De l'ingénierie identitaire

"La dénationalisation tranquille" de Mathieu Bock-Côté

«La mise à niveau de toutes les identités déboulonne la nation.» Le timing est parfait: au moment même où la Commission sur les accommodements raisonnables prend son erre d'aller - 300 personnes mercredi à Chicoutimi, fief de Gérard Bouchard -, Mathieu Bock-Côté lance La Dénationalisation tranquille, une «étude en forme d'essai» où il n'est nullement question de la privatisation de la Société des alcools...


Ici, le jeune philosophe militant de l'Action nationale interpelle avec force les promoteurs de ce qu'il appelle la «société des identités» qui voudraient donner "à la société québécoise une identité toute neuve en transvidant l'appartenance nationale de la communauté de mémoire et de culture franco-québécoise vers une citoyenneté sociale et inclusive".
Dans ce Québec «plus culturel que francophone», argue-t-il, produit d'un programme rigoureux d'«ingénierie identitaire», la nationalité devient «une source d'identité collective parmi d'autres», aux côtés du sexe et de l'orientation sexuelle ou de l'appartenance à des groupes d'immigrés ou de militants écologistes.
Dans la mire de l'auteur, identifié au milieu des tenants du «radicalisme multiculturel» qui veulent donner au Québec «un nouveau passé»: l'historien Gérard Bouchard. Dans le chapitre qui lui est consacré, le co-président de la commission citée plus haut est jugé raisonnable, certes - il souhaite le plein avènement de «son peuple» - mais, en même temps, par trop accommodant: comme le commande «l'antiracisme idéologique» qui voit partout des «crimes contre l'altérité», il ne veut «laisser personne en marge du grand récit».
Une nouvelle société sans dimension nationale
La «démocratie postnationale» fera donc naître une nouvelle société avec une «nouvelle mémoire» dont la dimension nationale sera exclue. Mais le fait est, soutient l'auteur, que «la question nationale est la trame de fond de l'histoire francophone au Québec» et qu'on ne peut faire table rase de la trame traditionnelle, souvent «miséreuse», il est vrai, qui va de la Conquête - nevermagne la «Cession» - aux référendums, du soulèvement des Patriotes à la Révolution tranquille Révolution dans laquelle, rappelle Bock-Côté, d'aucuns ont vu l'oeuvre de la gauche catholique alors que, selon lui, ce passage de la tradition à la modernité marquait un aboutissement en même temps qu'une régénérescence du nationalisme québécois: «Ce n'est pas au nom du Christ que les Québécois se sont ralliés à la nationalisation de l'électricité en 1962, mais en répondant à l'appel "Maîtres chez nous" ».
Un demi-siècle plus tard, regrette Mathieu Bock-Côté, les adeptes de l'historiographie «inclusive» s'échinent à faire «croiser les parcours pour éviter qu'un seul ne se détache et apparaisse comme le pôle de convergence obligé de tous ceux qui veulent s'intégrer à la nation». Nation qui se retrouve «désemplie», «déconstruite», «désinvestie», «détournée» et «dépolitisée» au nom de la «rectitude progressiste».
La Dénationalisation tranquille - avec cette magnifique illustration de Bruce Roberts en couverture où le bleu «national» est absent - aura son effet dans les lofts du Plateau où les plafonds ne seront pas assez hauts pour contenir toutes les expressions de dédain de ceux que l'auteur appelle «bobos», cette gauche qui aurait fait du «fondamentalisme cosmopolite» sa nouvelle raison d'être.
Dans l'état actuel du débat socio-politique au Québec, où s'exacerbent les tensions autour du «nous» nouveau, le livre de Mathieu Bock-Coté pourrait bien faire son chemin jusqu'à la courte liste des «lectures obligatoires», malgré la densité excessive de certains passages et l'insistance de l'auteur sur certaines chicanes d'écoles.
Le message, toutefois, reste clair qui exhorte à ne pas confondre ouverture à l'autre et reniement de soi. Comme disaient les vieux, «ça fait de quoi à jongler».
La Dénationalisation tranquille

Mathieu Bock-Côté, Boréal, 211 p., 22,95$.


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