La guerre? No sir!

Comment expliquer le discours antimilitariste véhiculé dans la mémoire collective québécoise?

Jour du Souvenir - 11 novembre 2008-2011


À l'approche du jour du Souvenir, se tiendra à l'UQAM les 10, 11 et 12 novembre le 10e colloque annuel d'histoire militaire organisé par la chaire Hector-Fabre d'histoire du Québec de l'UQAM. Cette année, une table ronde abordera la question de l'attitude des Québécois face à leur participation aux guerres et tentera de répondre aux questions suivantes: comment expliquer le discours antimilitariste véhiculé dans la mémoire collective québécoise? Les Québécois seraient-ils un peuple pacifiste comme on l'entend dire souvent?
La question de la guerre est plus présente que jamais dans l'actualité et la presse quotidiennes. On peut déplorer que les historiens ne s'y intéressent pas davantage pour l'expliquer et abandonnent ce terrain aux experts plus près des besoins du ministère de la Défense.
Sans vouloir faire le procès de l'historiographie québécoise, il faut reconnaître que l'objet " guerre ", même le courant plus récent qui se penche sur le vécu du simple soldat et la singularité des destins individuels, n'a pas intéressé encore beaucoup d'historiens universitaires d'ici. L'approche par le bas qui prévaut ailleurs en histoire militaire depuis les travaux de John Keagan, Jean Jacques Becker ou Stéphane Audoin-Rouzeau et les travaux sur la " culture de la guerre " développés par l'Historial de Péronne n'ont pas encore inspiré beaucoup de recherches au Québec.
Réserves québécoises face à l'armée
Il y a bien sûr dans la population un grand intérêt pour toutes les productions audio-visuelles décrivant la guerre, des films à grand déploiement aux jeux vidéos dont les héros soldats sont le plus souvent des patriotes américains comme dans Saving Private Ryan. Mais que fait-on pour permettre aux jeunes d'avoir accès à une culture plus indépendante de la production états-unienne, à une cuture qui permettrait d'aborder de façon rationnelle le grand débat de la défense nationale? Il faudrait bien que l'école et l'université se mettent un jour à approfondir les causes profondes des guerres, à scruter plus en détails les rouages de ce système qui s'appuie sur le maintien des inégalités sociales et accentue l'écart entre les pays. Ne faudrait-il pas réfléchir davantage à des questions comme le commerce des armes ou celle de la conversion progressive de l'industrie de guerre comme le réclamaient au début des années 80 les opposants à l'achat de F-18? L'industrie militaire semble toujours aller de soi comme une réalité incontournable.
On peut cependant constater qu'il existe malgré tout dans la population d'importants courants critiques face aux questions de défense et de budgets militaires. Le Bloc québécois l'a bien compris, lui qui propose dans son projet de société du Québec souverain une armée réduite. Mais s'agit-il d'une " attitude irrationnelle qui tiendrait de notre pacifisme traditionnel " pour reprendre les termes du journaliste dont le titre de l'article est " Les vraies questions "? Face à ce constat, il faut bien comprendre que notre attitude face au fait militaire est indissociable de l'histoire où nous nous inscrivons. Il faut creuser plus loin que le souvenir qu'aurait laissé l'armée canadienne au Québec en 1970 pour comprendre nos réserves face à l'armée.
Sans refaire un survol de toute notre histoire, rappelons qu'annexés au Canada, les Québécois ont toujours été associés aux guerres de l'Empire britannique sans y avoir vraiment intérêt. Les exemples sont nombreux. Lorsque les troubles éclatent en Inde lors de la révolte des Cipayes en 1858, la métropole britannique demande de lever des troupes ici. Faut-il se surprendre que le recrutement ait mieux fonctionné dans l'Ouest du pays? À d'autres moments, il faut reconnaître que des Canadiens français furent nombreux à s'enrôler pour aller combattre Riel et les Métis en 1885 dans la plus parfaite adhésion aux intérêts du gouvernement central et il s'est toujours trouvé des Canadiens français de l'élite pour justifier ces interventions répressives et recruter des recrues bien souvent d'origine ouvrière ou des campagnes.
