Ethnicisme et droit du sang: le rêve compensatoire

Indépendance - le peuple québécois s'approche toujours davantage du but!

Nous voici dans un débat où il me semble qu’on nage dans le malentendu, la confusion voire dans le mythe : Canadiens français ou Québécois? Nation ethnique ou non?
Nous nous sommes baptisés Canadiens français pour nous distinguer de ceux qui avaient usurpé notre nom de Canadiens. En somme, une position de défense, là où nous étions auparavant chez nous, mais où l’on nous avait transformés en locataires. À la fin, il n’est resté qu’un territoire, soit celui où nous formions la majorité et que nous avons occupé et développé dans toutes les directions : la province de Québec, que déjà Lesage avait rebaptisé l’État du Québec. Nous en avons tout naturellement adopté le nom pour nous désigner parce que c’était notre terre et que nous la considérions comme notre pays. Je me souviens de l’époque où nous avons commencé à nous identifier comme Québécois : personne ne nous a imposé de le faire, personne n’a eu à nous tordre un bras; nous commencions à prendre conscience que nous n’étions pas Canadians et qu’il ne servait à rien de rêver reprendre ce qui nous avait échappé, qu’il valait mieux êtres maîtres d’un petit royaume que valets d’un grand et que l’éparpillement ne nous valait rien, que l’assimilation des nôtres ailleurs qu’au Québec était un processus mathématique irréversible et que le gouvernement canadian se servait d’ailleurs des minorités canadiennes-françaises comme matière à chantage pour nous faire accroire que nous ne devions pas devenir nous-mêmes afin de ne pas les abandonner.
Nous étions catholiques et croyions que cela définissait pour une bonne part notre identité. À toutes fins utiles, nous ne le sommes plus depuis longtemps. Même si la plupart demeurent croyants, et beaucoup plus qu’on le prétend pour d’obscures raisons, la majorité a laissé tomber les pratiques rituelles sauf celles qui marquent des passages psychologiques ou existentiels importants : baptême, mariage (de moins ne moins) ou décès. Mais, sérieusement, qui attache encore une certaine importance à la doctrine officielle de l’Église, aux représentations convenues de l’au-delà, aux interdictions papales? Contrairement à ce qu’on entend encore, cette réalité prenait déjà forme, quoique discrètement, dans les années cinquante, même chez passablement de clercs, qui pactisaient tacitement avec les fidèles quoi qu’on en dise maintenant. Je m’inscris cependant en faux contre ceux qui maintiennent que les Québécois de souche ont banni la spiritualité : ils ont surtout rejeté le corsetage religieux, le cléricalisme et l’hypocrisie institutionnelle. Et même si nous étions collectivement devenus athées, agnostiques ou taoïstes, aurions-nous renoncé à nos droits humains pour autant?
L’ethnicité ne m’a jamais semblé faire partie de nos préoccupations marquantes. Nous nous sommes toujours réclamé d’une appartenance, d’une filiation collective, d’une culture commune — au sens anthropologique, d’une histoire commune, d’un destin commun. Pour qui a fouiné le moindrement dans la généalogie et pataugé dans les archives, parler d’une ethnie canadienne-française relève davantage d’une croyance que d’une réalité. Nous sommes, le plus souvent, des sangs-mêlés, ce qui se retrouve également chez une partie des premiers colons de la Nouvelle-France. Rien là de très original : presque toutes les nations occidentales offrent le même patron. Alors, vouloir à tout prix nous identifier à une nation ethnique et nous prédire l’échec national parce que nous aurions abandonné cette vision et la tradition catholique me paraît assez savoureux.
Même la notion de souche paraît ambigüe ou du moins difficile à cerner. Certes, ceux qui se sont établis ici avant 1760 provenaient, en quasi-totalité, des provinces françaises. Cependant, tous ceux qui se sont assimilés par la suite : Irlandais, Écossais, Anglais (ben oui, ça existe), Suisses, Wallons et, plus près de nous, des centaines de milliers d’immigrants installés à demeure, faut-il pour autant les considérer comme des étrangers ou des envahisseurs alors que nous les avons acceptés?
Je suis allé lire les documents que nous a indiqué Mme Marie-Mance Vallée dans son article : Réponse à Robert Chevalier de Beauchesne. Réclamer l’autonomie d’une nation canadienne-française sur le territoire du Québec à partir d’une base généalogique, c’est réclamer un État et des droits pour les seuls descendants certifiés des colons français d’avant la Conquête : une vision ethnique radicale celle-là, le droit du sang. Outre qu’il s’agit d’un projet réducteur, on s’engage dans un processus extrêmement complexe et périlleux, d’autant plus que son argumentation juridique repose pour partie importante sur le texte même de la constitution de 1982, ce qui équivaut à la reconnaître, et pour partie sur les documents des occupants britanniques. Je ne suis pas étonné de la réception plutôt silencieuse de ce projet par ceux à qui elle a été communiquée dans le milieu souverainiste. De plus, cette stratégie mène forcément, il me semble, à reconnaître implicitement la légitimité, et ses conséquences pour nous, du Traité de Paris, dont l’article 4 fait du territoire du Québec une possession personnelle de la Couronne britannique.
«Sa Majesté Très Chretienne renonce à toutes les Pretensions, qu'Elle a formées autrefois, ou pû former, à la Nouvelle Ecosse, ou l'Acadie, en toutes ses Parties, & la garantit toute entiere, & avec toutes ses Dependances, au Roy de la Grande Bretagne. De plus, Sa Majesté Trés Chretienne cede & garantit à Sa dite Majesté Britannique, en toute Proprieté, le Canada avec toutes ses Dependances, ainsi que l'Isle du Cap Breton, & toutes les autres Isles, & Côtes, dans le Golphe & Fleuve S' Laurent, & generalement tout ce qui depend des dits Pays, Terres, Isles, & Côtes, avec la Souveraineté, Proprieté, Possession, & tous Droits acquis par Traité, ou autrement, que le Roy Très Chretien et la Couronne de France ont eus jusqu'à present sur les dits Pays, Isles, Terres, Lieux, Côtes, & leurs Habitans, ainsi que le Roy Très Chretien cede & transporte le tout au dit Roy & à la Couronne de la Grande Bretagne, & cela de la Maniere & de la Forme la plus ample, sans Restriction, & sans qu'il soit libre de revenir sous aucun Pretexte contre cette Cession & Garantie, ni de troubler la Grande Bretagne dans les Possessions sus-mentionnées. [...]».

