Délire de journaliste

Affaire Jan Wong et The Globe and Mail




Ainsi donc, les tueries survenues dans des écoles du Québec seraient dues à nos pratiques tribales incarnées dans la loi 101 sur la protection du français, selon la théorie de Jan Wong, journaliste du Globe and Mail de Toronto, réputé être le plus sérieux journal du Canada.
Mme Wong s'est risquée, samedi, dans une analyse abracadabrante des causes du délire meurtrier de Marc Lépine, de Valéry Fabrikant et de Kimveer Gill, trois immigrants ou fils d'immigrants qui auraient souffert de ne pas appartenir à la majorité des «pure laine». Outre que les trois n'ont rien d'autre en commun, Mme Wong a escamoté les motifs bien connus qui animaient Lépine et Fabrikant. Le premier détestait les femmes et sa folie croissait en les voyant briller pendant leurs études et accéder à des postes enviables. Quant à Fabrikant, c'est un paranoïaque qui prétendait alors que sa propriété intellectuelle lui était volée par des collègues chercheurs de l'université.
L'analyse de la journaliste Jan Wong ne tient donc pas la route. Je serais d'ailleurs curieux de lire par quelles contorsions de l'esprit elle pourrait appliquer sa théorie aux tueries semblables survenues aux États-Unis, dans divers pays d'Europe et à... Toronto. Le raccourci qu'elle a pris lui permettait cependant d'ajouter sa contribution à un vieux courant populiste au Canada anglais, le Quebec bashing. Il y a quelques jours, le Québec avait par exemple été rebaptisé par une autre journaliste Quebecistan.
La liberté d'opinion et sa soeur, la liberté d'expression, ne sont toutefois pas des droits à la bêtise professionnelle et à l'affichage d'un racisme méprisant à l'endroit d'une minorité dans son pays. Or, le texte de Mme Wong a néanmoins traversé la chaîne de production de la salle de rédaction et a été imprimé, ce qui est une grosse tache pour un quotidien qui se veut la référence numéro un au Canada en information écrite. Ou il n'y a pas de filet de sécurité entre les auteurs des articles et la publication de ceux-ci, ou des pupitreurs, cadres ou syndiqués, adhéraient d'emblée à la thèse farfelue de Mme Wong.
Le premier ministre Jean Charest a protesté énergiquement auprès de la direction du journal, au nom de tous les Québécois, et a réclamé des excuses. Stephen Harper a ajouté tout son poids, hier. Il est très inusité que des premiers ministres initient pareille démarche, extrêmement délicate en plus et toujours risquée, puisqu'elle met en relation l'autorité politique et la liberté de la presse. M. Charest pose en plus en chef de meute qui se charge de protéger ses congénères.
Mais l'intervention de M. Charest est pleinement fondée, justement en raison des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le texte blessant de Mme Wong a été publié. Pareils drames ouvrent de larges plaies dans une société. Des milliers de personnes ont été directement affectées à Montréal par les gestes démentiels de Gill et une vague de chagrin a traversé toute la société québécoise. Mme Wong a soit profité d'un drame de cette envergure pour donner libre cours à ses sentiments personnels antiquébécois, ce qui serait non seulement malhonnête sur le plan intellectuel mais aussi très cruel. Son propre délire est alors dangereux et ses patrons devraient y voir. Soit elle a été victime d'une ignorance crasseuse sur le Québec, sur Montréal et sur la question linguistique, mais elle s'est tout de même lancée dans une analyse sociologique indigne d'un collégien. La réputation du journal en souffre tout autant dans les deux cas.
Il y a des limites cependant à se laisser cracher dessus, peu importe les raisons et les circonstances. Nos griefs peuvent être nombreux à l'endroit de Jean Charest, mais quand il s'élève pour parler au nom du Québec pour en défendre les droits et les intérêts (comme dans le dossier du déséquilibre fiscal) ou sa population blessée et humiliée injustement, je me surprends à être fier de lui.
Pour ce qui est de Mme Wong, il serait amusant de connaître, tiens, la corrélation qu'elle établit entre les crimes du couple Bernardo-Homolka et le puritanisme anglo-saxon qui étouffe les Ontariens.


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