Loi sur la laïcité de l'État

Laïcité: sitôt adoptée, sitôt contestée

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Motifs invoqués : Incapacité provinciale et Principe fédératif

(Québec) Une étudiante musulmane en sciences de l'éducation s'apprête à contester devant la Cour supérieure la Loi sur la laïcité de l'État qui interdit le port de signes religieux notamment chez les enseignants. Le Conseil national des musulmans canadiens et l'Association canadienne des libertés civiles sont les deux autres demandeurs de cette procédure judiciaire.



Ils veulent faire déclarer invalide la loi que le gouvernement Legault a fait adopter sous le bâillon à l'Assemblée nationale hier.


Leur avocate, Me Catherine McKenzie, entend faire valoir « des arguments constitutionnels » qui remettent en question « la capacité de légiférer en ce sens au Québec ». La poursuite sera déposée « rapidement ». « Il y a un effet immédiat à la loi, donc il faut être prêts », a-t-elle affirmé à La Presse.


Il y a un an, la même avocate était parvenue à convaincre la Cour supérieure de suspendre l'application d'une disposition de la loi 62 du gouvernement Couillard voulant qu'une personne offrant ou recevant un service public doive « avoir le visage découvert ». Le Conseil national des musulmans canadiens et l'Association canadienne des libertés civiles étaient aussi derrière ce recours.


Un recours « très bientôt »


La Loi sur la laïcité de l'État interdit le port de signes religieux chez les enseignants et les directeurs des écoles publiques, tout comme chez d'autres agents de l'État en position d'autorité (policiers, agents correctionnels, avocats et juges). Tous les employés qui occupaient ces fonctions lors du dépôt du projet de loi, à la fin du mois de mars, bénéficient d'un droit acquis (une mesure communément appelée « clause grand-père »).


La demanderesse dans le recours à venir contre Québec, une étudiante en sciences de l'éducation qui porte le hijab, ne peut donc se prévaloir d'un droit acquis. Elle ne pourra porter ce foulard dans une école à titre d'enseignante. Me McKenzie n'a « pas la permission de divulguer » l'identité de sa cliente avant le dépôt du recours. Le Conseil national des musulmans canadiens confirmera en conférence de presse aujourd'hui, à Montréal, le dépôt du recours « très bientôt ».


Pour Me McKenzie, « c'est évident » que la Loi sur la laïcité de l'État cible les « minorités religieuses » et a pour effet de les « exclure d'institutions publiques », de nier leurs droits.


La loi contient une disposition de dérogation qui a pour effet de la soustraire à l'application des chartes canadienne et québécoise des droits de la personne. « C'est pour éviter qu'il y ait trop de contestations » devant les tribunaux, a affirmé le premier ministre François Legault hier.




« On a le droit de l'utiliser, car il y a des droits collectifs. Les Québécois ont le droit de dire au reste du Canada : voici comment, nous, on vit au Québec. »


- François Legault




Or, Me McKenzie plaidera que le gouvernement du Québec outrepasse ses champs de compétence avec cette loi. La religion est un domaine partagé avec le gouvernement fédéral, voire un champ exclusif d'Ottawa dans certaines circonstances, et Québec ne peut donc agir comme il le fait, selon elle. Le gouvernement peut faire l'objet d'une poursuite même s'il utilise la disposition de dérogation, car cette disposition ne s'applique pas aux articles de la Constitution sur le partage des compétences.


« La structure de notre pays, le Canada, c'est que si un gouvernement provincial essayait de faire une loi identique dans tous les aspects mais au lieu des mots "symboles religieux", ce serait "les femmes", est-ce que la réponse à ça serait : "Oh, il y a une clause nonobstant et c'est la décision particulière de Québec ?" Je ne pense pas. Il y a certaines choses fondamentales auxquelles on ne peut pas déroger par la loi de cette façon », a soutenu Me McKenzie.


L'avocate a précisé que « ce n'est pas [sa] seule attaque contre la loi », mais elle a préféré ne pas dévoiler les autres pour l'instant.


« À l'intérieur des compétences du Québec »


Dans un article publié le 1er avril dans le magazine National de l'Association du Barreau canadien, l'avocat Maxime St-Hilaire affirme que « la religion est, en vertu de la répartition fédérative des compétences, un domaine partagé » et que cette situation rendrait le gouvernement Legault vulnérable aux poursuites. « Qu'une loi québécoise sur la laïcité qui déroge aux droits de la charte constitutionnelle soit déclarée invalide en vertu de la répartition fédérative des compétences n'a rien d'impossible », écrit-il.