Je ne suis pas constitutionnaliste, mais je n’ai trouvé aucun document officiel qui fasse état d’une renonciation, par la Couronne, à cette dite propriété. Bien entendu, dans le cas d’une indépendance du Québec reconnue par la communauté internationale, une telle prétention serait fort probablement considérée caduque, mais la voie choisie par les requérants ne mène pas à une proclamation d’indépendance selon le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, seulement à une autonomie et à la reconnaissance du statut d’autochtones. Je reviens à ma question précédente : dans l’éventualité pratiquement impossible où cette stratégie ethniciste fonctionne, on fait quoi de tous les citoyens sans ascendance sur notre sol antérieure à la Conquête?
Par quelque bout qu’on les aborde, le point de vue ethnique et l’insistance à s’accrocher à l’appellation de Canadiens français me semblent un ancrage dans une nostalgie profonde entraînant la négation de toute évolution historique, un refus d’assumer la réalité, la crainte (muée en certitude) que la nation québécoise ne réussisse jamais à faire l’indépendance : une vision de substitution, compensatrice de l’impuissance ressentie. Parce qu’on croit la désaliénation impossible, on congédie le présent. La défaite définitive. Je ne méprise pas cette manière de voir les choses, je la refuse absolument.


Laissez un commentaire



7 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    20 septembre 2009

    la compléxité de l'histoire des épigones de la nouvelle France nescessité une solution souple capable de faire sa place à chacun.
    La conquête de 1760 a privé de facto les canadiens français de leur qualité de citoyens français. Toutefois, la chute de l'empire britannique a changé les relations entre Paris et Québec. Rien ne s'oppose plus réelment à ce que les canadiens français fassent valoir leurs droit à ce qui a été retiré de facto mais non pas de jure à leurs ancêtres et donc à eux. Le droit de sang ne c'est pas éteind. Cela n'empèche dailleurs pas non plus l'existance d'une citoyenneté du sol qui puisse être cumulé ou non avec la nationalité française. C'est ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie ou la nationalité française cohabite avec une citoyenneté néo-calédonienne (qui s'obtient à partir de 10 ans de résidence sur le sol calédonien), le statut personnel cannaque et même la citoyenneté européenne.
    Un modèle similaire pourrait fort bien fonctionne au québec et ainsi donner sa place à tous avec prise en compte des particularités et des héritages.

