À propos des quotas: pour répondre à Nathalie Petrowski

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Les quotas féministes : encore un mauvais coup de l'égalitarisme

Je ne suis pas de ceux qui prennent plaisir à dire du mal de Nathalie Petrowski. Certes, il m’arrive souvent d’être en désaccord avec elle. Mais le désaccord bien compris est essentiel dans une démocratie qui deviendrait étouffante si tout le monde pensait la même chose. Il y a plusieurs idéologies parce qu’il y a plusieurs manières de voir le monde, et aucune n’a le monopole du bien, de la vertu ou de la science. J’ajoute que Nathalie Petrowski ne cultive pas le style pédant et mondain que certains prennent pour une forme d’urbanité sophistiquée alors qu’il témoigne surtout d’une triste inculture. Elle dit ce qu’elle pense, que cela nous plaise ou non. En gros, pour le dire d’un mot, j’aime bien la lire et je l’estime.


Cela dit, et on s’en doute, si j’écris à son sujet aujourd’hui, c’est pour marquer un désaccord de fond avec une de ses récentes chroniques, à propos d’un sujet dont on parle beaucoup ces jours-ci, soit la parité dans le monde de la musique. Dans un texte tout récent, Nathalie Petrowski a avoué sa surprise devant l’opposition explicite d’un grand nombre de personnes à celle-ci, une opposition qui s’incarne dans le refus des quotas: mieux vaut choisir une personne pour son mérite personnel  plutôt que pour son sexe, en un mot. Elle cite un grand nombre de mesures politiques récentes s’inscrivant dans la logique de la parité, et prend chaque fois la peine de dire que personne n’a cru nécessaire de s’y opposer.  Elle évoque notamment le budget «féministe» de Bill Morneau, la promesse de la parité dans ses productions faite par l’ONF, ainsi que les politiques de parité de la SODEC et de Téléfilm Canada. Si personne ne s’est opposé à ces mesures, on peut donc en conclure que tout le monde y était favorable, non?


J’aimerais parler à Nathalie Petrowski de la rectitude politique, qui est une forme de dispositif inhibiteur au cœur des médias et de l’espace public et qui pousse à l’autocensure ceux qui se savent en désaccord avec l’idéologie dominante. Nous sommes dans une époque où un certain féminisme est à ce point hégémonique médiatiquement (et plus encore dans le milieu académique) que personne n’ose s’y opposer de peur de subir une forme de diabolisation immédiate et de disqualification morale. Qui s’y oppose se fera immédiatement coller la réputation d’ennemi des femmes, de sexiste, de mononcle ringard, de vieux débris des temps patriarcaux. Il se fera traiter de mononcle un peu débile. Il subira, presque assurément, une tempête sur les médias sociaux, ce qui n’est peut-être pas la fin du monde, mais ce qui n’est certainement pas agréable. Et à la fin, pour se faire pardonner, il devra probablement se mettre à genoux et s’excuser, comme l’a fait Louis-Jean Cormier.


On traite la critique du féminisme comme une forme de scandale. Celui qui ne se dit pas féministe, ou qui ne l’est pas de la bonne manière, commet une forme d’indécence. Il heurte non seulement l’opinion ultradominante dans les milieux médiatiques et académiques: il commet quelque chose comme une faute morale et un péché idéologique. Une chanteuse militante proposera même de le rééduquer pour qu’il devienne enfin un individu fréquentable, délivré de ses vieux préjugés et prêt à sacrifier ses privilèges (il faudra revenir, bientôt, sur ce concept délirant de «privilège masculin», qui s’accompagne souvent du concept tout aussi délirant de «privilège blanc»). Comment ne pas remarquer qu’un certain féminisme (et je dis bien un certain féminisme, pas tout le féminisme) prend aujourd’hui la pose de la supériorité morale et refuse d’envisager qu’on puisse le remettre en question ou même le nuancer? Mais refuser la possibilité du débat, n'est-ce pas refuser la démocratie?


Nathalie Petrowski l’a écrit mot pour mot dans une chronique consacrée à Louis-Jean Cormier: qui s’oppose à la parité s’oppose aux femmes. Je la cite: «Comment aujourd'hui, en 2018, alors que le combat des femmes pour la parité ne cesse de faire la manchette et que même les gouvernements reconnaissent le phénomène du sexisme systémique et tentent d'y remédier, comment peut-on être contre la parité sans être un peu contre les femmes?» Pourquoi dès lors se risquer au débat public en critiquant la parité si on sait qu’on en ressortira avec une réputation dégueulasse, et qu’on risque même de passer pour misogyne? Pourquoi participer au débat public si on sait que son point de vue sera automatiquement déformé et mal compris? Nathalie Petrowski ne semble même pas pouvoir imaginer que c’est justement parce qu’on croit à l’égalité des individus qu’on s’oppose aux quotas et aux autres mesures relevant de la discrimination positive. Elle ne semble pas pouvoir s’imaginer qu’on peut voir dans les quotas une forme d’injustice profonde, qui consiste à choisir quelqu’un à cause de son sexe ou de son origine ethnique, et non pas à cause de son mérite propre. Probablement verra-t-elle dans ces arguments une forme d’hypocrisie. Autrement dit, Nathalie Petrowski ne semble pas s’imaginer qu’on puisse avoir de bonnes raisons de s’opposer à la parité : j’entends par-là des raisons libérales, démocratiques, égalitaires, qui n’ont rien à voir avec la misogynie ou l’opposition à l’émancipation féminine.


On pourrait aussi dire à Nathalie Petrowski qu’il en est de même pour plusieurs autres sujets de société. Qu’on pense seulement à l’immigration pour s’en convaincre: combien sont-ils à dire en privé que nos seuils d’immigration sont démesurés mais qui n’oseraient le répéter en public de peur de se faire accuser de racisme? Combien sont-ils à reconnaître que l’intégration des immigrés ne fonctionne pas alors qu’en privé, ils s’en désolent comme tout le monde? Inversement, on a vu des gens se rallier au concept de racisme systémique parce qu’il s’agissait de la nouvelle référence à brandir pour montrer qu’on appartenait au cercle des bienpensants. Si se dire féministe n’était pas aujourd’hui une manière de revendiquer symboliquement son appartenance au club des vertueux, il n’est pas certain qu’ils seraient aussi nombreux à réclamer l’étiquette et à donner des gages de bienpensance sur une base aussi régulière.


Je reviens à l’essentiel: si peu de gens ont osé s’opposer en temps réel aux différentes politiques fondées sur le principe paritaire, c’était probablement parce qu’ils voulaient éviter la tache infamante de la mauvaise réputation. Ils ne voulaient pas devenir des parias. Ils ne voulaient pas avoir à s’excuser comme a dû le faire finalement Louis-Jean Cormier.