L'appât

Chronique de Patrice Boileau


Depuis que Michael Ignatieff a proposé d'enchâsser dans la Constitution canadienne que le Québec « forme une nation », indépendantistes et fédéralistes multiplient les interprétations du sens à donner à ce statut politique en espérant piéger l'autre. De Claude Morin à Bernard Landry, en passant par Benoît Pelletier et Stéphane Dion, plusieurs ont en effet étendu leur filet. Justin Trudeau s'est pris lui-même en installant le sien...
Les souverainistes salivent à l'idée de voir Michael Ignatieff remporter l'investiture du Parti libéral du Canada. Les chances de le voir ensuite se casser la gueule lorsqu'il voudra rallier les députés de sa formation à son projet sont élevées. Déjà, certains d'entre eux ont publiquement manifesté leur intention de s'y opposer. Bob Rae ainsi que Stéphane Dion, principaux rivaux du meneur de la course à la chefferie, le dénoncent également. Ils savent que ce sujet est un panier de crabes. Le risque que tourne au vinaigre la démarche constitutionnelle que veut entreprendre l'ancien professeur de Harvard ne fait aucun doute.
Pourtant, l'aspirant au poste de chef du PLC a été clair lorsqu'il a dévoilé aux délégués libéraux les détails de son entreprise : aucun pouvoir supplémentaire ne sera conféré au Québec après avoir inscrit dans la Constitution qu'il forme une nation. Michael Ignatieff sait donc qu'il s'aventure sur un terrain glissant. L'homme croit cependant qu'il peut atteindre son objectif car il a formellement affirmé que ce titre politique est purement cosmétique, voire folklorique.
Les fédéralistes du Québec n'en demandaient pas tant! Illico, des membres de la section Québec du PLC ont réussi à faire adopter une résolution qui invite le parti à donner suite au projet de Michael Ignatieff. Sauf que ce concept de nation sans saveur goûte déjà beaucoup trop mauvais dans la bouche des autres libéraux et des éditorialistes des quotidiens nationaux du Canada anglais! Seule la défaite du député de la circonscription d'Etobicoke-Lakeshore, au terme de la course à la succession de Paul Martin, permettra d'éviter un « Meech 2 », soupirent-ils.
Peut-être est-ce pour cela que l'ancien chef du Parti québécois, Bernard Landry, a applaudi la résolution des militants de l'aile Québec du Parti libéral du Canada. Le prédécesseur d'André Boisclair donne l'impression de quelqu'un qui souffle sur des braises! Néanmoins, sa manigance n'est pas sans danger. Appuyer un concept de nation bidon, clairement dépourvu de compétences supplémentaires, a immédiatement été noté par Jean Charest. À son tour, le premier ministre du Québec a ironiquement salué le commentaire de son adversaire souverainiste, en symbiose avec la position des fédéralistes québécois... L'ancien premier ministre du Québec a certes renchéri dans son propos que la reconnaissance de la nation québécoise devra impérativement s'accompagner de pouvoirs qui la rendra égale à celle du Canada. Reste qu'aux yeux de la population, l'appui qu'il accorde soudainement aux libéraux fédéraux éclipse le reste de sa pensée. Les Québécois ne sont pas dupes : ils savent très bien que l'État canadien ne leur concèdera jamais un statut particulier. De guerre lasse, l'obtention d'un « titre symbolique » qu'un ancien dirigeant souverainiste semble approuver, pourrait finalement en contenter plusieurs...
L'actuel premier ministre du Canada, le conservateur Stephen Harper, refuse catégoriquement de reconnaître que les Québécois forment une nation. Frondeur, il n'a pas hésité à le dire dans leur Capitale nationale, le jour même de leur Fête nationale. Il lui est donc inutile de se lancer dans la mêlée pour essayer d'imposer sa définition à donner à la notion de nation. Le chef du PC évite ainsi d'avoir à affronter ses députés aux Communes qui s'objectent également à doter le Québec d'un statut différent dans la fédération. En fait, pour le leader conservateur, il n'y a qu'une seule signification à décerner au concept de nation. Ainsi, le pays qu'il dirige en constitue une alors que le Québec est une province comme les autres. Le reste n'est que perte de temps, des sables mouvants qu'il faut esquiver, une boîte de Pandore qu'il n'ouvrira pas.
Les souverainistes peuvent rigoler à regarder les fédéralistes s'entredéchirer au sujet du statut politique que le Québec doit détenir dans la fédération canadienne : des députés conservateurs ajoutent maintenant leur voix à la cacophonie libérale! Les indépendantistes doivent cependant éviter de supporter toutes interprétations diluées que les libéraux fédéraux et provinciaux veulent accoler au terme de nation. Cette astuce visant à attiser la grogne populaire s'il y a impasse pourrait se retourner contre eux. Embrasser le vœu de Michael Ignatieff s'avère en conséquence dangereux. Vaut mieux laisser les libéraux démontrer qu'il est impossible de faire cohabiter deux nations sous le même toit. Le tout se déroule déjà fort bien et laisse présager que le meilleur est à venir, après novembre prochain lorsque le congrès à la direction du Parti libéral du Canada aura couronné son nouveau chef. Il y a en effet de fortes chances que ce sujet devienne un enjeu majeur de la prochaine élection générale fédérale.
Patrice Boileau

Carignan, le 29 octobre 2006



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