Lors du marathon de débats en Chambre hier, le ministre de l'Immigration, Simon Jolin-Barrette, a soutenu que sa loi « est à l'intérieur des compétences du Québec ». C'était en réponse à des questions portant sur cet enjeu de la part du député de Québec solidaire Sol Zanetti. « Le gouvernement du Québec est d'avis que la laïcité de l'État ne relève qu'uniquement de l'État québécois. Et le gouvernement du Québec défendra toujours cette position devant les cours de justice si jamais la loi 21 serait contestée devant les tribunaux », a ajouté M. Jolin-Barrette.


Il a rejeté une proposition d'amendement de l'opposition visant à étendre la « clause grand-père » aux étudiants en sciences de l'éducation et dans les autres domaines ciblés par sa loi.




« Les droits acquis s'appliquent seulement aux personnes en emploi. »


- Simon Jolin-Barrette




Il a modifié sa loi à la toute dernière minute afin de préciser les sanctions qui seraient imposées à un employé de l'État contrevenant à la loi : il « s'expose à des mesures disciplinaires ou des mesures qui sont déjà prévues dans le cadre de l'exercice de ses fonctions ».


Un autre amendement prévoit qu'un ministre peut vérifier l'application de la loi ou désigner une personne pour le faire. Il peut exiger « des mesures correctrices » ou des « mesures de surveillance et d'accompagnement » aux organismes sous sa responsabilité et concernés par la loi. Le gouvernement crée une « police de la laïcité », ont ragé les députés libéraux, l'accusant de leur avoir « enfoncé dans la gorge » ces amendements surprises.


73 contre 35


Discrète jusqu'ici dans ce dossier, la ministre de la Justice, Sonia LeBel, a déclaré que si elle ne pouvait « exprimer une quelconque opinion ou commentaire sur les aspects juridiques de ce projet de loi », elle appuyait « haut et fort » le principe de la laïcité et l'interdiction du port de signes religieux.


Vers 22 h 30, après une journée de débats, 73 députés ont voté en faveur de la Loi sur la laïcité de l'État et 35, contre. Les députés du Parti québécois se sont joints aux caquistes pour appuyer le texte législatif. Le Parti libéral et Québec solidaire s'y sont opposés.


Selon François Legault, aucun parti n'osera rouvrir la loi. Le débat va refaire surface lors de la prochaine campagne électorale, puisque la disposition de dérogation est renouvelable tous les cinq ans.


« Ma prédiction, c'est que les libéraux, le PQ, n'importe qui, et je ne pense pas qu'ils vont être au pouvoir d'ici cinq ans, ils ne changeraient pas cette loi-là », a soutenu le premier ministre.


La porte-parole du Parti libéral en matière de laïcité, Hélène David, a affirmé que si son parti était au pouvoir dans cinq ans, « il y a de fortes chances qu'on voudra l'abroger ».


Ils ont dit




« C'est un moment important aujourd'hui, c'est un moment qui est attendu depuis longtemps par les Québécois. C'est très clair, quand on parle aux Québécois, que ceux-ci veulent qu'on interdise les signes religieux pour les personnes qui sont en autorité. »


- François Legault




« C'est le projet de loi du premier ministre qui, en retirant des droits aux gens, est un grand risque pour la cohésion sociale. Son legs, ce sera ce projet de loi bâclé, inapplicable, qui bafoue les droits des minorités. On se souviendra de [lui] pour ça. »


- Pierre Arcand, chef intérimaire du Parti libéral




« C'est une triste journée. Retirer des droits à nos concitoyens, ça ne rend pas une fière chandelle à l'histoire du Québec. En fait, j'ai mal à mon Québec aujourd'hui. »


- Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire




« Nous avions des propositions à faire pour rendre la loi plus cohérente. Le gouvernement n'a pas accueilli nos propositions. Mais il pose un geste. [Et] le moment est venu pour l'Assemblée nationale de poser un geste collectif fort. Le caucus du Parti québécois se joint au gouvernement pour adopter la loi. »


- Pascal Bérubé, chef du Parti québécois




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