  • Archives de Vigile Répondre

    22 juillet 2009

    Dans ma modeste vie de boomer je suis passé de Canadien, à Canadien-français, à Québécois, à Québécois francophone, à l'affreux "francophone" que Ron nous sert chaque soir pour parler de ceux qui ne sont plus dans la sacro-sainte flanelle. C'est sans parler de l'insultant pure-laine qu'on nous sert depuis quelques années sans gêne aucune et du Nous-à-Pauline, un nous à brailler tellement c'est gênant de voir notre peuple s'excuser constamment d'exister pour ne blesser le dernier Tamoul débarqué sans papier à Dorval et être inclusif! Nous qui n'avons jamais été inclus dans le We Canadians!
    A ce que je sache les Écossais sont toujours écossais, les Gallois gallois, les Catalans catalans, les Basques basques, les Khurdes khurdes, les Tibétains tibétains et les Acadiens, Acadiens. Il ne viendrait jamais à l'idée d'un Acadien de voir dans le dernier Tamoul débarqué à Moncton un Acadien sous prétexte qu'il vit en Acadie.
    Pas complexés comme nous les Cayens!

  • Archives de Vigile Répondre

    19 juillet 2009

    La conclusion de M. Poulin : «le point de vue ethnique et l’insistance à s’accrocher à l’appellation de Canadiens français me semblent un ancrage dans une nostalgie profonde entraînant la négation de toute évolution historique. Je ne méprise pas cette manière de voir les choses, je la refuse absolument.»
    C’est un bon point de vue mais il y en a d’autres. Le ROC n’est pas nous-autres mais 50 % de Québécois se croient encore Canadiens puisqu’ils votent pour demeurer dans le Canada et se proposent encore de le faire si on se fie aux sondages récents.
    À mon avis, le Canada c’est nous, les francophones du Québec, pas eux du ROC. Ce sont eux qui devraient se trouver un autre nom de pays "qu'ils nous ont pris" en cas de séparation du Québec.
    Si on ne veut pas être nostalgique, on peut changer tout ce que l’on veut alors. Si on ne peut plus employer le mot Canada et que Québec est fait pour la ville du même nom, faudrait trouver une nouvelle appellation pour changer un nom de province à un nom de pays qui ferait encore mieux la coupure avec le passé : Nouvelle-France ou Canada français ou Mon pays ce n’est pas un pays c’est l’hiver. Autres suggestions ?
    Avec toutes ces considérations de nation ethnique ou civique et de : Qui est-ce que nous sommes ? On pourrait finir à attraper un gros mal de tête identitaire.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 juillet 2009

    Suite
    La Requête de Mme Marie Mance Vallée préparée et défendue par Me Néron de Québec, visant à faire reconnaître son personnel statut de française, en vertu de ce que le Roi de France nous a accordé en venant ici, à savoir conserver notre citoyenneté française et pouvoir en tout temps revenir s'installer en France, et valant pour leurs descendances, a un grand mérite. Elle fait de telle descendance, des personnes ayant droit personnellement d'être citoyen de France. Ce qui prouve notre ascendance française et non, « canadienne-française » pour peu que nos lignées familiales de s'éteignent pas dès lors leur installation en Nouvelle-France et que le sécateur canadianisateur de taillade pas nos arbres généalogiques.
    Quant à cette prétention qui nous ferait être « Autochtones français », elle ne vaut toujours que du point de vue du Conquérant. Pour lui, arrivant en dernier, nous étions peut-être des autochtones. Or, nous ne l'étions pas...
    Du moins pas en vertu de la définition française du vocable autochtone...
    Autochtone ( Antidote ) :
    - Relatif aux personnes dont les ancêtres sont originaires du pays où elles se trouvent. Peuple autochtone.

    - [Spécialement] [Québec] Relatif aux Amérindiens. Communauté, groupe, population autochtone. Revendications autochtones.

    - [GÉOLOGIE] Qui n’a pas subi de déplacement latéral. Un terrain autochtone.

    Nos ancêtres de Nouvelle-France Conquise, ne pouvaient dire que leurs ancêtres étaient « originaires du pays où ils se trouvaient », puisqu'ils venaient de France. Et, leurs métissages avec les Premières nations, ne les faisaient pas pour autant être qu'autochtones, puisque pour cela il leur aurait fallu renier, oblitérer, la partie française de leur généalogie.
    Ainsi, cette tentative d'user de la Constitution invalide et illégitime du Canada, en la rendant valide comme vous le dites, cela pour créer ici en vertu du statut de « métis » ou « d'Autochtone français », ni plus ni moins, au pire, que des « réserves indiennes », ou au mieux un territoire autonome, est plus qu'hasardeuse et ne concerne pas le Québec en tant qu'entité étatique, mais bien toutes les populations « Autochtones françaises » partout au Canada. Rien qui vaille pour le Québec, avec tout ce que cela comporte de morcellement du territoire national du peuple souverain du Québec et de l'État qu'il désire nommément fonder de ses voix libres et souveraines.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 juillet 2009

