici, moi, je m'occupe du choix des Québécois.»
M. Duceppe oubliait une chose. Beaucoup de Québécois veulent, comme les autres Canadiens, avoir leur mot à dire sur la formation de leur gouvernement. Et ils ne veulent pas y participer par défaut, en laissant aux autres le soin de choisir. S'ils l'ont fait depuis 1993, c'est parce qu'ils étaient privés d'un troisième choix crédible. Seul face aux libéraux, le Bloc représentait l'unique solution de rechange pour les mécontents, en plus d'être la seule voix offerte aux souverainistes. L'utilité du Bloc pour ces derniers ne se démentira jamais, mais la nouvelle lutte à trois vient brouiller les cartes auprès des électeurs nationalistes mous. La position plus autonomiste des conservateurs leur a plu l'an dernier et leur plaît encore.
Pour ébranler ces appuis, le Bloc mise déjà sur la grogne à l'égard du reste du programme conservateur, que ce soit en matière de justice, d'environnement ou de développement social. Mais le Bloc ne sera pas seul à le dénoncer. Le nouveau chef libéral Stéphane Dion ne cesse de promouvoir ses politiques environnementales, sociales et économiques. C'est d'ailleurs le désir de M. Dion de faire en sorte que la prochaine élection se décide non pas en fonction de l'éthique et du déséquilibre fiscal -- le fond de commerce du Bloc depuis au moins deux élections -- mais du projet de société mis de l'avant par les partis.
Bien des Québécois voudront se prononcer en se donnant davantage qu'une voix dans l'opposition. Le phénomène est anecdotique mais révélateur. Il n'est plus rare d'entendre des électeurs nationalistes affirmer qu'ils pourraient appuyer les libéraux si c'était nécessaire pour assurer une défaite conservatrice.
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L'arsenal électoral du Bloc -- le scandale des commandites et le déséquilibre fiscal -- a perdu de son efficacité dans ce nouveau contexte. Le premier est chose du passé alors que le second pourrait commencer à trouver une solution dans le prochain budget fédéral.
Comme le Parti québécois, le Bloc chiffre cette solution à 3,9 milliards de dollars supplémentaires par année pour le Québec. Et ce n'est qu'un minimum, a déclaré au Devoir cet automne le porte-parole bloquiste en matière de finances, Pierre Paquette. «En bas de ça, il n'est pas question d'appuyer le prochain budget.»
En mettant la barre si haut, le PQ et le BQ visent évidemment à rendre le Saint-Graal inatteignable et à maintenir les conservateurs sur la défensive. L'ironie de l'affaire est qu'ils torpillent ainsi leurs propres arguments. En effet, 3,9 milliards par année, ça fait 19,5 milliards sur cinq ans. Beau pactole! Surtout quand on le compare aux bénéfices financiers de la souveraineté calculés par François Legault.
Selon son étude sur les finances d'un Québec souverain, les gains financiers découlant de la souveraineté atteindraient 17,1 milliards sur cinq ans. Il y a un an, il écrivait que ce chiffre devrait être revu à la hausse pour tenir compte de la hausse plus rapide que prévu des revenus fédéraux au Québec. Mais les transferts fédéraux aussi ont augmenté. On attend donc toujours cette mise à jour qu'on nous promet maintenant pour les élections provinciales. Pour l'instant cependant, on est obligé de conclure qu'il y a davantage de gains à faire, financièrement parlant, à solutionner le déséquilibre fiscal qu'à faire la souveraineté.
Voilà une belle incongruité qui illustre parfaitement les dangers, pour les souverainistes, de réduire leur projet politique à des disputes de chiffres simplement pour séduire des électeurs qui autrement ne voteraient pas pour eux. (Le PQ et le BQ, en plus de s'emmêler, s'enferrent dans un discours qui n'a rien pour mobiliser leurs troupes. On a beau dire, Stéphane Dion a raison quand il affirme qu'on ne fait pas l'indépendance pour régler un désaccord comptable. Des indépendantistes convaincus, dont l'auteur Michel Tremblay, ont d'ailleurs publiquement affiché leur frustration par rapport à ces plaidoyers en forme de livres de comptes.)
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Le Bloc se retrouve coincé. Jusqu'à tout récemment, il n'a évoqué qu'un motif possible pour défaire le gouvernement: la résolution insatisfaisante du déséquilibre fiscal. Il a voté pour le premier budget Harper sous prétexte qu'il fallait attendre le second, le vrai, pour juger de sa réponse à cette question. «Le vrai test aura lieu en 2007», avait prévenu M. Duceppe. Or, à moins d'un budget qui n'offre aucune piste de solution et aucuns fonds supplémentaires pour le Québec, le chef bloquiste serait mal venu de s'y opposer, qu'on y trouve ou non ses 3,9 milliards. Le Bloc dit avoir pour mission de défendre les intérêts du Québec. Comment pourrait-il justifier de priver le Québec d'argent frais si la solution de rechange est un Parti libéral du Canada, dirigé par Stéphane Dion, qui ne reconnaît pas l'existence de ce déséquilibre?
Il est aussi de plus en plus clair qu'il n'y aura pas que le déséquilibre fiscal qui pèsera dans la balance lors du prochain scrutin fédéral. L'environnement, la justice, les affaires étrangères pourraient influencer le choix des électeurs. Ceci explique le fait que Gilles Duceppe ait évoqué récemment la possibilité de défaire le gouvernement sur la question de Kyoto ou de l'Afghanistan.
Le 23 janvier 2006, Gilles Duceppe disait que «tout ce qui fait avancer la cause du Québec fait avancer la cause de l'indépendance». Son ultimatum sur le déséquilibre fiscal montre les limites de son affirmation. Des gains trop importants à ce chapitre, même s'ils ne sont pas à la hauteur des exigences bloquistes, pourraient se traduire par un recul des appuis du BQ parmi les nationalistes mous. Si à cela s'ajoute un choix clair entre deux visions très différentes des sociétés canadienne et québécoise, il y a de bonnes chances que même des souverainistes convaincus veuillent influencer le choix du gouvernement. Et autrement que par défaut.
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mcornellier@ledevoir.com


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