Grand tintamarre contre la loi 78 - Les casseroles s’en mêlent

Conflit étudiant - Désobéissance civile - 22 mai - un tonnerre d’espoir


Marco Bélair-Cirino - Ils étaient plusieurs centaines à participer hier au tintamarre rue Masson, dans l’arrondissement de Rosemont -La Petite-Patrie, à Montréal.
«Ting ! Ting ! Ting ! » L’invitation à se joindre au mouvement « Nos casseroles contre la loi spéciale ! » s’est répandue au cours des derniers jours comme une traînée de poudre dans les réseaux sociaux, si bien que des dizaines de milliers d’indignés ont sorti hier soir leurs ustensiles, puis ont tapé… fort. Des personnes de tous âges - des tout-petits en pyjama enfreignant leur couvre-feu sous l’oeil complice de leurs parents aux mamies en bigoudis - s’en donnaient à coeur joie sur leur balcon ou dans la rue.
« On ne le prend pas, ce n’est pas compliqué ! », a fait valoir Linda Jolicoeur au coeur d’un attroupement de plus de 250 protestataires rassemblés à l’angle des rues Laurier et Fabre, à Montréal. La Loi permettant aux étudiants de recevoir l’enseignement dispensé par les établissements de niveau postsecondaire qu’ils fréquentent, adoptée la semaine dernière par l’Assemblée nationale du Québec - 68 pour, 48 contre, comme se plaît à le rappeler le premier ministre Jean Charest - restreint sévèrement les libertés de manifestations à leurs yeux. N’hésitant pas à la comparer à la Loi sur les mesures de guerre proclamée durant la Crise d’octobre, Mme Jolicoeur juge la législation « trop sévère », « inutile » et « contribuant à amplifier la rage des gens ». « Je suis sans mot devant l’attitude du gouvernement », a-t-elle ajouté tout en donnant des coups de cuiller de bois sur son ustensile de cuisson.
À 20 h tapantes, des milliers de personnes, comme Linda Jolicoeur, sont sorties à l’extérieur tenant fermement une casserole et une cuiller n’attendant qu’un voisin fasse résonner les premières notes pour à leur tour entrechoquer leurs ustensiles. D’autres « casseroles » se sont agglutinées par dizaines à des intersections animées afin de faire entendre leur grogne à l’égard du gouvernement libéral, avant de mettre le cap vers la 30e manifestation nocturne contre la hausse des droits de scolarité dans le centre-ville.
Du haut de ses six ans, Théo Pelletier et sa soeur cadette, Ève - surnommée affectueusement « Eille » pour sa personnalité affirmée -, ont aussi fait entendre leur mécontentement donnant consciencieusement des coups de cuiller sur leur bol. En milieu de soirée, ils se faisaient tranquillement à l’idée de se mettre au lit regardant avec envie des centaines de personnes défiler à proximité, dans la rue Masson. « Demain ! », a promis papa.
Le mouvement, né vendredi dernier dans les arrondissements Villeray - Saint-Michel - Parc-Extension, Rosemont - La Petite-Patrie, Mercier - Hochelaga-Maisonneuve et Le Plateau-Mont-Royal, embrassait hier soir Ahuntsic-Cartierville, Le Sud-Ouest, Verdun et… Outremont, en plus de la Ville de Québec.
« Tapez dessus avec toute la rage que cette loi spéciale fait naître en vous ! », a lancé sur Facebook l’instigateur du mouvement de contestation, François-Olivier Chené. « J’ai lancé l’invitation sur Facebook dans la nuit de jeudi à vendredi au moment où il y avait les débats sur la loi spéciale. J’ai lancé la bouteille à la mer ne sachant pas qui allait répondre à l’appel », a-t-il expliqué.
Quelque 1000 personnes étaient associées publiquement sur le réseau social au groupe lorsque les premiers coups de casserole ont été donnés vendredi dernier à 20 h. Hier, ils étaient dix fois, vingt fois plus à participer à la démonstration de force aux quatre coins de la métropole.
M. Chené s’est dit « agréablement surpris » de l’engouement populaire suscité par son idée, mais du même souffle ne revendique pas le titre d’« organisateur » de ce tintamarre. « Ce n’est plus du tout de mon contrôle. J’ai lancé l’idée et tous ceux qui étaient intéressés l’ont reprise », a-t-il précisé. Le professeur de science politique au cégep de Saint-Hyacinthe - toujours en grève - a souligné le caractère « accessible » de cette action politique. « Ça permet à tous ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas participer aux manifs nocturnes… Parfois, ce n’est pas rassurant de voir ce qui s’y passe. »

« Cacerolazos »

François-Olivier Chené s’est notamment inspiré des dissidents à la dictature chilienne, qui considérait tout regroupement de plus de quatre personnes comme des « attroupements illégaux ». « Évidemment, nous ne vivons pas dans une dictature. Par contre, cette loi-là est un pas dans la mauvaise direction. »
S’ils étaient appelés à faire un maximum de bruit pendant un quart d’heure, plusieurs personnes ont tapé de la cuiller pendant plus de quatre heures à proximité de leur domicile, non sans susciter quelques soupirs d’exaspération de certains de leurs voisins. « Taper sur des casseroles pendant trois heures a un effet positif : c’est ben tripant. En revanche, les effets négatifs : […] on dérange le voisinage, qui se met à nous détester en silence. […] On attire la police. On attire TVA, qui mettra bien vite un micro sous le nez d’un enfant qui pleure et de sa mère paniquée », a souligné Luc Tremblay, sur la page Facebook du groupe avant le coup d’envoi du tintamarre d’hier.
Voici une séquence vidéo tournée par un citoyen, Sydney Wingender, montrant le parcours «casserolesque» de Julien Roche, que l'on voit sur la photo en tête de texte.

Manifestation nocturne
Bien que déclarée illégale avant même de s’ébranler, la 30e manifestation nocturne consécutive s’est mise en marche peu avant 21 h sous forte présence policière. La première demi-heure s’est déroulée dans un climat festif et même sous le signe de l’humour, alors que quelques groupes de 49 protestataires sillonnaient les rues de Montréal. Mais, par la suite les choses se sont quelque peu corsées. Les policiers avaient procédé au moment de mettre sous presse à l’arrestation de deux personnes, mais encerclaient quelques centaines de personnes à l’intersection des rues St-Denis et Sherbrooke.
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Les chauffeurs de la STM mis en garde
« Par mesure de sécurité », le Syndicat des chauffeurs d’autobus et d’opérateurs de métro de la Société de transport de Montréal (STM) presse ses membres de ne pas effectuer d’heures supplémentaires sur une base volontaire afin d’échapper aux opérations de transport des policiers affectés aux manifestations quotidiennes des étudiants opposés à la hausse des droits de scolarité. « Des manifestants ou des émeutiers pourraient associer nos membres au travail policier et les intimider, voire les prendre à partie. À notre avis, le travail de conduire les autobus dans ces circonstances extrêmes appartient aux corps de police », a souligné le président du SCFP 1983, Denis Vaillancourt.


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