    M. Poulin,
    Nous sommes d'accord l'appellation « canadien-français », n'est pas, n'est plus la nôtre.
    « Nous nous sommes baptisés Canadiens français pour nous distinguer de ceux qui avaient usurpé notre nom de Canadiens. »
    Je ne sais plus qui l'a écrit, je ne sais plus où, mais il semble que les premières mentions du vocable en question son celle de « french-canadian ». Car nous, nous étions des Canadiens, des français nés au Canada, comme on parle des Alsaciens ou des Picards, des Provençaux, des Dauphinois, du nom de ces anciennes régions de France. Ici, c'est comme pour les croissants français, ou les pain français ou les pâtisseries françaises... en France, le qualificatif français accompagnant ces produits français est de trop... Mettons ! Vous ne demandez pas dans une boulangerie en France, un pain français ou une baguette française... Ah ! vous êtes Québécois !
    On nous a affublés du nom « french-canadian » pour pouvoir se dire canadian. Tout court. Sinon, ils se seraient dit Néo-britanniques... ou je ne sais quoi !?
    À toutes les bonnes raisons que vous donnez j'ajoute donc celle qui veut que nous répudiions ce nom traduit reçu du Conquérant à partir seulement du moment où, après la Conquête, des populations britanniques ont commencées à s'implanter en Nouvelle-France conquise.
    La plus absurde et canadianisatrice utilisation de cette appellation est celle qu'en fait la Commission Bouchard-Taylor qui ferait des Québécois d'origine française, des Québécois d'origine canadienne-française, oblitérant ainsi toute notre histoire antérieure à l'apparition de cette dénomination Conquérante, cela pour toujours valider le fait que les Britanniques se sont appropriés notre dénomination française de Canadien. Empêtrés que sont les canadianisateurs dans l'impasse qui fait de l'État du Canada un État répudié par la majorité des Québécois, ils insistent pour faire de nous des canadiens... en accusant toujours le caractère ethnique de notre lutte. Comme si nous n'étions qu'un « groupe ethnique », comme les autres, comme l'affirme M. Pérez, et non un peuple à part entière dans son titre « Avec la québécité, l’indépendance ne se fera jamais » Et l’on détruira la nation Canadienne-française - Jean-Louis Pérez Tribune libre de Vigile -18 juillet 2009.
    Nous ne sommes pas un « groupe ethnique », nous sommes un peuple
    Un « groupe ethnique », est constitué de personnes appartenant ou ayant des appartenances à un peuple vivant ailleurs. Or, si le peuple Québécois existe, il ne vit nulle part ailleurs qu'au Québec. Le peuple italien vit en Italie, les Québécois d'origine italienne peuvent former un « groupe ethnique » pas un peuple...
    Nos ancêtres étaient des Français, né au Canada, donc des Canadiens, comme d'autre Français étaient des Provençaux, des Charentais, de Lyonnais, cela pour les distinguer des Français nouvellement arrivés ou de passage. Cela pour parler de ces Français de Nouvelle-France qui n'avaient pas suivi la même évolution culturelle et sociétale que celle des métropolitains du continent européen. Et, ces Canadiens étaient sujets du Roi de France, étaient des Français, des citoyens français.
    Suite ici-bas

  • Archives de Vigile Répondre

    19 juillet 2009

    Je pense que vous avez touché là à quelque chose de profond, Monsieur Poulin. Il y a certainement un peu de vrai dans ce que vous dites sur le phénomène compensatoire, et peut-être est-ce entièrement vrai. Il y a matière à réflexion.
    Néanmoins, s'il s'agit d'une compensation, ce serait d'une tristesse incroyable. C'est le désespoir face à l'idée de ne jamais posséder son propre pays. On n'y croit plus. Le vide abyssal. Et pour ne pas mourir tout à fait, on se raccroche à autre chose qui nous relie à une histoire, une origine.
    Très triste.

  • Michel Guay Répondre

    19 juillet 2009

    De toutes façons plus de 80% des Québecois donc des canadiens de la Nouvelle France n'avaient jamais vu la France étant né ici.
    Avant 1763 nous formions déjà une nation francophone sur nos territoire ( Québec Canada et un tiers des USA)
    Depuis 1763 la colonisation angloraciste nous à fait reculer sur le Québec et en 1863 nous n'étions plus majoritaires et à peine 45%
    En 2009 nous sommes encore majoritaire au Québec mais les fédéralistes et les 3 partis bidons divisionnistes travaillent fort pour nous empècher de réaliser notre indépendance dans l'inclusivité en divisant le vote des francophones et en repoussant les minorités dans le parti Libéral fédéraliste .
    Québecois , nous sommes Québecois est parti de la chanson connue et s'est réalisé en 1977 avec l'adoption de notre langue nationale et de notre fête nationale du Québec par le Parti Québecois qui justement à cause des divisionnistes n,a jamais obtenu le pouvoir indépendantiste en étant condamné à gérer le provincialisme fédéraliste