Lorsque l'Angleterre entre en guerre contre les Boers d'Afrique du Sud à la suite de leur refus de se soumettre à l'Empire, c'est encore au Québec que l'on refuse de payer les salaires des 7000 soldats canadiens que le Canada y a dépêchés. En 1914, plusieurs Québécois ne voyaient pas non plus leur intérêt à financer l'Empire britannique qui avait besoin de chair à canon pour limiter l'expansion allemande et leur permettre de rester maître du commerce international. Cela ne fait pas d'eux pour autant de fervents pacifistes.
Pendant toute l'histoire de la Nouvelle-France, ils ont mené des guerres pour conserver le commerce des fourrures. Et après la conquête par les troupes britanniques, certains ont même combattu avec eux contre les Américains.
Soumission aux politiques américaines
En 1939, faut-il s'étonner que les nationalistes québécois n'aient pas alors compris les enjeux véritables de la Deuxième Guerre après avoir subi la conscription de 1914-1918? Il s'agissait bien sûr d'une grave erreur de perspective chez les nationalistes qui, comme André Laurendeau, ne saisissaient pas alors les enjeux globaux de cette guerre anti-fasciste. Malgré tout, plus de 90 000 Québécois ont participé volontairement à la Deuxième Guerre mondiale à l'exemple du futur premier ministre Paul Sauvé, qui, bien qu'anti-conscriptioniste, a participé comme volontaire.
En 1950, le gouvernement du Canada est intervenu en Corée du Sud. Il envoie 10 000 volontaires dont un tiers de Québécois, même si l'opinion publique est majoritairement défavorable à cette intervention. C'est le début d'une politique de soumission de plus en plus grande aux décisions américaines.
Depuis le mouvement de décolonisation des années 60, les Québécois plus conscients des enjeux politiques et militaires exprimeront plus clairement leur opposition aux nombreuses interventions impérialistes américaines particulièrement en Amérique du Sud. Les Québécois s'identifieront plus souvent aux populations dominées ou victimes d'agressions. Que l'on pense aux nombreuses manifestations d'appui au peuple palestinien à Montréal depuis les années 70. Le mouvement ouvrier québécois a suivi avec attention le gouvernement d'unité populaire d'Allende et a exprimé sa solidarité avec le peuple chilien lors du coup d'État de Pinochet de septembre 1973 avec l'appui de la CIA. La population québécoise exprimera à plusieurs reprises son appui aux peuples d'Amérique du Sud luttant contre les dictatures militaires dans les années 70. L'accueil populaire aux réfugiés politiques nombreux au Québec en témoigne.
Favorables aux opprimés
Les Québécois qui ont été jadis les plus grands exportateurs de missionnaires catholiques au monde, ont vu d'un oeil favorable les mouvements populaires qui luttaient contre les dictatures militaires soutenues par le gouvernement américain d'autant plus que ces groupes trouvaient souvent un appui auprès des groupes inspirés par la théologie de la libération. C'est notamment le cas de la révolution au Nicaragua, de 1979 à 1990, qui avait l'appui des communautés de base de l'Église catholique. Ces mouvements avaient des échos au Québec que l'on dit déchristianisé et pas seulement chez les militants " politisés chrétiens ". Cela a été le cas aussi au Brésil où intervenait Mgr Camara avant que le Pape n'intervienne en appui aux conservateurs. Les touristes québécois ont été parmi les premiers à choisir la destination de Cuba quand le gouvernement américain prônait le blocus économique.
Ces exemples illustrent que le peuple québécois qui est lui-même à la recherche de plus d'autonomie dans le cadre fédéral aura toujours tendance à s'identifier davantage aux peuples qui recherchent eux aussi plus de liberté et de démocratie. En somme, l'antimilitarisme des Québécois s'explique largement par le contexte historique: ils ont été annexés à un premier Empire avant de se retrouver à côté d'un autre plus puissant encore. L'auteur est professeur au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal et titulaire de la chaire Hector-Fabre d'histoire du Québec de l'UQAM.


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